samedi 1 juin 2013

Entre la poire et le fromage



Il y a un homme, à Saint-Quentin, qui tient la clé de la prochaine élection municipale. Cet homme décidera du résultat, comme il voudra. Ce n'est ni vous ni moi, ni même Xavier Bertrand ni personne d'autre. C'est lui, et lui seul. Quel est son nom ? Vous n'en saurez rien, moi non plus. Les hommes influents restent anonymes ; c'est la rançon de la puissance. Mais pour être crédible, il faut lever un morceau du voile. L'homme-mystère le fait dans L'Aisne Nouvelle de jeudi dernier, en une formule pleine de mâle assurance : "aux législatives, si j'avais fait 1 500 tracts contre Xavier Bertrand, il passait pas". Dommage qu'il ne l'ait pas fait. Voilà le pouvoir : être en capacité d'influencer le choix d'un millier de Saint-Quentinois et de faire basculer le destin politique de la ville.

Vous voulez bien sûr en savoir plus, et moi aussi. Ce faiseur de roi appartient au club 33, auquel les deux journaux locaux consacrent, ce même jeudi, des articles. L'Aisne Nouvelle parle d'un cercle "très intriguant", tandis que le Courrier picard décrit une "source de fantasmes". J'avoue que le club en question ne m'intrigue pas du tout et que mes fantasmes se portent sur un autre nombre que le 33. Je n'ai eu qu'un seul contact personnel avec le fameux club, non pas dans un restaurant mais une église, la basilique de Saint-Quentin, il y a quelques semaines, lors des obsèques de Jean-Jacques Poulet : un monsieur, que je ne connaissais ni d'Eve ni des dents, m'a entrepris et évoqué mon éventuel passage au club. C'était Thierry Comble, son président. J'ai répondu : pourquoi pas, ce qui signifie dans mon langage : ça ne m'intéresse pas vraiment. Et pourquoi donc, moi qui suis curieux de tout ?

D'abord, j'ai fait mien, depuis longtemps, le principe de Georges Brassens : "Sitôt qu'on est plus de quatre, on est une bande de cons", surtout autour d'une table. Discourir devant 300 personnes en meeting, pas de problème, j'aime. Mais devoir tenir le crachoir à 33 personnes pendant sûrement plusieurs plombes, dans la tradition des interminables repas à la française, merci bien ! Et puis, 33 mecs, c'est pas possible. Dans une assemblée mixte, je ne dis pas forcément non. Mais là, c'est niet ! L'idée même de club ne m'enchante pas : elle a généralement une connotation bourgeoise que je ne sens pas (sauf quand il s'agit d'un club de pétanque). Je redoute comme la peste le repas, que j'imagine à base de viande rouge, sauce grasse, dessert chargé et alcool fort. Un "frère" (c'est ainsi que s'appellent les membres du club 33 !) qualifie la séance de "banquet républicain gaillard" : j'ai tout bon dans une moitié, je suis républicain, mais pas très gaillard.

Vous me voyez au Pot d'étain ou à l'Ermitage ? Moi pas. J'ai plutôt mes entrées au Buffalo grill et quelquefois chez Mac Do. Certes, le club 33 ouvre sa table à de "prestigieux invités" (dixit L'Aisne Nouvelle), dont le dernier en date était Freddy Grzeziczak. J'avoue ne pas jalouser ce prestige-là. Mais Freddy avance un argument puissant qui m'écrase : "J'ai été invité par le club 33, donc j'y suis allé. Si je suis invité à la confrérie de l'ail, je vais à la confrérie de l'ail". Et s'il est invité par le club des joyeux partouzeurs ou celui des lanceurs de tartes à la crème, est-ce qu'il s'y rend aussi ? En fin de compte, il n'y a qu'une seule invitation à laquelle Freddy ne répond pas : c'est quand le parti socialiste lui propose en 2008 de rejoindre sa liste municipale ...

Reste une question, LA question : le club 33 a-t-il oui ou non une influence politique sur la ville ? Dans L'Express du 15 avril 2010, un "frère" le présente comme "les yeux et les oreilles de Xavier Bertrand" (!). Tant que ce n'est pas la tête et les jambes ... Un autre "frère" rectifie : ni gauche ni droite, ou plutôt les deux à la fois, de l'extrême gauche communiste à la droite dure, mais pas l'extrême droite (ouf !). Dans les arts de la bouche, on parlerait de salade niçoise, quoique le plat ne soit pas très "gaillard". Il paraît que le nouveau président du club, désigné hier, est un chef de CRS. Il aura toute autorité pour faire respecter les statuts, qui exigent des adhérents le silence envers la presse (selon L'Aisne Nouvelle). Car sur ce point, c'est complètement raté ! Je préviens toujours : la cuisine lourde et les vins épais font parler ...

Notre faiseur de roi, c'est du foutage de gueule : ce n'est pas par une activité privée de nature conviviale qu'on influence l'opinion. Le croire, c'est se rejouer le mythe du complot dans sa version positive. Même les fameux "réseaux" dont on nous bassine, c'est souvent pipeau. On ne devient leader d'opinion qu'en s'adressant à l'opinion, pas à travers des cercles concentriques, aussi larges soient-ils. On ne devient agent d'influence que dans les activités publiques qu'on organise, pas dans les dîners en ville, entre la poire et le fromage.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Autour d'un repas les politiciens parlent davantage sans langue de bois. Copé viens d en faire les frais.
les grands repas sont les lieux privilégiés pour celui qui veux séduire et devenir populaire.
On sait depuis longtemps que la grande majorité des citoyens sont plus sensible à l attitude d'un candidat à table qu'a ses propositions politiques.

Vous voulez faire de la politique autrement et c est tout à votre honneur mais ce n est pas la méthode la plus efficace pour être élu.