dimanche 23 juin 2013

Chef de guerre



C'était jeudi soir, au café des Champs-Elysées, la réunion de présentation des candidatures socialistes pour la tête de liste aux élections municipales de Saint-Quentin, c'est-à-dire Michel Garand et moi. Comme dans tout ce que je fais, je me prépare minutieusement, j'envisage toutes les éventualités, je néglige aucun détail, je n'improvise rien. Jusqu'à mes vêtements ! J'ai pris une chemise blanche parce que je me sens bien en chemise blanche. C'est la tenue de celui qui va se battre en duel, mais aussi de celui qui monte sur l'échafaud (je vous laisse le choix de l'image).

C'était pour moi un moment important : enfin, j'allais pouvoir expliquer officiellement à mes camarades, dans une réunion statutaire, le sens de ma démarche, plusieurs années d'une trajectoire politique qui diverge sur certains points avec les choix de notre section. Cette candidature, je l'ai annoncée publiquement il y a six mois, pensée et préparée depuis longtemps. Etrangement, j'étais calme, maître de moi, absolument certain de mon fait ... alors que je ne suis pas du tout le favori, alors que la défaite est plus probable que la victoire (mais attention aux surprises). Il y a ce phénomène que j'ai souvent constaté : quand on se croit porteur d'une vérité, rien ne peut vous atteindre, vous perturber, on file tout droit, sûr de soi. Et puis, j'ai toujours eu à l'égard de la politique ce mélange paradoxal de passion et de distance qui fait que je ne suis jamais déçu ou meurtri de ce qui peut m'arriver (je joue, je gagne ou je perds, mais j'assume et je ne me plains pas).

Les Champs-Elysées ! J'en ai tant vu, tant entendu : la salle est pleine de fantômes, des cris, des ricanements, des pleurs, des psychodrames, presque des bagarres ... En quinze ans, c'est affolant : de quoi vous dégoûter de la politique, d'en partir ... mais j'y reviens toujours, je ne la quitte pas. Il y avait donc, jeudi soir, de quoi trembler (mais aussi d'excitation, tant j'aime ça, le combat). D'autant que ma manie de tout prévoir est régulièrement mise en échec : en politique, on ne sait jamais comment une réunion va tourner. Avec Michel, je n'avais pas trop d'inquiétudes ; mais il y a les phénomènes de groupe qui montent très vite, qui vous échappent, où tout part en vrille (c'est du vécu !). Voulez-vous que je vous dise ? Tout s'est très bien passé, dans une excellente ambiance, sans heurt. Chacun a honnêtement présenté sa candidature, il n'y a pas eu de contestation violente, les interventions qui ont suivi notre présentation ont même très largement repris ce que l'un et l'autre avions dit.

Ce climat entre socialistes, qui augure d'un bon début de campagne (quel que soit le candidat désigné jeudi prochain), est-il à mettre au compte de la psychologie, Garand et moi étant suffisamment aimables et courtois pour répandre la sérénité autour de nous ? Non, pas du tout. En politique, il n'y a que des raisons politiques. Depuis quelques jours, nous assistons à un fait politique majeur chez les socialistes saint-quentinois : ce n'est pas le retrait de Ferreira, ce n'est pas la candidature de Mousset et Garand ; c'est que nous avons retrouvé notre unité politique, perdue il y a six ans lorsque les alliances avec l'extrême gauche ont été nouées. C'est l'événement très positif de ce début de campagne. J'ai lu la profession de foi de Michel Garand : j'aurais pu la signer, comme lui aurait pu signer la mienne.

J'ai expliqué, devant mes camarades, qu'il fallait relativiser l'influence des personnes dans une élection municipale, en politique en général. Mousset ou Garand, Garand ou Mousset, les Saint-Quentinois s'en moquent : ils veulent quelqu'un qui vienne les voir, qui les écoute et qui leur propose quelque chose. Le reste est important, mais secondaire. Ce qui compte, c'est l'orientation politique, très largement conditionnée par les alliances qu'on passe. La ligne de Michel, c'est la mienne : alliances à gauche, ouverture au centre, participation de la société civile, campagne de propositions plus que de contestation, quelques mesures fortes pour mobiliser l'opinion. Le bon climat entre socialistes, après des années de déchirements et de tensions, le voilà : le consensus autour des idées précédentes (ne me demandez pas comment on a pu arriver à ce miracle, moi-même je ne le comprends pas très bien ; mais il me suffit de le constater).

En politique, on peut parler avec son intelligence, son coeur ou ses tripes. L'intelligence me conduirait à faire autre chose que de la politique. Le coeur me ferait embrasser tous mes camarades et être copain avec tout le monde. Non, jeudi, ce sont mes tripes que j'ai mises sur la table. Pourquoi je crois être meilleur que Michel, avec qui je partage pourtant la même sensibilité ? D'abord, je suis plus connu que lui du grand public, à cause de mon engagement associatif, et reconnu depuis longtemps comme socialiste. Ensuite, j'ai une meilleure maîtrise de la communication, une meilleure connaissance de ce milieu. Enfin et surtout, et c'est l'argument le plus important, le plus décisif, que je suis allé chercher au fond de mes tripes : je suis offensif, j'ai le sens de l'adversité, je ne lâche jamais rien.

Contre Xavier Bertrand, je suis the right man at the right place, combattant au long cours. Michel part pour un mandat, moi pour deux ou trois : ça change tout. Je l'ai dit à mes camarades, pour finir ma présentation de candidature : même mes défauts, ce côté excessif qui me met souvent dans le trop, jouent en ma faveur. Alors, un mot, un dernier, m'est venu à l'esprit, que je n'avais pas préparé : chef de guerre ! Oui, voilà ce que je suis et ce que je veux être, voilà ce dont les socialistes de Saint-Quentin ont besoin : un chef de guerre ! Des chefs, il y en a plein un peu partout, notamment dans les partis politiques : petits chefs et grands chefs, chefs de bureau et chefs de clan. Mais chefs de guerre, il n'y en a pas tant que ça.

J'ai hésité quelques secondes avant de la prononcer, tellement l'expression est grandiloquente. Mais elle est vraie, et c'est elle qui me distingue le plus de Michel, qui ferait un bon maire s'il n'y avait pas à passer par l'élection, qui ne tiendra pas vraiment en adversaire de Xavier Bertrand. Il a le costume de premier magistrat et moi j'ai le treillis de chef de l'opposition. Nous nous complétons mais l'un des deux doit forcément quitter sa moitié, laisser la place : la vie est mal faite ... Il faudrait que j'ai ses qualités et lui les miennes ; on ne s'en sort pas ! Si la gauche était certaine de gagner, il serait raisonnable que je m'efface devant lui ; si la gauche était certaine de perdre, il faudrait que ce soit lui qui renonce, à mon profit. Mais comme en politique on est certain de rien, nous ne sommes pas plus avancés ... Une certitude tout de même : la campagne sera difficile, et la victoire aussi. Tirez-en de vous-mêmes la conclusion.

Quand la réunion s'est terminée, Michel Garand m'a quitté par une petite tape amicale sur la joue (je vous jure !). Il est vraiment sympa, libre et intelligent. Je lui ai répondu d'une formule un peu mystérieuse : Il faudrait que tout se termine aujourd'hui. Ca veut dire quoi ? Que tout s'est bien passé et qu'il faudrait en rester là. Car inévitablement la vie politique détériore les relations humaines, oblige à l'affrontement. On a beau dire, on a beau faire, l'un de nous deux est en trop. Jeudi soir, il y aura nécessairement un vainqueur comblé et un vaincu mécontent. Il n'y a que les idiots qui ont le sourire dans la défaite.

On pourrait conclure de ce billet que bien peu de choses me séparent de Michel Garand. Et c'est exact. Mais si je maintiens ma candidature, c'est qu'il y a tout de même des différences politiques entre nous, dont je vous parlerai demain en commentant la longue interview de Michel dans L'Aisne Nouvelle de ce week-end.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

A quand la grande interview d'Emmanuel Mousset pour respecter l'équité ?

Anonyme a dit…

on remarquera le une fois de plus que la couverture de cet evenement par l'aisne nouvelles est incroyablement orienté, puisqu il n est pas encore élu mais déjà nommé vainqueur. Elle est belle la presse locale....

Emmanuel Mousset a dit…

Je répondrai dans mon billet de lundi.