dimanche 16 juin 2013

Un notable en politique



C'est un homme grand, qui porte bien sa soixantaine, quoique avec les épaules légèrement courbées. Il se remarque par ses cheveux très blancs et surtout très fournis, à un âge où souvent la calvitie a fait le ménage. Ses longs bras parfois l'encombrent, il ne sait pas trop où les mettre ; quand il les bouge, on dirait un moulin à vent : les grands corps éprouvent cette gêne, qui fait qu'il vaut mieux être Bonaparte que de Gaulle, visuellement parlant. Mais la hauteur de taille n'impressionne pas que les dames : les électeurs y sont sensibles. Pourtant, la statistique est équitable : de Gaulle, Giscard et Chirac étaient grands (je parle du physique), Mitterrand, Sarkozy, Hollande petits.

Cet homme, qui est le sujet de mon billet dominical, est lui aussi un politique, qu'on est allé chercher dans le monde des notables, puisqu'il a présidé pendant plusieurs années un établissement public. Un notable, c'est quelqu'un qui est connu et reconnu dans le monde qui est le sien, celui des notables, c'est-à-dire le petit cercle des gens qui exercent des responsabilités importantes dans une ville (j'emploie ici le mot de notable sans la nuance péjorative que certains y introduisent). Naturellement, quand vous occupez une fonction professionnelle de pouvoir, vous pouvez être tenté par la fonction politique du pouvoir. Mais un notable n'a pas forcément la politique dans le sang (ce n'est pas un militant, il est même complètement étranger au monde des militants). Alors, on vient le chercher, on s'adresse à lui pour qu'il mène campagne, on le hisse sur un bouclier, comme Abraracourcix dans Astérix le gaulois. Pourquoi ? Parce que le notable a belle allure et sérieuse réputation : avant même d'être élu, il ressemble à un élu, il en tient le discours et en porte le costume.

Oui mais voilà, ça ne se passe pas exactement comme ça : je crois, d'expérience, qu'un notable ne fait pas automatiquement un bon candidat. Le nerf de la politique, c'est le militant, pas le notable : celui-ci est trop respectueux des convenances pour faire un combattant. En vérité, le notable ferait un excellent candidat s'il n'y avait pas besoin de passer par ce champ de bataille qu'est l'élection. Rien que l'origine de sa démarche le condamne : ce n'est pas de sa propre volonté qu'il agit, c'est parce qu'on lui a demandé. Le militant escalade la montagne à mains nues, le notable monte par le tire-fesse.

Quel est donc ce notable égaré en politique, crinière blanche, grande taille et costume assorti, que j'ai aujourd'hui à l'esprit ? Il ressemble à James Stewart dans Monsieur Smith au Sénat. Pas facile à deviner ou à reconnaître, je l'admets ... Il s'agit de Gilles Demailly, actuel maire socialiste d'Amiens, qui a décidé de raccrocher les gants à l'approche du prochain combat, mais je devrais plutôt dire remettre la veste dans le placard, tellement je l'imagine mal en boxeur. Son renoncement à un nouveau mandat a été annoncé publiquement le week-end dernier, à la surprise générale. Il s'en étonne et s'en défend en disant que tout le monde, depuis le début, savait. Manifestement, il était le seul dans la confidence ...

Je ne juge pas le maire, dont je ne connais pas le bilan. Mais j'observe, comme tout citoyen, l'homme politique, et je lui fais un reproche : celui de ne pas être un homme politique ! Ce n'est pas moi qui le dis, c'est ... lui : Gilles Demailly se présente comme un "citoyen engagé", pas comme un "homme politique". Ca ne va pas : si un homme politique est par définition un citoyen engagé, un citoyen engagé n'est pas nécessairement un homme politique. C'est la malédiction du notable, président d'université : il rêve de politique alors qu'il n'est pas un politique. Ca n'empêche pas de se faire élire (de Robien en 2008 était à bout de souffle, après 19 ans de pouvoir, et contesté sur certains projets) ; mais se faire réélire, non, ça ne passe plus, et l'envie a disparu. Le notable ne peut compter que sur une victoire accidentelle, un phénomène de rejet de son adversaire (ce qui ne le prive nullement de qualités de gestion une fois parvenu aux responsabilités).

Gilles Demailly n'est pas véritablement un homme public. Les quelques rares fois où je l'ai vu, il lui manquait cette présence qui, tout de suite, repère l'homme politique. Il est plus dans la représentation consciencieuse que dans l'action offensive. Lui même en convient, là aussi : "je ne suis pas un homme de communication". C'est le moins qu'on puisse dire ... Le notable est quelqu'un de trop en vue pour se faire voir : il préfère la discrétion bourgeoise. Le mot qui tue, c'est lorsqu'on lui demande les raisons de son renoncement : "A 65 ans, j'ai quatre petites-filles, je veux cultiver l'art d'être grand-père". Hallucinant ! Le premier magistrat d'une grande ville qui motive sa cessation d'activité publique par un argument d'ordre strictement privé ! J'ai envie de répondre à ce camarade : pépé, fallait pas faire de politique ! Au moins aurait-il pu anticiper sa succession, mais non ! "Préparer un héritier, ce n'est pas mon truc". Je crois que c'est la politique toute entière qui n'est pas son "truc".

Je laisse le mot de la fin, décisif, à Isabelle Graux, maire-adjoint d'Amiens : "Dès la campagne de 2007, on avait senti que devenir maire n'était pas forcément son choix, mais il voulait faire de la politique autrement". Incroyable : quelqu'un qui part dans une élection, qui prend la tête des troupes mais dont ce n'est pas forcément le choix. Non, on ne fait pas de politique en étant choisi par les autres : la décision ne peut qu'être personnelle, reposant sur une volonté de longue date. Quant à "faire de la politique autrement", c'est une formule passe-partout qui prouve seulement qu'on ne va nulle part. Il faut prendre la politique comme elle est, depuis toujours, ou bien ne pas en faire du tout et rester chez soi en pantoufles (ce qui est par ailleurs fort estimable, comme de s'occuper des enfants de ses enfants).

L'élection d'un notable, c'est une affaire de village ou de petite ville : quand le parti est faible, quand les militants n'osent pas, on va chercher un président de ci, un directeur de ça, un pharmacien à droite, un principal de collège à gauche. Mais dans les grandes villes, il faut des politiques. A Amiens, j'espère que mes camarades vont se trouver la tête de liste qui conservera la Municipalité à gauche, en reprenant la dernière idée de Gilles Demailly : l'organisation de primaires citoyennes. Ce n'est que dans un tel cadre qu'on peut mesurer la valeur politique des candidats, y compris des notables. Sinon, ce n'est que cuisine interne, arrangements de circonstances et probable gadin à la fin.

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