vendredi 7 juin 2013

Pierre Mauroy



De Pierre Mauroy, j'ai le souvenir d'une corpulence et d'une voix : un solide homme du nord, la force d'un bûcheron, une statue du commandeur, des bras très amples, en mouvement, des mains larges, ouvertes, une générosité qui se dégageait de son physique, un monument du socialisme et une voix posée, à la fois grave et douce, calme, maîtrisée, un beau timbre de voix.

Je l'ai rencontré personnellement deux fois. En juin 1981, quand il est venu, entre les deux tours des élections législatives, soutenir la candidate du PS à Saint-Amand-Montrond. Ma petite ville natale du Berry, 11 000 habitants seulement, avait le redoutable honneur de recevoir le Premier ministre de la France ! Autant vous dire que j'étais impressionné ... Pourquoi lui, pourquoi ici ? Parce qu'à quelques kilomètres, au village de La Groutte, le premier magistrat s'appelait Roger Fajardie, ami conjoint de Mitterrand et Mauroy, à l'époque conseiller très influent.

J'ai revu Pierre Mauroy personnellement à la fin août 2008, à l'université d'été de La Rochelle, en compagnie de militants axonais (voir vignette). Ce qui se dégageait du personnage, c'était sa simplicité, sa franchise, son abord facile, quand certains autres camarades, leaders nationaux, jouent parfois les vedettes inaccessibles. 27 ans d'écart entre nos deux rencontres, mais un homme qui n'avait pas changé, qui gardait cette force, cette fidélité à lui-même. Entre ces deux dates, je l'ai vu et écouté souvent, mais de loin, dans l'anonymat des congrès, des meetings, des réunions du parti.

Il y a deux choix politiques de Pierre Mauroy qui ont fait que je me suis senti, en tant que socialiste, proche de lui. D'abord, dans les années 70, lorsqu'il a décidé de s'allier avec Michel Rocard contre François Mitterrand, soutenu notamment par Laurent Fabius et Jean-Pierre Chevènement. Il fallait alors du cran, de la détermination pour se lever contre le premier secrétaire ! Mauroy, c'était un socialiste profondément réformiste, partisan de l'alliance avec les communistes parce qu'elle permettait un ancrage populaire et ouvrait l'espoir d'une victoire. Mitterrand, pourtant rancunier, ne lui en a pas voulu et l'a choisi comme Premier ministre : c'est qu'à la différence de Rocard, que Mitterrand a toujours détesté, Mauroy incarnait la tradition ouvrière. Rocard, c'était les chrétiens de gauche et les nouveaux cadres, la petite bourgeoisie progressiste des années 70.

Le second choix politique de Pierre Mauroy, qui m'a fait adhérer à sa sensibilité socialiste, c'est, dès 1982, sa défense active d'une politique dite de rigueur, dont Mitterrand, Fabius et Chevènement, au départ, ne voulaient pas. En 1983, Mitterrand s'est finalement rangé à l'avis de Mauroy, et le socialisme français a ainsi connu sa plus grande mutation depuis le congrès de Tours en 1920 (rupture avec le communisme) : désormais, le socialisme devenait soluble dans l'économie de marché, avec toutes les conséquences qui s'ensuivent, que certains, à gauche, continuent de regretter et de combattre aujourd'hui (c'est leur droit, il est beau de rester fidèle à ses opinions, comme l'était Pierre Mauroy aux siennes).

Le dernier hommage que je rendrais, c'est à l'européen convaincu qu'il était. Pierre Mauroy n'a jamais douté de la construction européenne, c'est ce qui le rapprochait fortement, sur ce point, de François Mitterrand. A chaque rendez-vous important, traité de Maastricht en 1992 et traité constitutionnel européen en 2005, il a toujours dit oui à l'Europe, n'a jamais désespéré, au milieu des difficultés, ne s'est pas laissé aller à rejoindre les tenants hérétiques et schismatiques d'une chimérique "autre Europe", qui n'est que la négation de l'Europe et la promotion d'un souverainisme ne disant pas son nom, sauf chez Chevènement. Pierre Mauroy, homme du nord, ne pouvait être, à ce titre, que l'homme du peuple et l'homme de l'Europe. Pour l'ensemble du parti socialiste, il restera un exemple à suivre.

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