samedi 29 juin 2013

Histoire d'hommes



La politique, ce sont des idées, mais c'est aussi une histoire d'hommes. J'ai rencontré pour la première fois Michel Garand en janvier 1999, lors des voeux de nouvel an de la députée socialiste Odette Grzegrzulka, à l'espace Matisse. Michel n'avait pas encore rejoint le parti. Il se distinguait de tous, il tranchait par sa haute taille, sa fière allure, son aisance d'élocution, sa sympathie naturelle. C'était alors une personnalité de gauche, profil société civile, pas compromis dans les batailles internes et sanglantes entre socialistes. Il passait pour avoir de l'influence, des relations, c'était un monsieur, comme on dit chez moi dans le Berry. Pour Odette, c'était l'oiseau rare, le candidat idéal pour liste municipale. Pour moi, c'était un bourgeois, logé chez les frères, pas un militant qui colle et qui tracte.

Michel a donc adhéré (j'étais secrétaire de section) et très vite son nom s'est imposé comme possible n°2 sur la liste, ce qui ne me plaisait qu'à moitié. Outre le fait que j'ai une allergie congénitale aux n°2 en général (voir mon billet du 30 novembre dernier), je n'appréciais pas de voir arriver tous ceux, ils étaient quelques-uns, qui espéraient profiter de notre victoire. A l'époque, en effet, le Figaro donnait Odette gagnante, Xavier Bertrand n'était pas encore une personnalité nationale et, dans l'esprit de beaucoup de Saint-Quentinois, leur ville ne dérogerait pas à la tradition locale aux élections : une fois à droite, une fois à gauche ...

Michel a été mis sur orbite, chargé de lancer l'association Saint-Quentin Oxygène, censée ramener quelques gros poissons de la société civile (puisque l'oiseau rare avait été déniché). C'est à cette occasion, en mars 2000, que j'ai eu mon premier et dernier accrochage avec Michel Garand (et surtout Odette) : j'avais appris dans la presse la création de cette association, alors que j'estimais devoir au moins en être informé directement, en tant que secrétaire de section. Bref, ça n'arrangeait pas les relations entre le bourgeois et moi !

Et puis, mes yeux se sont ouverts, Michel m'a apporté la lumière (peut-être celle qu'il quête dans ses loges ?). Début 2001, chez moi, dans mon petit appartement de la rue des Frères Desains, il m'apprend qu'Odette ne le sollicite plus pour la deuxième place, qu'il n'a plus de nouvelles d'elle, qu'il ne cherche pas spécialement à la contacter. L'ambitieux que je croyais n'en est pas un. Au contraire, il est plutôt cool, détaché et il prononce cette phrase qui est restée gravée en moi : "Tu sais, je n'ai pas l'esprit bourgeois". Abasourdi, j'ai repris un whisky. On ne connaît jamais vraiment les gens, il faudrait s'abstenir de penser quoi que ce soit d'eux.

Du coup, entre Michel et moi, quelque chose désormais nous rapprochait : l'incompréhension commune devant l'attitude contradictoire et périlleuse de la candidate députée (confirmée par le résultat catastrophique des élections). Au bout du compte, nous avons tous les deux été exclus de la liste municipale de 2001. Odette appliquait la stratégie du ni-ni : ni Vatin ni Lançon, ni Garand ni Mousset. Elle ne se sentait bien, en confiance, que parmi les siens, ses fidèles, ses partisans. A sa décharge, elle n'est pas la seule en politique à réagir ainsi.

De ce jour, j'ai découvert en Michel Garand un homme libre, au sens fort du terme, j'oserais même dire au sens maçonnique du terme. Je lui ai depuis conservé ma sympathie, qui n'a jamais été contrariée, y compris jusqu'à ce funeste jeudi soir, celui de ma défaite : il aurait pu m'écraser comme une merde, d'autres n'auraient pas hésité, lui s'est déplacé vers moi pour me tendre la main. Avec lui s'ouvre pour les socialistes, après des années de déchirements (je devrais même peut-être écrire des décennies !), une période d'apaisement et d'ouverture. Je ne ferai rien pour la gêner : si je suis entré avec fracas parce que j'espérais être chef de guerre, je me retire sur la pointe des pieds puisque battu. Je me consacre à ce que je sais faire le mieux puisque j'y réussis, rédaction de ce blog très lu, analyses et idées généralement appréciées, activités associatives qui marchent bien.

La désignation de notre nouveau leader a été précédée par un petit miracle, comme un signe du ciel : la célèbre boîte à chaussures dans laquelle, depuis tant d'années, les socialistes déposaient leurs bulletins, s'est transformée jeudi en belle urne, toute neuve, transparente comme de l'eau de roche, protégée par un cadenas, une urne véritable comme dans une véritable élection ! Pas de doute, les temps changent, mais la mélancolie reste : où est-elle passée, la boîte à chaussures, un peu cabossée, fendue au dessus, renforcée par des bandes de scotch ? Dans une poubelle, une décharge, un grenier ? Il aurait fallu la conserver, l'exposer dans un musée dédié à nos turpitudes récentes et passées.

Et puisqu'il est question de turpitudes, attention à ce début de campagne : Xavier Bertrand, dans L'Aisne Nouvelle de ce matin, riposte, comme il était prévisible, à la remarque de Michel Garand sur la scolarisation de ses enfants ("une attaque odieuse", dit-il). A propos de Michel, de lui et de la franc-maçonnerie, le député-maire annonce "des révélations", "des surprises dans quelque temps". La politique ne s'honore pas dans ce genre d'échanges. Mais ça aussi, c'est peut-être une inévitable histoire d'hommes.

Aucun commentaire: