mercredi 5 juin 2013

L'Europe, Ferreira et moi



Demain aura lieu au parti socialiste un vote sur l'Europe qui ne fera sans doute pas la une de l'actualité. A tort, puisque le rendez-vous est important. L'Europe, c'est le sujet par excellence qui divise les Français ... et les socialistes. Le texte proposé par le parti est accompagné de 13 amendements, dont 4 défendus par l'aile gauche et soutenus par Anne Ferreira. C'est donc, pour la section de Saint-Quentin, un vote dont les résultats seront particulièrement observés (voir mon billet du 11 mai).

Pour ma part, je me prononcerai en faveur de ce texte, qui me convient parfaitement, qui est dans la droite ligne du socialisme français, profondément européen. Quant aux amendements, précieux exercice de la démocratie, je voterai seulement en faveur du premier, présenté par Alain Bergougnioux, Michel Destot, Alain Richard et Bernard Soulage. Pourquoi ce choix ? D'abord parce que ces quatre camarades sont des rocardiens historiques, toujours en pointe sur la question européenne, et que je me sens en phase avec ce courant-là. Surtout, j'approuve le fond de leur court amendement, qui n'est qu'un ajout, un complément au texte initial : il mentionne le concept cher à un autre social-démocrate, Jacques Delors, la "fédération d'Etats-nations", qui rappelle que le fédéralisme est notre objectif, mais un fédéralisme original, à l'européenne, qui compose avec les nations, qui ne les nie pas.

En revanche, en ce qui concerne les 4 amendements d'Anne et de l'aile gauche (n° 4, 8, 10, 13), je voterai contre (les autres amendements, je m'abstiendrai). D'abord parce que trois d'entre eux (le 4, le 8 et le 10) proposent de supprimer carrément des paragraphes entiers du texte, ce qui aboutit à une toute autre philosophie. L'amendement n°4 demande la "suspension" du Pacte de stabilité et de croissance. C'est invraisemblable ! Qu'on puisse en discuter certaines modalités d'application, je ne dis pas non. Mais le "suspendre", ça n'a pas de sens. L'action politique ne supporte aucune "suspension", aucune parenthèse.

Ce que je crois, c'est qu'Anne et ses camarades sont contre ce Pacte, qu'ils n'osent pas s'en prendre directement à lui par crainte de perdre en crédibilité, qu'ils se réfugient donc dans une formule intermédiaire, la "suspension". Ce Pacte, c'est l'esprit de rigueur budgétaire qui inspire aussi la politique de François Hollande et Jean-Marc Ayrault. C'est pourquoi je pense qu'on peut toujours débattre de ses termes, mais pas le "suspendre" (car il se passera quoi pendant que le Pacte sera "suspendu" ? Et combien de temps le sera-t-il ? Les déficits continueront à filer, puisque eux, hélas, rien ne peut les "suspendre").

L'amendement n°10 reprend le terme de "suspension", appliqué cette fois-ci aux négociations pour un accord transatlantique, qui portent sur les échanges commerciaux entre les Etats-Unis et l'Union européenne. Là encore, je me pose la question : "suspendre" en vue de quoi ? Anne et l'aile gauche sont contre le type de coopération qui se met en place entre l'ancien et le nouveau continent : alors, c'est la rupture des négociations qu'il faut réclamer, par leur suspension ! J'admets tous les positionnements politiques, mais pas les mi-chèvre mi-chou qui n'osent pas assumer leur radicalité. Non, les discussions transatlantiques doivent être poursuivies, l'Europe défendant ses intérêts et ses valeurs, et c'est seulement au vu des résultats que nous pourrons nous prononcer sur la ratification ou pas de l'accord.

Le dernier amendement soutenu par Anne Ferreira (le 13) est essentiellement incantatoire. Dire que l'Europe aujourd'hui se construit contre les peuples, c'est faux et c'est dangereux, ça alimente les populismes de tout poil. L'Europe, parce qu'elle est démocratique, résulte du choix des peuples, à l'issue de procédures démocratiques. Arrêtons de faire peur aux gens !

"Oui, nous le savons, l'histoire de l'Europe est faite de compromis et de concessions réciproques. Mais on ne passe pas des compromis sans construire un rapport de force", dit l'amendement. Ah le rapport de force, l'aile gauche et l'extrême gauche ne peuvent pas s'en passer, l'ont sans cesse à la bouche ! Mais ils oublient qu'en démocratie, il n'y a qu'un seul rapport de force qui compte, qui n'est d'ailleurs pas un rapport de force mais l'expression de la souveraineté populaire : c'est le résultat des élections. L'Europe en elle-même n'est ni à gauche ni à droite, mais les majorités électorales de chaque pays qui la constituent, oui. Une fois le vote effectué, c'est la négociation et le compromis qui priment, et rien d'autres.

Je suppose qu'Anne et l'aile gauche imaginent un rapport de force qui se construirait dans la rue, par les mobilisations : c'est le discours de l'extrême gauche, ce n'est pas celui des réformistes. A part des circonstances historiques exceptionnelles et rarissimes, ce qui fait avancer l'histoire, et singulièrement celle de l'Europe, ce n'est pas le rapport de force, c'est la négociation. Et heureusement ! Sinon, jamais l'Europe n'aurait avancé s'il fallait compter sur le fameux rapport de force, qui n'est qu'une chimère, un fantasme de la radicalité.

De plus, l'amendement 13 suggère d'en appeler aux "partis frères" (sic) pour mettre en place ce rapport de force. Bonjour le résultat ! Les "partis frères" sont quasiment tous sociaux-démocrates, et c'est justement ce que leur reproche l'aile gauche du parti socialiste français !

J'appelle mes camarades saint-quentinois à se rendre demain devant notre désormais célèbre boîte à chaussures (clin d'oeil à des billets précédents et articles de presse). Ils voteront selon leur conscience, qui n'a pas besoin de directeur. J'ai fait part de ma réflexion et de mes choix. Vive la démocratie ! C'est mon dernier mot, Jean-Pierre (autre clin d'oeil).

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Il me semble que l'on joue sur les mots. la politique s'organise évidemment autour de rapports de force. l'histoire politique montre que la politique ce n'est que cela.
Mais bien entendu cela n'empêche nullement la négociation et le compromis. C'est ce qui se passe depuis toujours.

De la même façon il est un peu réducteur de dire: un tel est rocardien, je suis rocardien donc je soutiens l'amendement d'un tel.

Emmanuel Mousset a dit…

1- Réduire la politique à des rapports de force, c'est une vision cynique et droitière de la politique, que je ne partage évidemment pas.

2- Il y a antagonisme entre la culture du rapport de force, ou si vous préférez, en langage marxiste, la lutte des classes, et la culture du compromis, qui est réformiste. On peut certes nuancer, relativiser ou atténuer cet antagonisme, on ne peut pas le nier.

3- La politique n'est pas faite de positionnement individuel mais collectif. De fait, je me reconnais dans le courant rocardien, qu'en conséquence je soutiens.

Anonyme a dit…

L Europe est en panne depuis longtemps. Seul le libre échange économique a été instauré.
l Europe, de la protection sociale, de l'énergie, de l'environnement, de la fiscalisation, du droit du travail, du droit penal, de la santé..... n'ont jamais abouti.
Je suis très déçu parl'Europe.
Les Etats qui adherent à l Europe ne sont interessé que par le volet economique et refusent tout compromis qui pourrait en engendrer une perte de souveraineté nationale.