dimanche 9 juin 2013

Extrême et ultra



La mort de Clément Méric est un tragique fait divers, à la suite d'une bagarre dont les circonstances demeurent encore confuses et qui s'est produite dans l'espace privé d'une salle de vente, entre des membres de groupuscules ultra. Voilà ce qu'on peut objectivement en dire. Mais cette mort a été transformée depuis quelques jours en événement politique, parce que BFMTV en a décidé ainsi, comme de bien d'autres faits d'actualité, médiatisés par la chaîne d'informations continues, transformés en spectaculaires événements. La réflexion est mise de côté, le travail de la police n'est pas attendu, ni les décisions de la justice : c'est l'émotion qui prévaut, et BFMTV joue sans vergogne sur la corde sensible. Permettez que je réfléchisse un peu et que je ne répète pas forcément ce qui se dit en boucle à travers les images qu'on nous impose.

D'abord, les commentaires mélangent allègrement extrême gauche et ultra gauche, qui sont pourtant très différentes : l'une est composé de partis bien connus, généralement trotskistes, qui participent aux élections ; l'autre est constituée de groupes informes, idéologiquement mal définis, qui se réclament de l'antifascisme et qui n'hésitent pas à faire le coup de poing contre leurs ennemis. L'extrême gauche n'est pas tendre avec le PS, mais elle ne l'exclut pas des manifestations de rue ; c'est au contraire le cas pour l'ultra gauche, qui rejette sans distinction l'ensemble de la classe politique. Ainsi, lorsque Gérard Colomb et Anne Hidalgo sont venus exprimer leur légitime condamnation de cet acte criminel, ils se sont faits conspuer par les militants de l'ultra gauche et ont dû quitter la place (mais c'est le rejet de Nathalie Kosciusko-Morizet qui a médiatiquement retenu l'attention).

Il y a politiquement pire : l'hyper-médiatisation du fait divers meurtrier a été utilisée par le Front national, dès les premières heures, pour se dédouaner de toute espèce d'extrémisme, renvoyant celui-ci sur la droite ultra, en l'occurrence les JNR, Jeunesses nationalistes révolutionnaires. Marine Le Pen, en qualifiant d'"épouvantable" la mort du jeune Méric, en s'associant à la condamnation unanime, en demandant même, à l'occasion, la dissolution des JNR, s'est décernée un certificat de respectabilité républicaine. Elle poursuit le travail de dédiabolisation entrepris depuis que son père lui a passé le flambeau. Elle aura désormais beau jeu de dire : les fachos, les violents, les extrémistes, c'est pas nous, c'est les autres ! Et le jackpot électoral va continuer à sonner, et une nouvelle barrière de sécurité qui dissuadait une partie des électeurs de voter FN va encore tomber.

D'un côté, on confond extrême gauche et ultra gauche ; de l'autre, on sépare extrême droite et ultra droite : dans les deux cas, on a tort, et le grand gagnant, c'est malheureusement le Front national. Les JNR sont présentées comme un danger pour la République, alors qu'ils ne sont qu'une bande de voyous et d'abrutis dont le nombre ne va pas plus loin que quelques dizaines de personnes dans toute la France ! Le gouvernement fait bien de les dissoudre, tellement eux-mêmes sont dissous dans leurs pauvres têtes, qui finissent par déclencher une violence mortelle. Il faut les traiter pour ce qu'ils sont : des délinquants, et pas autrement, sinon c'est leur faire, involontairement, trop d'honneur.

Le vrai danger pour la République, totalement politique celui-là, est ailleurs : c'est bel et bien l'extrême droite, le FN, et pas la marginale ultra droite, les JNR. C'est lui, et lui seul, que la gauche en particulier doit dénoncer et combattre. C'est le Front national qui draine et qui trompe six millions d'électeurs, qui détourne et qui exploite les voix de notre électorat populaire, qui va constituer pour la gauche un sérieux problème aux élections municipales (je pense bien sûr à ma ville, Saint-Quentin, mais j'y reviendrai). Il y a quelques jours, Jean-Marie Le Pen a tenu réunion à Holnon ; il y a dix ans, au même endroit, sa fille, pourtant alors méconnue, provoquait une manifestation d'une soixantaine de personnes contre elle, à l'initiative du MJS de l'Aisne, dirigé alors par Fatima Carvalho : aujourd'hui, plus rien, pas d'opposition.

Voilà le vrai danger : la banalisation de l'extrême droite, qui fait tout pour ne plus apparaître comme extrême, qui bientôt ne sera peut-être plus de droite puisqu'elle tient un discours social, anti-mondialisation et même anticapitaliste ! Ceux qui ont un peu de mémoire, qui savent ce qu'étaient les années 30 et qui ne se contentent pas de suivre BFMTV, ceux-là savent que ce ne sont que des mots menteurs, que la vraie nature du Front national est contraire aux principes de la République, que les millions de voix qui se portent sur ses candidats sont une catastrophe politique absolue pour la France.

Ne croyez pas que je sois contre la télévision : au contraire, je vous invite à regarder ce soir, sur M6, un excellent documentaire (c'est mon Télérama qui l'écrit !) sur les sympathisants d'extrême droite, "Ils ont voté Front national", à 23h00 (on y parlera aussi du FN en Picardie). Car il n'y a pas que BFMTV dans la vie !

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