vendredi 30 mai 2014

Pauvre République !



La mesure est passée inaperçue. Il est probable qu'elle ne choquera personne. C'est pourtant un événement important, un tournant dans l'histoire de la République, une sorte d'offense ou d'atteinte au régime. La réforme semblera anecdotique : elle est pourtant révélatrice d'un changement de moeurs politiques. C'est un signe des temps, et de mauvais augure. De quoi s'agit-il ? D'une simple modification administrative, d'une petite transformation du règlement intérieur de l'Assemblée nationale : les parlementaires ne pourront plus invectiver bruyamment les orateurs, sous peine de recevoir un avertissement et une sanction en cas de récidive, un retrait sur salaire. C'est la fin de ce qu'on appelle le chahut parlementaire.

Cette mesure devrait normalement déclencher un véritable scandale, susciter un soulèvement démocratique. Hugo, Zola, Gambetta, Clemenceau doivent se retourner dans leur tombe ou dans leurs cendres. Les grands orateurs de la IIIe République, qui se présentaient devant l'hémicycle comme devant un océan dans la tempête, qui le bravaient fièrement, n'en croiraient ni les yeux, ni leurs oreilles : l'interdiction, d'un trait de plume et dans le silence général, d'une institution dans l'institution, la bronca, le brouhaha, la fureur parlementaire.

C'est très grave, d'un sens politique et même philosophique insoupçonné. Sous couvert de discipline, de bienséance, de confort d'écoute des spectateurs (ce sont surtout les séances télévisées qui sont visées), le principe républicain est mis à mal. Réfléchissons. D'abord, si ce chahut parlementaire existait depuis longtemps, depuis toujours, depuis la création de la République, ce n'était pas sans raisons profondes, c'est qu'il était lié à son fonctionnement. On ne met pas impunément un terme à une tradition.

Que signifiait-il ? Que l'enceinte parlementaire n'est pas un lieu sacré, dans lequel les interventions orales exigent le silence, le respect et l'admiration. La chambre parlementaire n'est pas une salle de classe, un temple maçonnique ou un édifice religieux : nul n'y est tenu d'écouter, d'approuver ou de ne pas couper. Au contraire, c'est le lieu d'expression de la souveraineté populaire, qui crie, se révolte ou désapprouve en lisant le journal ou rédigeant son courrier. Vouloir soumettre les parlementaires à des règles de politesse, aux convenances bourgeoises, à un ordre collectif, à une soumission du moins formelle à l'autorité, c'est faire un contresens sur l'institution, c'est fausser sa représentation aux yeux des citoyens, c'est détériorer encore plus l'image de la République, en croyant banalement la restaurer.

Qu'est-ce que la République ? Un régime qui établit les désaccords, qui reconnaît les conflits, qui admet la diversité des opinions, qui fait de tous ces inconvénients des avantages, qui transforme ces freins en moteur de la vie publique. Le chahut parlementaire en est la vivante et criante illustration. Un Parlement sans pupitres qui claquent, sans noms d'oiseaux qui volent, sans orateurs empêchés de poursuivre parce que le ton monte comme la houle, c'est la fin du Parlement.

L'hémicycle, c'est le réceptacle, le défouloir, la purgation de toutes les passions politiques. Si vous le normalisez, l'aseptisez, le mettez sous antidépresseurs, vous verrez ces mêmes passions resurgir et éclater ailleurs, dans la rue par exemple. L'une des raisons, ce n'est hélas pas la seule, de l'incroyable et dramatique succès du Front national dimanche soir, c'est que le langage politique s'est technocratisé, lissé, dépassionné : la violence, inhérente à l'activité politique, est désormais le fait presque exclusif des extrémistes, au premier chef de l'extrême droite. Beaucoup de Français se reconnaissent plus facilement dans une parole vivante, fougueuse, imagée, au contenu hélas détestable.

La répression du chahut parlementaire va dans le sens de l'antiparlementarisme. Autrefois, on s'amusait des roupillons de Raymond Barre sur son siège. Ce n'était pas bien méchant. Un degré supérieur a été atteint avec les images d'un hémicycle déserté lors de certaines séances, alors que l'explication ne devait rien à un coupable absentéisme mais au travail en commission qui, lui, n'est pas public. C'était déjà progresser dans l'antiparlementarisme ordinaire. Avec les protestations devant la zizanie parlementaire qui ont conduit à son interdiction, nous atteignons un triste sommet. Qu'on se souvienne qu'un sale petit film de propagande, tourné sous le régime de Vichy, montrait le Parlement peuplé d'animaux s'agitant et hurlant : déjà, les antirépublicains de l'époque n'aimaient pas. C'est dommage qu'aujourd'hui, d'une certaine façon, on leur donne raison. Pauvre République !

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous admettez donc qu'un député imite la poule quand une dame ministre s'exprime .. Et ce n'est pas le seul exemple de ce type ...
Vous qui êtes au côté des mouvements féministes ;c'est un virage à 180 degrés .. Expliquez vous , tout n'est jamais tout blanc ou tout noir ..

Emmanuel Mousset a dit…

Un comportement imbécile ne condamne pas une tradition précieuse.

Erwan Blesbois a dit…

On vit dans une société totalement aseptisé, où règne le "politiquement correct", cette mesure en est l'illustration. Les Français ne veulent plus se mouiller en rien, les Françaises notamment ne veulent plus baiser, car pour elles c'est "se faire baiser". Par contre les Français passent leur temps à critiquer, au rythme des sondages, confortablement installés dans leurs petits canapés, en bons petits bourgeois passifs, discrets, avec leurs petites valeurs de passivité, de discrétion, de calcul et de mépris de "l'Autre". L'action politique est bien ingrate, qui consiste à s'exposer, c'est faire preuve de virilité. Mais la société française qui est une femme, ne supporte plus une certaine forme de virilité, est totalement castratrice. La société ne veut plus agir, plus question de jouir, elle préfère castrer : le terrain est effectivement propice à la montée du FN. Ce n'est pas un hasard si c'est une femme qui porte les valeurs petites bourgeoises de rejet de l'autre.

Emmanuel Mousset a dit…

C'est du Zemmour ... sauf la fin ! Conchita Le Pen ? Le leader du FN a des allures et des brutalités d'homme, alors qu'à l'Eurovision triomphe un homme adoptant douceur, tolérance et esthétique d'une femme ... à barbe. Rome n'est plus dans Rome, comme disait l'autre ...