vendredi 30 mai 2014

Mourir à 53 ans



J'ai appris, stupéfait et attristé, la mort de Thierry Lefèvre, ancien maire de Pontruet, conseiller général et homme de gauche. La dernière fois où je l'ai aperçu, c'était au Salon du Livre de Noël, à Saint-Quentin, quelques semaines après sa tentative de suicide. Une mort naturelle, a dit le médecin : c'est une expression légale à laquelle on se fait difficilement. Toute mort semble prématurée, inacceptable, dramatique, pas naturelle, mais encore moins quand elle frappe un homme de 53 ans.

Je laisserai à d'autres, plus informés que moi, faire demain le bilan de l'action de Thierry Lefèvre. Mais lorsqu'on se fait élire maire et conseiller général, qu'on devient vice-président de l'assemblée départementale, c'est qu'on a réussi sa vie politique. Et je sais que Thierry était très apprécié par la population, qu'il bénéficiait d'une vraie popularité. L'affaire de Valor'Aisne l'avait, de fait, beaucoup affecté. Mais ce n'est après tout qu'une affaire parmi d'autres, auxquelles beaucoup d'hommes politiques sont confrontés dans leur carrière, et qui jusqu'à présent n'a pas eu de suites publiques. Lui n'a sans doute pas vécu les choses comme ça, mais plus douloureusement.

Cette disparition qui accable et émeut me conduit à livrer quelques pensées sur la fragilité de l'homme politique. C'est un monde où il faut être inoxydable, le plus cruel des mondes, parce que tout ou presque est permis et que tout ou presque est public (c'est la grande différence avec le monde privé ou professionnel, qui ne sont pourtant, eux aussi, pas toujours très tendres, les êtres humains étant ce qu'ils sont). Celui qui s'engage dans le combat politique sait normalement que ce sera très difficile, que rien ne lui sera épargné (c'est pourquoi très peu finalement font le pas, sachant qu'ils ont plus à perdre qu'à gagner). A mon petit niveau, je vois bien à quel point il est difficile, sinon impossible, de maintenir le débat politique à une confrontation d'idées, sans glisser dans les attaques personnelles, plus ou moins féroces.

Mais l'homme politique aura beau être politique jusqu'au bout des ongles, il ne cessera pas d'être un homme, avec ses fragilités, ses faiblesses, parfois son désespoir. La journaliste Christine Clerc vient de publier un livre révélant que le grand De Gaulle avait songé mettre fin à ses jours, de découragement. On sait aussi que François Mitterrand, après l'affaire de l'Observatoire, avait de sombres idées en tête. Même les plus forts ont failli craquer.

Je laisse au décès de Thierry Lefèvre, mon camarade et mon collègue, tout son mystère, que nous devons respecter, et ne même pas chercher à interroger. Mais une part de moi-même se révolte, n'accepte pas cette mort, la juge anormale, toute naturelle qu'elle est. J'imagine, je suppose la solitude et la souffrance de Thierry, de cette fin de vie. On se sent impuissant face à ces choses-là, on se scandalise du cours irréversible de l'existence. Comme j'ai horreur des formules convenues ou des hommages de rigueur en pareilles circonstances (ils sont pourtant inévitables et nécessaires, comment faire autrement ?), j'ai voulu livrer ce soir ce que j'avais sur le coeur, cafardeux, irrationnel : non, mourir à cet âge, à mon âge, ce n'est pas possible, ce n'est pas naturel, même quand c'est explicable. Salut Thierry !

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