vendredi 2 mai 2014

Hitler, Mussolini, Le Pen



J'ai conscience que le titre de ce billet est scandaleux, inacceptable pour bien des gens, et je ne parle même pas des frontistes : la filiation Adolf Hitler, Benito Mussolini et Marine Le Pen semble fausse, caricaturale et pour certains, je n'en doute pas, odieuse. Pourtant, il y a 40 ans, elle était naturelle, spontanée, irréfléchie : Le Pen = facho, ça allait de soi, y compris pour des gens de droite, qui estimaient que l'extrême droite était infréquentable, extrémiste, dangereuse, étrangère à leurs valeurs. Je suis resté fidèle à ces années-là, 1970-1980, où l'équation FN-fascisme était évidente à tous. Quand je vois le meeting d'hier de Marine Le Pen, son esthétique, sa tonalité, ses thèmes, je me sens totalement conforté dans mon point de vue : oui, ces gens-là sont des fascistes, au fond d'eux-mêmes, malgré toutes les précautions qu'ils prennent à ne pas le paraître.

Sauf qu'aujourd'hui, en 2014, il faut expliquer, argumenter, ce que je fais bien volontiers, puisque manifestement le suffrage universel, qui donne désormais et depuis pas mal de temps déjà des millions de voix au FN, agit comme un essorage : l'extrême droite a été purgée de son eau sale, le fascisme, elle est maintenant propre comme un sou neuf. Mais c'est faux, la crasse fasciste est toujours là. Entre Jean-Marie et Marine, il n'y a pas eu évolution, encore moins transformation, mais au contraire régression : le père incarnait l'extrême droite traditionnelle, réactionnaire ; avec la fille, c'est un retour aux pures sources du fascisme, même si cette affirmation prête à sourire ou à douter. J'ai six arguments, que je vous demande de méditer :

1- La quête du pouvoir. Jean-Marie Le Pen n'a jamais cherché à exercer le pouvoir suprême, mais à témoigner de l'existence de sa famille idéologique, à contester ce système politique qu'il abhorre et qui le lui rend bien. Le père est foncièrement un marginal, un groupusculaire, un provocateur ; la fille, au contraire, lisse son discours, parce qu'elle veut parvenir aux plus hautes responsabilités. C'est le premier trait commun à tous les fascismes, qui visent sans exception à s'emparer du pouvoir.

2- La voie légale. Quand on me dit que le FN n'est pas fasciste puisqu'il est légaliste, qu'il respecte les lois de la République, j'éclate de rire. Les fascismes agissent tous ainsi, dans le respect de la légalité, renonçant à leur violence originelle pour se faire pacifiquement accepter. Hitler, après l'échec de son putsch, se présente aux élections, en bon démocrate, et se fait élire dans les formes... Le fascisme est une vermine qui se développe dans le corps de la démocratie.

3- La nouveauté et la jeunesse. C'est une caractéristique du fascisme : être en rupture avec les doctrines qui le précèdent, faire appel à la jeunesse pour se refaire une virginité, paraître étranger aux polémiques du passé. Marine Le Pen dit volontiers qu'elle n'était pas née, lorsqu'on lui demande de se positionner sur les événements tragiques de l'Histoire, Seconde guerre mondiale, etc. Jean-Marie Le Pen assume plus volontiers ses filiations historiques, régime de Vichy et Algérie française, le corpus idéologique traditionnel de l'extrême droite. Sa fille se présente comme politiquement vierge, sans aucune référence, ou presque. Les grands chefs fascistes réagissaient de même. Ils prenaient soin de se distinguer de la vieille droite réactionnaire.

4- Ni droite ni gauche. Initialement, ce positionnement n'est pas réservé aux centristes mais ... aux fascistes. C'est la thèse, très pertinente, que défend depuis longtemps l'historien américain Zeev Sternhell, qui en a fait un ouvrage portant ce titre. Jean-Marie Le Pen s'est toujours défini comme appartenant à la "droite nationale", se prétendant porteuse des véritable valeurs de droite, une droite pure en quelque sorte. Marine Le Pen refuse de s'inscrire dans ce clivage traditionnel, qui est encore à ses yeux une marque du système.

5- L'appel aux technocrates. Alors que Jean-Marie Le Pen s'entouraient de vieux briscards de l'extrême droite, soldats perdus de l'OAS, nostalgiques de Pétain, dévots de l'Ancien Régime, catholiques intégristes, Marine Le Pen va chercher des collaborateurs propres sur eux, au passé irréprochable, des diplômés, des intellectuels, au sein d'une famille politique plutôt habituée aux grandes gueules. Les fascismes procèdent identiquement : Hitler va préférer l'architecte et ingénieur Speer au fanatique Rohm, qu'il va faire assassiner. Comme tout fascisme, le FN s'intellectualise, se technocratise pour se crédibiliser.

6- Le gauchissement de la doctrine. Tout fascisme reprend à la gauche certains de ses thèmes. Hitler va inventer le national-socialisme, un courant qui se veut révolutionnaire. Marine Le Pen récupère des notions qui étaient absolument étrangères à son père : la laïcité, le protectionnisme, l'anticapitalisme. A l'origine et pendant longtemps, le FN a brandi le concept de capitalisme populaire, s'est inspiré de l'ultra-libéralisme reaganien et thatchérien. Nouvelle confirmation d'un tournant, d'une fascisation du Front national sous la direction de Marine Le Pen. La fille, c'est le père en pire. Lui, c'était l'héritage de Franco et de Salazar ; elle, c'est clairement la filiation Hitler-Mussolini.

Mais elle ne ressemble ni à l'un, ni à l'autre, me direz-vous : elle ne tient pas un discours ouvertement antisémite, elle ne prétend pas faire la guerre. Oui, je sais, Marine Le Pen ne porte pas de petites moustaches ni ne donne des coups de menton. Mais le fascisme, ce sont des idées dans la tête, adaptées à leur époque, comme déjà Hitler et Mussolini savaient très bien accommodés leurs propos à l'air du temps : Mussolini passait volontiers pour un homme de gauche et Hitler pour un pacifiste. Car c'est ça le fascisme : ne jamais se montrer tel que l'on est.

Si Marine Le Pen est fasciste, c'est aussi pour des raisons spécifiquement nationales : Zeev Sternhell explique dans ses travaux que le fascisme n'est pas une spécificité italienne ou allemande mais ... française, à la fin du XIXe siècle. Marine Le Pen est donc dans son élément ; elle fait remonter à la surface un fond idéologique très ancien qui est familier à notre pays, aussi étrange que cela puisse paraître. C'est pourquoi je vous recommande l'excellent dernier numéro de Philosophie magazine, qui développe cette idée avec beaucoup de sagacité (en vignette). J'en retiens un seul extrait, de Michel Eltchaninoff (p. 51) : "Marine Le Pen conserve, consciemment ou non, tous les canaux sémantiques de la pensée fasciste traditionnelle : détestation et criminalisation des élites, réveil d'émotions violentes, théorie du complot, défense des valeurs traditionnelles, peur de la dénaturation et appel à la saine réaction du peuple français. Les mots n'y sont plus guère, mais la structure demeure". Tout est dit.

La gauche a commis l'erreur de sous-estimer le danger FN. Quelques-uns ont succombé à la tentation folle, irresponsable et vaine de l'instrumentaliser. Beaucoup le considèrent encore comme un mouvement de protestation sociale, de colère populaire. Non, ce n'est pas ça : le vote FN, c'est une adhésion à des valeurs fascistes, d'ordre, d'autorité, de xénophobie, sous couvert de préoccupations sécuritaires et sociales au demeurant parfaitement légitimes. Hitler et Mussolini étaient populaires auprès de millions de braves gens et souvent de pauvres gens qui n'auraient pas fait de mal à une mouche. Leur mouvement n'en était pas moins fasciste. Ce mot de fasciste, il ne faut plus que la gauche ait aujourd'hui peur de l'employer, de culpabiliser à son énoncé. Un social-démocrate, beaucoup de nos concitoyens ne savent pas très bien ce que c'est ; mais un facho, pas besoin de faire un dessin, tout le monde comprend. Le Pen fasciste, c'est le cri qui doit retentir sur son passage, qui n'aurait jamais dû cesser d'être sur nos lèvres.

12 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Il est indéniable que ton adversaire c'est le fascisme. Quand tu parles du fascisme, tu prends des accents fanatiques. Penser que la France est le berceau du fascisme comme le disent BHL et toi, c'est quand même dur à avaler et selon moi injuste. Hitler était allemand, ce qui explique la dureté du fascisme allemand, c'est la dureté de l'éducation prussienne, qui sera au fond reprise comme modèle par Kant : avec son combat contre les inclinations naturelles. A force d'avoir une éducation inhumaine, on a des fascistes : et cela est propre à l'Allemagne et à Kant, et à l'éducation prussienne; ce n'est pas le problème des Français, qui feraient bien de se méfier de Kant comme modèle éducatif. Kant dit des choses très intéressantes, mais sa morale est inhumaine et ne peut déboucher que sur la monstruosité. Cela dit je ne voterai pas Le Pen, et ne le conseille à personne. Je préfère rester sobre sur le sujet.

Emmanuel Mousset a dit…

C'est très étrange cette façon que tu as d'identifier l'assurance dans les convictions, l'intransigeance dans certains jugements à du fanatisme, et même à de l'inhumanité. Je suppose que pour toi l'humanisme est dans la mollesse, l'incertitude et l'indécision ...

Erwan Blesbois a dit…

Je vais te dire : mes grands-parents paternels et maternels ont fait la guerre. Comme beaucoup ils ont été faits prisonniers en 1940, libérés en 1945. Ma grand-mère paternelle s'est remariée à un grand résistant, décoré de l'ordre national du mérite sous Mitterrand, qui a fait toute la guerre de 39 à 45, dans les forces françaises libres sous l'autorité de de Gaulle, d'Afrique du Nord jusqu'en Allemagne. Mes grands oncles bretons étaient farouchement "anti-boches", se sont engagés dans la résistance, et ont même tué assez sauvagement un collabo à mains nus. Je constate que la France a bien marché sous de Gaulle qui était un rassembleur. La guerre est terminée depuis 70 ans, tout un tas d'hypocrites dont les parents ou grands-parents étaient collabos, sont farouchement anti-français dans le sillage de BHL, si il n'est pas content, il peut aller en Angleterre ou aux Etats-Unis. A part ça je n'ai rien contre lui mais contre son écrit : "l'idéologie française". Cela suffit de remuer la merde, de faire culpabiliser tout le monde. Nous vivons dans un monde terrorisant où tout le monde est suspecté de racisme et d'antisémitisme avant même de savoir penser. C'est trop facile et innefficace. Résultat : 20% de gens qui votent Le Pen. Il faut changer de méthode. Mais je n'ai pas de réponses.

Emmanuel Mousset a dit…

Etrange encore que tu fasses une fixette sur BHL, qui ne fait que reprendre des travaux d'historiens sur des pans méconnus de notre récente histoire. Tu y mets de la morale : contente-toi d'un regard scientifique, détaché, objectif.

Erwan Blesbois a dit…

Tu devrais dire suspecte la fixette. J'avoue je suis un peu jaloux, mais c'est humain n'est-ce pas? Il y a plein de livres de BHL que j'aime bien. Je trouve ce type quand même assez courageux.

Erwan Blesbois a dit…

Mais cela fait un peu police de la pensée. Dis-moi comment tu penses et je te dirai si tu es raciste ou antisémite. J'ai déjà eu droit à ce genre d'interrogatoire, c'est un peu facile et innefficace, je sais depuis longtemps que tu es un spécialiste. Je me demande dans quel camp tu aurais été sous Vichy ?

Emmanuel Mousset a dit…

Il est évident que nos pensées trahissent nos pulsions intimes. Pas besoin d'"interrogatoire" pour ça (mais je suppose que tu fais référence à ton psy ...).

"Police de la pensée", c'est une expression contradictoire dans les termes : la police ne s'intéresse pas aux pensées mais aux actes ; la pensée est rebelle à toute forme de police.

Quant à Vichy, mon billet témoigne de mes choix.

Erwan Blesbois a dit…

"Police de la pensée" : il me semble que beaucoup d'idéologies ont essayé de rééduquer la pensée. Notamment les communistes et Pol Pot en transposant les villes à la campagne. Tout idéologue est un peu un flic de la pensée. Toute idéologie cherche à rééduquer.

Emmanuel Mousset a dit…

Les idéologues ne sont pas des penseurs. Ce sont des policiers tout court. Des apparatchiks.

Erwan Blesbois a dit…

L'idéologie dominante actuelle est heureux les très riches et les élites, vous n'avez pas à partager, ni à culpabiliser, continuez à vous enrichir. Heureuses les classes populaires, vous avez des circonstances atténuantes, on va vous aider, on vous aime. Quant aux classes moyennes, 70% de la population, vous êtes vraiment de la merde, vous ne ressemblez à rien, vous êtes suspectes à la naissance de fascisme en puissance.

Anonyme a dit…

Pourquoi allez vous chercher comparaison avec de vieux dictateurs disparus.
parlons de ceux qui sont reçu avec faste a l' Elysée : le roi du Bahreïn, le président Ali Bongo, le prince héritier d abou Dhabi, Abdallah II de Jordanie....
rien ne peux justifier de recevoir avec fastes ces personnages sordides et criminels .
on pourrait quand même discuter avec eux sans sortir le tapis rouge et les ors de la république.
si au plus haut sommet de l état on s'accommode des tyrans alors comment condamner le petit citoyen qui vote pour une blonde qui na jamais que débité des imbécilités dans des micros.
il faut de la cohérence.

Erwan Blesbois a dit…

Ce qui fait ta qualité : c'est que tu en veux, que tu as des couilles. Pour ce qui est de mon humanisme mou, eh bien je ne suis même pas humaniste : ce qu'il y a de meilleur en l'homme c'est le chien, comme le pensent Schopenhauer et Houellebecq. Un chien ne vous trahit jamais, il sera toujours fidèle, il vous aime sans condition. Un chien est plus kantien que l'homme.