vendredi 23 mai 2014

Le choix de dimanche



Dans quelques heures, la campagne pour les élections européennes prendra fin. Son dénouement peut être dramatique, si dimanche soir l'extrême droite arrive en tête. L'anti-Europe s'est tellement installée dans les esprits ! J'ai le sentiment que le vrai débat n'a pas eu lieu. On ne devrait pas se demander si on est pour ou contre l'Europe, mais quelle Europe nous voulons (pour ou contre, c'est une logique de référendum, pas d'élection, où il faut faire des choix entre des projets). Que les extrémistes aient donné le ton et les thèmes de la campagne, c'est dramatique.

Le véritable choix passe par deux textes de référence, entre lesquels il faut trancher : la tribune au Monde de François Hollande le 8 mai dernier, la tribune au Point de cette semaine par Nicolas Sarkozy. Les deux conceptions de l'Europe, les voilà ; le reste, c'est n'importe quoi. Dans son texte, le chef de l'Etat a eu cette formule fondamentale : "L'avenir appartient aux continents". Il faut en effet penser l'Europe en tant que continent, non plus seulement en tant qu'occident. Par conséquent, il faut assumer et inclure sa partie orientale et russe. Ce qui compte, ce n'est pas tant l'Europe économique que l'Europe politique.

Nicolas Sarkozy n'est pas du tout dans cette logique-là. Dans Le Point, il a cette incroyable formule : "Il n'y a plus une Europe, mais deux", c'est-à-dire les 18 pays de la zone euro et les 10 autres, que l'ancien président de la République maintient dans une sorte de périphérie. Il a aussi ce jugement qui a le mérite de la clarté : "Nous devons cesser de croire au mythe de l'égalité des droits et des responsabilités entre tous les pays membres". Pourtant, rien de grand ne se fait en politique sans des mythes fondateurs, qui passent ensuite dans la réalité (ainsi l'idée de République).

Nicolas Sarkozy est pour la petite Europe. Ce n'est pas encore Laurent Wauquiez, qui veut carrément revenir à l'Europe des 6, mais l'inspiration n'est pas si éloignée. D'autant que l'ancien chef de l'Etat veut concentrer le coeur de l'Europe sur le couple franco-allemand. C'était très bien il y a quelques décennies, mais l'Europe a évolué depuis. Je suis pour une grande Europe, une et indivisible, pour reprendre la maxime de la République française. L'idée d'une Europe à deux vitesses ou à cercles concentriques me révulse : ce sont des tue-l'Europe, comme il y a des tue-l'amour.

En matière d'institutions, je n'adhère pas non plus aux propositions de Nicolas Sarkozy, dont la plus surprenante est de réduire de moitié les compétences de la Commission européenne pour les transférer aux Etats. C'est l'Europe à reculons ! S'en prendre à la Commission, c'est abonder dans le sens des anti-européens, qui ont fait de cette institution leur bête noire. Absence aussi de pédagogie de la part de Sarkozy, lorsqu'il laisse passer, dans sa tribune, le préjugé d'une "bureaucratie" européenne (alors que les fonctionnaires européens ne sont pas très nombreux, en comparaison avec l'espace qu'ils couvrent). Au fond, je me demande s'il est très européen. L'UMP demeure marquée par une tradition de méfiance, sinon d'hostilité envers l'Europe.

Le problème des institutions européennes, c'est celui de son exécutif, qui n'est pas suffisamment fort. Je ne crois pas que la difficulté vienne du Parlement, même s'il faut accroître ses pouvoirs. Le plus important, c'est de donner à l'Europe une véritable autorité politique, un leadership. Plus tard, quand l'intégration européenne sera beaucoup plus avancée, il faudra penser à un président de l'Europe élu au suffrage universel. Pour l'instant, c'est prématuré. Le pouvoir exécutif, actuellement, est du côté de la Commission européenne, qui a connu par le passé de très grands commissaires, Jacques Delors par exemple. Mais qui se souvient de grands noms du Parlement européen ?

Le scrutin de dimanche consacrera à ce propos un changement important : le président de la Commission européenne sera désigné par les électeurs, en même temps que les députés (avant, c'était les chefs d'Etat qui le nommaient). Il y a donc un progrès, dans le sens du renforcement politique et démocratique de la Commission.

En parcourant la presse locale, j'ai été surpris par la prise de position de Pierre André, dans L'Aisne nouvelle d'hier : "Je ne fais pas partie des eurosceptiques ou de ceux qui pleurent. Je suis partisan de plus d'Europe". Je m'attendais de sa part, vieux gaulliste qu'il est, à plus de réticences ou de réserves à l'égard de l'Europe. En revanche, la déclaration de Jérôme Lavrilleux lors de sa réunion publique de jeudi à Omissy (rapportée par le Courrier picard d'hier) ne prouve pas un engagement européen très enthousiaste : "Je ne suis pas un eurobéat, mais pas non plus un anti-européen. L'Europe fédérale n'est pas mon rêve, mais je ne suis pas souverainiste (...) Moi, je suis un euroréaliste et un euroexigeant". Ce ni-ni qui débouche sur une position a minima n'est pas ce dont l'Europe a besoin : d'un élan, d'un optimisme, d'une ambition. Moi, je suis eurobéat et je rêve de fédéralisme !

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