lundi 19 mai 2014

Saint Jérôme ou Dreyfus ?



Drôle de scène hier soir, vers minuit, sur BFMTV : Jérôme Kerviel marche en direct dans un tunnel, main dans la main avec un prêtre, reconnaissable à son col romain. C'est l'issue de plusieurs semaines d'escroquerie médiatique habilement conduite par un escroc financier qui veut aujourd'hui se faire passer pour un héros. L'affairiste nous laisse maintenant croire qu'il est une victime du système dont il a profité. Il s'est refait une gueule d'ange, très télégénique, en allant à Rome, puisque Kerviel a manifestement connu son chemin de Damas. Tout ça est fou, aberrant, manipulateur.

Jérôme Kerviel dit respecter les décisions de justice ... mais en même temps prétend qu'elles sont injustes. Ce n'est pas cohérent. Le comble : il demande l'intervention de François Hollande, s'opposant ainsi au principe d'indépendance. Un jour, Kerviel évoque une possible grâce présidentielle, un autre jour, il y renonce. Avant-hier, il prétendait ne pas fuir la justice de son pays ; hier, il restait à la frontière, laissant penser qu'il hésitait ; cette nuit, il s'est finalement rendu à la police : en vérité, son unique souci, c'est de gérer au mieux la médiatisation de son affaire et de son image, et il faut reconnaître qu'il s'en sort très bien.

Le plus étonnant n'est pas qu'un homme cherche à échapper à la prison et suscite dans ce but l'intérêt des médias sur lui, mais ce sont les soutiens qu'il s'est attiré. Ce prêtre qu'on ne connaît ni d'Eve ni d'Adam, est-il mandaté par son Eglise, engage-t-il l'institution ou agit-il à titre personnel ? Le pape semble avoir été enrôlé dans cet étrange combat d'un individu pour sa propre liberté. Plus étonnant encore, stupéfiant même, c'est le soutien du Front de gauche et de Jean-Luc Mélenchon, en une nouvelle et inattendue version de l'alliance du sabre et du goupillon. Si Kerviel était devenu un révolutionnaire contestant le système financier dont il a été l'un des maîtres, il aurait rejoint le NPA, LO ou un groupe anarchiste : c'est très loin d'être le cas.

Sur ce coup, Jean-Luc Mélenchon, en rapprochant Jérôme Kerviel du capitaine Dreyfus, a été grotesque. Voilà ce qui finit par arriver lorsqu'on se croit le fils légitime de Victor Hugo et d'Emile Zola, alors qu'on n'en est que le bâtard. Dreyfus était la pure victime d'un complot politico-militaire et d'une campagne antisémite. Il s'est montré d'une grande discrétion, quasiment d'un certain fatalisme durant son drame personnel qui a déchiré la France entière. Rien à voir, strictement rien à voir avec l'affaire Kerviel. Mélenchon, qu'on dit pourtant cultivé, a été complètement anachronique, hors-sujet, déplacé dans son analogie.

Jérôme Kerviel est ce soir en prison, et ce n'est que justice. Les tribunaux l'ont décidé, il faut respecter la sanction. Mais, humainement, il n'y a pas à se réjouir qu'un homme perde sa liberté. Il faut au contraire souhaiter que son comportement se montre exemplaire et que sa peine soit réduite, comme le permet la législation. La justice est forcément inflexible, mais elle doit rendre possible la réparation. De même, il n'y a pas à se moquer de l'apparente conversion religieuse de Kerviel : nul ne peut juger de ce qui se passe dans les coeurs, et je crois en la rédemption. Mais je n'aime pas trop que Jérôme devienne saint Jérôme. La foi a sûrement une dimension surnaturelle et miraculeuse, mais à la différence du Saint-Sacrement, elle n'a pas à être portée en ostensoir, sinon cette exhibition la rend suspecte.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous occultez la responsabilité de sa hiérarchie: dans n'importe quelle entreprise un responsable financier a des butoirs et ses responsables les surveillent en permanence ; il n' y a que 2 hypothèses ..
La première ; ses supérieurs très contents de ses performances ne surveillaient que la progression de ses gains et pas ses positions ..
La seconde et sans doute la plus vraisemblable ; ils étaient incompétents , sans doute arrivés par piston à ces places et nuls en informatique , ce qui se voyait encore il y a quelques années un peu partout ...
On ne peut dire qu'il était le seul responsable ... Et cela va continuer à alimenter le débat !!
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Anonyme a dit…

Les Jérôme ( s ) sont décidément dans une actualité très criante et dans une position peu confortable ....

Martyrs ou saints , l'avenir nous le dira ...

Anonyme a dit…

je pense qu'il est tout autant escroc que les autres traders en France et dans le monde.
ils sont formés pour prendre des risques, jouer, parier et gagner sans scrupules.
ce qui me dérange c'est la façon dont sa banque se défausse, et refuse de reconnaitre sa responsabilité.
Nous sommes nombreux à croire que cet homme est aussi une victime d'un système de formation et de pratiques bancaires peu scrupuleuses.
il n est pas condamné pour enrichissement personnel donc pour moi il ne mérite pas la prison.
la prison doit être réservée à ceux qui représente une menace de violence à autrui.
quand au comportement des medias c est simplement le degrés zéro du travail journalistique.

Erwan Blesbois a dit…

Mais enfin quel modèle de société veux-tu ? Notre société a besoin de héros, Kerviel est un de ces héros.
Cite moi toi un héros que tu admires, ou alors estimes-tu que nous n'avons pas besoin de héros ?

Emmanuel Mousset a dit…

Kerviel, un zéro, sauf en milliards. Mais la société a les héros qu'elle mérite, autrefois les saints, les savants et les aventuriers. Aujourd'hui, nous vivons dans un monde d'anti-héros. Mes modèles, je suis donc obligé d'aller les chercher dans le passé. Mais il y a aussi la longue liste encore actuelle des héros anonymes, qui ne demandent pas à ce qu'on les admire.

Erwan Blesbois a dit…

C'est vrai que notre société est assez nulle. Mais je soutiens que c'est la faute au libéralisme économique : qui a détruit les représentations littéraires pour les remplacer par des représentations médiatiques. L'école est complice d'une logique de rentabilité et non plus de contemplation. On ne demande plus aux enseignants de transmettre une culture mais des savoir-êtres et des savoir-faires.
Dans un monde de logique rentable, les héros sont des criminels, comme Lacenaire fut le héros des "enfants du paradis", une des figures du triptyque, l'artiste, le séducteur et le criminel, forment trois possibles d'un même type : la conscience. Donc Mesrine comme avatar de Lacenaire et de Robin des bois et Kerviel, sont des héros. Quand le monde est corrompu tout marginal qui va au bout de sa logique est un héros. Et je soutiens que notre monde est profondément corrompu, j'ai expliqué pourquoi : à cause notamment du narcissisme des Français qui avant 1914 ont préféré s'allier à l'Angleterre plutôt qu'à l'Allemagne, qui en tant que puissance continentale supérieure poursuivait le même idéal que la France sous Napoléon : l'idéal européen.

Erwan Blesbois a dit…

Qui porte aujourd'hui l'idéal européen ? Les Russes ont gagné la guerre contre les Allemands, il est donc normal qu'ils fassent preuve de fierté avec Poutine à leur tête. Toutes les tentatives de balkanisation de la Russie au nom des soi disant droits de l'homme, sonnent l'éternelle victoire de l'Angleterre, puis des Etats-Unis sur l'Europe. Peut-être que l'Europe n'est pas légitime à porter l'idéal de l'humanisme, et que ce rôle ne peut-être dévolu qu'aux puissances maritimes, Angleterre, puis Etats-Unis, Australie et Canada, comme le pense Glucksman, car incapables de fascisme toujours selon le même Glucksman.

Erwan Blesbois a dit…

Pascal Bruckner est vraiment un type sympa qui se prend beaucoup moins la tête que Finkielkraut. Son père à Pascal Bruckner était un type humain, malgré des idées extrêmes. On voit que Pascal Bruckner a au fond été aimé dans sa famille, et cela se ressent dans toute sa littérature, qui est une littérature de la joie et de l’espièglerie. Le pauvre Finkielkraut qui a bénéficié de conditions familiales plus sérieuses et plus résilientes au départ, n'a pas su prendre assez de recul, et embringué dans la lutte contre "la barbarie" a tendance à jeter le bébé avec l'eau du bain : c'est-à-dire la jeunesse, qui est au fond plus victime du système libéraliste, que responsable de son destin : quant à l'immigration massive, c'est un avatar de la logique de rentabilité, finalement propre au protestantisme. Une des figures de la puissance maritime foncièrement anti-européenne que représente l'Angleterre (L’Angleterre en tant que type représentant les Etats-Unis, l'Australie et le Canada).

Erwan Blesbois a dit…

Quant à l'immigration massive, c'est un avatar de la logique de rentabilité, finalement propre au protestantisme, qui ne s'est pleinement épanoui qu'outre atlantique. Le protestantisme, et sa liberté individuelle de conscience, et sa notion de salut réservée aux élites est une des figures de la puissance maritime foncièrement anti-européenne que représente l'Angleterre (L’Angleterre en tant que type représentant les Etats-Unis, l'Australie et le Canada).