mardi 20 mai 2014

Panpan cucul



A l'occasion du débat parlementaire sur la famille, un vieux serpent de mer est réapparu, ravivant les sentiments anti-européens. A cinq jours du scrutin, ça tombe bien, parlons-en ! Il s'agit de l'interdiction de la fessée, directive européenne à laquelle la France résiste, et qui prouve tout simplement que la construction européenne, ce serait la destruction de la famille ! Ne croyez pas que j'ironise ou exagère : les nombreux sites internet anti-européens décrivent fréquemment l'Union européenne comme un ensemble bureaucratique, totalitaire, soviétique, normatif et donc liberticide.

Stupide, absurde, ubuesque avec ça : l'Europe voudrait nous imposer des oeufs carrés, des poulets truffés à la javel, des boeufs bouffis d'hormones et un monde où les parents iraient en prison pour avoir donné une petite tape à leur enfant. Les pères fondateurs ne sont plus Schuman, Adenauer et Monnet, mais carrément Hitler, Staline et Mao ! Encore une fois, je ne fais que relater l'état d'esprit qui règne chez beaucoup d'anti-européens, dont les "arguments", sous un faux air de bon sens, sont largement diffusés, repris et admis dans l'opinion.

Les pro-européens auraient tort de laisser faire, de hausser les réponses, d'en rester à une indifférence de mépris, pourtant justifiée et méritée. En politique, il faut toujours répondre à l'adversaire, quitte à se salir les mains dans un débat vraiment bas. Car pas mal d'électeurs sont sensibles à ces fadaises et sont vite bernés. Allons-y : l'Europe interdit la fessée ? Non, elle interdit les châtiments corporels qui sont violents, cruels et dégradants, conformément à la législation internationale. Personne ne dira que ces sévices sont admissibles. Quand il ont pour victimes des animaux, tout le monde avec raison se scandalise. De même, l'enfant doit être protégé de toute violence : c'est un formidable progrès de l'humanité que l'Europe nous propose là, c'est la marque d'une civilisation supérieure, quand on sait combien, par le passé jusqu'à encore aujourd'hui, les enfants ont été brutalisés, parfois martyrisés.

Mais, me direz-vous et nous disent les anti-européens, comment distinguer les sévices corporels de la bonne vieille fessée "qui n'a jamais fait de mal à personne" ? Car rien ne ressemble plus à des coups portés que d'autres coups portés. Mais justement : l'application de n'importe quelle loi, y compris celle portant sur les châtiments corporels, est laissée à l'appréciation des juges. Le discernement, c'est tout le travail de la justice. Les circonstances, le contexte, les personnes, les intentions sont des éléments du jugement, qui est toujours une affaire d'interprétation.

N'est-ce pas, malgré tout, la voie ouverte à l'arbitraire ? Non, il y a des critères objectifs qui distinguent un châtiment corporel volontaire, systématique, injustifiable d'une fessée instantanée, passagère, sans gravité. Il y a, en justice, le principe de minimis qui écarte de la sanction les peccadilles, les fautes légères. Par l'exemple, l'injure publique est interdite dans la législation française : ça n'empêche pas de traiter de connards, dans la conversation ordinaire, tous ceux qui le méritent et qui sont tout de même un certain nombre, sans nous valoir les foudres de la justice ! La loi est une norme qui impose une limite et offre un modèle : ce n'est pas un commandement moral qui s'impose universellement quelles que soient les situations. Dans l'idéal, il vaut mieux pratiquer un langage châtié, mais l'injure banale ne vaut pas procès, contravention ou peine de prison. Il en va de même pour la fessée.

Ainsi, la vie familiale n'est pas menacée par la directive européenne contre les châtiments corporels, pas plus qu'elle n'est menacée lorsque la loi française interdit le viol, la violence, le crime jusque dans l'espace privé. Et puis, une loi n'a pas pour unique objectif la sanction. Elle éduque les comportements, elle permet d'intervenir, d'accompagner : les parents ne vont pas se retrouver devant un tribunal ou derrière les barreaux parce que le fiston les aura dénoncés pour une gifle mal placée !

Me sentant obligé d'énoncer toute une argumentation qui ne devrait pas, on voit à quel point les anti-européens ont corrompu l'opinion publique par leurs attaques insensées, leurs démonstrations fallacieuses et leur malhonnêteté intellectuelle. Leurs arguments sur la fessée ont beau être cucul, ils font mouche. Dimanche soir, le travail de sape des anti-européens risque de porter ses fruits pourris, au profit de l'extrême droite. Il nous reste encore quatre jours pour éviter une catastrophe politique qui serait beaucoup plus grave que celle du 21 avril 2002.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonsoir Emmanuel,
D'accord sur le fait que le FN et sa version light DLR n'ont aucune argumentation politique de fond et se trompent de cible, par exemple sur la directive des Travailleurs détachés. Je crains hélas que le PS et le S&D se fasse beaucoup trop d'illusions ou fasse preuve de naïveté si il n'y a pas de remise en cause "en profondeur" de l'Europe, à commencer par ses institutions et ses compétences.
Laurent ELIE