vendredi 2 mai 2014

Jacques Wattiez



Jacques Wattiez nous a quittés, à l'âge de 75 ans, hier, le premier mai. Pour un socialiste, partir ce jour-là, c'est presque un signe. Mais qui connaît aujourd'hui Jacques Wattiez ? Il s'était retiré depuis longtemps de la vie politique saint-quentinoise. Sauf que le passé est durable en politique, que la mémoire est longue, qu'on ne se sépare pas si facilement des personnages qui marquent, dont Jacques était.

En m'installant à Saint-Quentin il y a 16 ans, il n'était déjà plus une personnalité de premier plan, mais on parlait beaucoup de lui, à gauche comme à droite. C'est le privilège des plus influents : même absents, ils sont présents dans les conversations, alors que tant de présents ne font pas parler d'eux ! Devenu secrétaire de section en 1999, mes camarades d'alors m'avaient prévenu : Wattiez, c'est le diable, n'y va pas ! J'y suis allé, sans précaution et sans grande cuillère, le diable ne m'ayant jamais fait peur.

Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois, régulièrement, j'ai mangé chez lui, je confirme : ce n'était pas un ange, catégorie qui n'existe pas en politique, mais ce n'était pas le diable non plus. Bouc émissaire des uns et des autres, sûrement. En tout cas, avec moi, il a toujours été honnête et chaleureux, sachant pourtant qui j'étais et pas tout à fait de sa sensibilité. Jacques Wattiez était réellement chagriné des divisions de la gauche locale. Il a appartenu à une époque, à une génération et à des conflits que je n'ai pas connus, sinon pas ouï-dire, c'est-à-dire très mal, à travers des commentaires souvent malintentionnés.

Il avait été exclu du PS, avec beaucoup d'autres, parce qu'il était soupçonné de chevénementisme. De fait, sa tendance allait de ce côté-là, et quand Jean-Pierre Chevènement est venu en 2012 soutenir Marie-Pierre Bechtel à Tergnier, Jacques était là. Il a fait aussi partie de ceux qui, en 1995, ont choisi de rester avec les communistes, au lieu de rallier la liste officielle du PS conduite par Maurice Vatin. Wattiez-Vatin, mais aussi Wattiez-Lefèvre : des guerres fratricides terribles entre socialistes, qui laissent des traces 30 ans après. Xavier Bertrand, en conseil municipal, se plait malignement à rappeler ce qu'il appelle le "coup d'Etat" contre Denis Lefèvre au District.

Le District ! C'est l'actuel Communauté d'agglomération, qui a beaucoup plus de pouvoirs. Jacques Wattiez en a été le président, et je crois, pour ce que j'en sais de mon côté, que ça a été son grand moment, sa grande fierté. Il me mettait sous le nez tout un tas de document sur l'assainissement, manifestement son grand oeuvre. C'était bien sûr un politique, à 100%. Il présidait le cercle Jean-Jaurès, le siège historique du parti socialiste local, rue de Théligny. Un endroit où étaient accueillies toutes les familles de la gauche, politique et associative : MJS, MRC, LDH, ...

Odette Grzegrzulka, la députée, ne voulait pas en entendre parler. Elle a jusqu'au bout refusé la réintégration de Jacques Wattiez et de ses amis, les "sans papiers" comme ils se faisaient appeler, un peu dérisoirement. Et moi j'ai suivi, j'ai obéi, en bon petit soldat, parce que l'époque était au petit doigt sur la couture du pantalon. Maintenant, c'est fini. Toujours est-il que Jacques Wattiez ne m'en a jamais voulu, qu'il m'a pris comme j'étais. Sa qualité principale : la générosité, avec une dimension de bon vivant. Il aimait faire la cuisine et le jardin, ses deux passions. Je crois que si l'on s'entendaient bien sans se fréquenter particulièrement, c'est qu'il n'attendait rien en retour de moi, ni moi rien de lui. Sauf que dans une manif ou une réunion publique, j'allais volontiers vers lui pour discuter, lorsque d'autres se détournaient pour ne pas soi-disant se compromettre.

Après le niet de Grzegrzulka, il n'a plus cherché à être réintégré au parti, je crois. Il a bien fait : il n'est pas digne de courir après des gens qui ne veulent pas de vous. Et puis, même si Jacques Wattiez se tenait très au courant de la politique locale, notamment par la lecture des journaux, une forme de lassitude l'avait sans doute gagné. Je me souviens de cette phrase qui m'avait marqué, il y a une dizaine d'années : "Je n'ai plus envie de retourner dans la cage aux lions", pour parler de l'enceinte du conseil municipal.

Pour comprendre Jacques Wattiez, il faut revenir à son métier, à son univers professionnel : l'EDF, un bastion de gauche que je connais un peu par ascendance familiale,, une culture ouvrière supérieure, une sorte d'aristocratie du socialisme, comme la SNCF ou l'Education nationale. Pour le comprendre encore mieux, il faut revenir à cette rue de Théligny, à ce cercle Jean-Jaurès, objet de tant de polémiques et parfois de fantasmes : c'était en quelque sorte son temple personnel, où trônaient trois icônes, trois reliques qui lui tenaient à coeur et qu'il aimait à commenter : un ancien drapeau de la SFIO, un tableau représentant Louise Michel, un buste de Jean Jaurès.

On se voyait au moins une fois par an, parce qu'il avait une petite affichette à me remettre pour que j'appose dans mon lycée, à Henri-Martin, une annonce de location. Les relations humaines tiennent souvent à peu de choses, mais elles tiennent. J'ai bien failli un jour y répondre positivement et m'installer chez lui, en locataire. Mousset chez Wattiez, ça aurait fait causer et ça m'aurait amusé ! Autre point commun avec lui : il avait séjourné dans ma ville natale, Saint-Amand Montrond, je ne sais plus à quelle occasion, mais il en connaissait parfaitement certaines rues. Ses dernières actions politiques en tant qu'élu d'opposition, c'était à la fin des années 90, contre Charles Baur et son alliance avec le FN.

Je me rends compte que j'ai été ce soir très prolixe, sans doute avec des tas de détails inutiles, des anecdotes sans grand intérêt, des réactions et des sentiments très personnels, quoique les petites choses rejoignent selon moi les grandes. Mais quand un homme disparaît, qu'on l'a connu certes beaucoup moins bien que d'autres, on a bizarrement envie de beaucoup en parler, de prendre son temps, de lui consacrer un long billet. Surtout, Jacques Wattiez était un mal aimé de la politique locale, avec toute la part d'injustice que ça peut représenter. En politique, on est aimé quand on exerce le pouvoir ; après l'avoir quitté, toute l'ingratitude du monde vous retombe sur la tête, vous faites, comme je l'ai écrit plus haut, le parfait bouc émissaire.

Jacques Wattiez ne méritait pas ça, mais il n'en était pas étonné : il savait que la politique ne pardonne pas. Il n'empêche qu'il faudra bien qu'un jour un historien de la politique locale se penche sur son activité, sur ce qu'il aura apporté à la ville de Saint-Quentin dans l'exercice de ses mandats. Jacques était un homme de signes, de symboles et de rituels : mourir un premier mai, l'année du centenaire de la disparition de Jean Jaurès, ce serait trop beau si la mort n'était pas toujours triste. Je pense ce soir en particulier à Céline et à Laurent, ainsi qu'à toute sa famille. La cérémonie civile aura lieu le lundi 05 mai, à 15h30, au crématorium d'Holnon.

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