mercredi 28 mai 2014

Les jours heureux de la gauche



Hier soir, au cinéma de Saint-Quentin, l'ARAC (association républicaine des anciens combattants de l'Aisne, proche du PCF) organisait une soirée-débat autour du documenairet de Gilles Perret, "Les Jours Heureux", qui traite de la naissance du CNR, Conseil national de la Résistance, à partir de 1943. J'ai bien aimé le côté historique, mais les interventions d'hommes politiques actuels à la fin du film (Hollande, Copé, Bayrou, Mélenchon, Dupont-Aignan) font un peu décalées, limite risibles.

Le profil de salle était très intéressant : à gauche, bien sûr, mais atypique. D'abord l'organisateur : Antoine Crestani, de l'ARAC, connu en ville comme le loup blanc, communiste convaincu mais en bons termes avec la Municipalité (Pourquoi pas ? On n'est plus en guerre, on est revenu en République ...), membre du mystérieux Club 33. Le Front de gauche faisait partie des puissances invitantes : c'est pourquoi Alix Suchecki, adjointe de l'ancien maire Le Meur, était présente, ainsi que René Jaffro, secrétaire de la section communiste de Gauchy, et Michel Gobeau, ex premier secrétaire fédéral de l'Aisne. Mais personne de la section de Saint-Quentin, ni Corinne Bécourt, ni Olivier ou Jean-Luc Tournay (c'est la plaie de la gauche locale : t'es pas mon copain, je viens pas ! Quand comprendront-ils, tous, qu'on ne gagnera jamais comme ça ? Mais ont-ils envie ?).

Pas la queue d'un socialiste non plus, comme d'hab (à part bibi et sa moitié). En revanche, les lambertistes étaient là, Michel Aurigny, ancien conseiller municipal, et sa moitié, non pas par le biais du POI (Parti ouvrier indépendant), mais de la LP (Libre Pensée), orga partenaire de la manifestation. Certains étaient venus de loin : Olivier Lazo, président d'honneur de la Ligue des Droits de l'Homme de l'Aisne, très actif sur Laon, atypique lui aussi : sa médiatisation lui vaut quelques déboires auprès de certains camarades qui n'apprécient pas trop la fréquentation des journalistes (ça ne vous rappelle pas quelqu'un sur Saint-Quentin ?). Le maire UMP de Laon aurait bien aimé l'avoir sur sa liste ; mais l'homme de gauche a dit non !

Jean-Michel Wattier est maire de Montigny-sur-Crécy, socialiste carté, suppléant du député René Dosière, socialiste exclu (ne me demandez pas pourquoi l'un est toujours au parti et l'autre n'y est plus : la politique est une chose compliquée ...). Michel Boulogne est, lui, l'ancien maire de Roisel, toujours conseiller général de la Somme, et socialiste dissident, aile gauche.

Bref, tout ce petit monde faisait un joli plateau, atypique comme je l'ai dit, et la cerise sur le gâteau, mais moins rouge que les autres, c'était peut-être bibi. Qu'est-ce qui nous rapproche tous, dans cette salle obscure alors que pas mal de Français, y compris de gauche, sont à la même heure devant leur télé à regarder le foot ? Sans doute une certaine nostalgie de ces "Jours Heureux" qu'évoque le documentaire, ces temps où la gauche était puissante, influente, gouvernante, à la Libération, au côté de De Gaulle. Où la gauche était encore la gauche ? Certains ont dû le penser, en oubliant un peu vite qu'elle était aussi à l'époque terriblement stalinienne.

Un qui n'a pas oublié, parce que ce n'est pas le genre de la maison Lambert, c'est Michel Aurigny, qui a rappelé que le programme du CNR, l'alliance De Gaulle-Duclos-Thorez, ont rétabli "l'Etat bourgeois". De fait, ce programme est réformateur, mais pas révolutionnaire : les nationalisations sont limitées, elles ne sont pas conçues dans une finalité communiste mais pour sanctionner le patronat collabo et faire redémarrer l'économie. Le CNR ne remet pas en cause la colonisation et l'Empire français : on a retenu aujourd'hui la Sécu, on a oublié ses silences sur le reste. Aurigny en conclut qu'il faut, aujourd'hui, "détruire" l'Union européenne : c'est le point de vue du révolutionnaire, et là, pas du tout le mien.

C'est très curieux : depuis une vingtaine d'années, ce programme du Conseil national de la Résistance est devenu un élément identitaire pour une partie de la gauche. Dans les années 60-70, je n'en entendais pas parler, les références étaient ailleurs, dans une période pourtant beaucoup plus révolutionnaire qu'aujourd'hui. Et puis, est-ce qu'on prépare l'avenir en s'appuyant sur un texte d'il y a 70 ans, aussi honorable soit-il ? On a largement surévalué, je dirais même surjoué cette référence, qui se comprenait dans le contexte de l'époque : elle était novatrice, mais pas non plus radicale, contrairement à ce qu'on laisse croire maintenant. Les américains n'auraient jamais laissé s'établir une société socialiste à l'ombre de leurs bases militaires ! De Gaulle n'ont plus n'aurait pas accepté.

La preuve de l'exagération et de l'instrumentalisation du texte du CNR, c'est que tous les hommes politiques, de l'extrême droite à l'extrême gauche, le défendent et le vénèrent (ça n'a donc plus aucun sens). Il est devenu un fétiche, un talisman, un grigri qu'on agite, la gauche sans doute pour compenser sa perte d'identité et se réfugier ainsi dans le passé, au lieu de faire l'effort intellectuel de penser une social-démocratie conséquente et moderne. Respect pour le programme du CNR, les hommes qui l'ont rédigé l'ayant fait au risque et parfois au sacrifice de leur vie. Mais les jours heureux qui attendent la gauche sont devant elle, par derrière.


En vignette, Antoine Crestani, à gauche, en compagnie de Patrick Statt, secrétaire national de l'ARAC.

2 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Puisque tu parles des "jours heureux", je vais parler du bonheur selon Schopenhauer, pour faire une pause dans l'actualité politique traumatisante actuelle ; ce philosophe pessimiste partage le monde entre volonté et représentation, le bonheur est sans doute du côté de la représentation, donc un peu du côté de l'illusion. Il décrit la volonté comme la chose en soi, et le stimulant archaïque de cette volonté est l'acte sexuel : car il vise à la reproduction de l'espèce, donc à l'éternité de l'espèce, et le sexe n'en est que la ruse de la nature, par la joie qu'il apporte, de cette volonté de se reproduire, d'être éternel de l'espèce. Après le bonheur comme représentation mentale n'est qu'un avatar de la volonté, un sous produit de la volonté. Mais il dit aussi que si la représentation parvient à l'œuvre d'art parfaite, comme chez Shakespeare, qu'il cite, ou Goethe, alors il y a négation de la volonté, et l'artiste parvient à une sorte d'orgasme créatif, de nirvana, où la volonté a disparu. En même temps il dit aussi que l'artiste est celui qui souffre le plus, il parvient à son orgasme créatif par intermittence et y trouve en même temps que la négation de la volonté, la négation de la souffrance : donc le bonheur (qui n'est jamais qu'un état furtif). Nous sommes en politique très loin du bonheur, soumis à des représentations très archaïques, reptiliennes, plongées dans le monde de la volonté : on comprend pourquoi les hommes de pouvoir sont de grands baiseurs. Seul l'art permet de prendre du recul, ce que tu fais régulièrement dans ce blog, qui alterne les séquences de pure politique (cerveau reptilien), avec l'actualité artistique et culturelle de ta ville.

Emmanuel Mousset a dit…

Je vois que tu connais très bien mon cerveau reptilien !