mercredi 19 mars 2014

Les trois mystères du débat



Le débat qui a eu lieu à Saint-Quentin la semaine dernière entre les quatre prétendants au poste de maire a eu ses secrets, ses mystères, dont personne n'a parlé et que je veux aujourd'hui évoquer, et même tenter de décrypter. Je suis un peu comme Peter Falk, l'inspecteur Columbo : je m'intéresse aux détails, je les trouve plus révélateurs que les discours, souvent convenus, sans surprise, artificiels.

Premier mystère, un objet, visible sur les photos du débat, au premier plan, en gros plan : on a même l'impression de ne voir que lui, le sac à dos de la candidate de Lutte ouvrière, Anne Zanditenas. Elle aurait pu le ranger ailleurs, le dissimuler tout simplement derrière son fauteuil. Mais non, il est devant, tout à côté, exhibé, ostentatoire : on ne peut pas ne pas le voir, il fixe l'attention, il frappe le regard, c'est presque une note discordante dans le tableau. Comme s'il y avait chez la candidate d'extrême gauche une volonté de le montrer, comme si c'était un drapeau déployé, une provocation au sac à dos !

Je dois vous faire un aveu : je fantasme depuis longtemps sur le sac à dos d'Anne Zanditenas. Car c'est un objet qu'elle porte fréquemment sur elle, comme la tortue sa carapace. Et ce n'est pas un petit et féminin sac à dos avec de gentilles bretelles : non, c'est un bien gros, de randonneur, de campeur, de montagnard. Fantasmer, c'est se faire des idées, des images, tout un film : qu'est-ce qu'Anne Zanditenas peut bien ranger, dissimuler dans son sac à dos qu'elle traîne un peu partout depuis des années ? Je me pose la question depuis longtemps. D'autant qu'Anne m'intrigue : comment peut-on être trotskiste aujourd'hui ? D'où tire-t-elle son énergie politique, elle qui n'a aucune chance de gagner ? Comment a-t-elle pu arriver à constituer sa liste, quand on connaît les difficultés de l'exercice ? Anne Zanditenas est vraiment la candidate la plus mystérieuse de ces élections municipales.

Je suis persuadé que la clé du mystère est contenue dans son sac à dos. Qu'y a-t-il à l'intérieur ? Des vêtements de rechange, les oeuvres de Trotsky, du matériel de propagande, des manuel scolaires, des feuilles de cours (Anne est enseignante) ? J'ai l'impression qu'il n'y a rien de tout ça, que le mystère restera longtemps, éternellement entier. Mais il était là, devant nos yeux, sous notre nez, pendant presque trois heures, jeudi dernier, au Conservatoire de musique.

Le deuxième mystère, c'est un habit, la chemise d'Olivier Tournay. Rien de moins mystérieux qu'une chemise, pourtant. Mais dans ces conditions, si ! Quelqu'un qui veut être maire de Saint-Quentin ne vient pas débattre publiquement en chemise (ni en tee-shirt ou en maillot de corps). En politique, l'habit fait le moine et le maire. Michel Garand et Xavier Bertrand avaient sorti la panoplie : costume cravate, couleur plutôt sombre. Même les deux journalistes ne s'étaient pas vêtus comme à l'accoutumée, mais s'étaient adaptés à l'événement. Pas le candidat communiste. C'est un mystère pour moi (mais sûrement pas pour lui !). Qu'a-t-il voulu nous dire (car un mystère est souvent une énigme à comprendre) ? Peut-être qu'il ne jouait pas un rôle, qu'il venait comme il était, appliquant le précepte de Mc Do (Venez comme vous êtes). Comme de Gaulle en Algérie lançait son "Je vous ai compris", Olivier Tournay a implicitement, par son vêtement, signifié aux électeurs : "Je suis comme vous". En même temps, aux candidats PS et UMP, il semblait dire l'inverse : "je ne suis pas comme vous, je n'appartiens pas à votre monde, je ne porte pas de costard, je ne suis pas cravaté".

La chemise d'Olivier Tournay est comme lui : révolutionnaire ! Car, détail qui en dit très long, elle n'est pas glissée sous le pantalon, mais ses pans dépassent très librement, flottent au vent. Et puis, cette chemise est blanche : le candidat rouge porte une chemise blanche ! Ce n'est pas contradictoire : le blanc, c'est le symbole de la pureté, de la candeur, de l'innocence. Olivier est le chevalier blanc de cette élection. Il est pur et dur, mais on a oublié le dur, on n'a retenu que le pur, à son avantage.

Dans cette campagne d'images qu'est une élection, y compris municipale, Olivier Tournay est sorti gagnant. Lui, le candidat du communisme d'autrefois, plus proche de Marchais que de Mélenchon, a réussi à paraître comme l'ange (blanc) de la colère, de la révolte. En termes de communication, c'est un sacré tour de force. Ses références politiques et idéologiques ne pouvaient que le ringardiser : c'est tout le contraire qui est arrivé, Olivier est blanc comme neige, pur comme l'enfant qui vient de naître. Sa chemise blanche, c'est sa robe de baptême. Il a réussi à redonner une éternelle jeunesse à de très vieilles idées. Il n'a pas retourné sa veste, il a endossé une chemise blanche.

Mais ce choix vestimentaire peut signifier encore autre chose : "je n'ai pas envie d'être maire", puisqu'il n'en porte pas l'uniforme. Dans le meilleur des cas, les choses étant ce qu'elles sont (mais on ne le saura vraiment que dimanche soir), il n'est même pas certain qu'Olivier Tournay soit réélu conseiller municipal. Auquel cas, il n'aura rien à changer à sa vie, continuer à porter sa blanche chemise, comme il le fait sans doute en famille ou lorsqu'il va enseigner.

Cette chemise blanche a un dernier sens : les gentilshommes sous l'Ancien Régime la portaient pour aller se battre en duel. Tournay veut en découdre avec Bertrand, jusqu'à ce que sa chemise soit tachée de sang, on l'a vu pendant le débat : voilà aussi ce qui le motive, dans cette tellement démotivante et ingrate activité qu'est la politique. Le candidat communiste est un duelliste. Mais la chemise blanche, in fine, c'est ce qu'on mettait, sous la Révolution française, au condamné à mort avant de l'envoyer à l'échafaud. Et si cette chemise trop blanche, immaculée, annonçait la disparition (politique) d'Olivier Tournay (j'analyse, je ne souhaite pas !) ? Si cela était, je crois alors, métaphoriquement bien sûr, qu'Olivier mériterait le sort voulu par Danton, disant à son bourreau à propos de sa tête qui allait tomber : "Montre-là au peuple, elle en vaut la peine !"

Troisième et dernier mystère du débat, concernant Michel Garand cette fois : la photo dans le Courrier picard le montre, pendant le débat, avec un objet entre les mains, nettement identifiable, il s'agit d'un téléphone portable. A première vue, c'est assez stupéfiant : un candidat qui fait usage de son téléphone en plein débat, comme si de rien n'était. Michel sait que tout le monde le voit, l'observe, qu'on le filme, et il a ce geste, d'emblée tout aussi mystérieux, incompréhensible, énigmatique que le sac à dos d'Anne Zanditenas ou la chemise blanche d'Olivier Tournay. On peut certes tout rationaliser, tout banaliser et dire que ce sont des détails sans importance, des anecdotes insignifiantes : vous avez compris que ce n'était pas le parti pris de ce billet.

D'abord, j'ai pensé que nous étions au tout début des échanges, et que le candidat socialiste éteignait tout simplement son portable. Mais non, le débat était déjà engagé, et il semble bien que Michel utilise l'appareil, et non se contente de l'éteindre. Mais qu'en fait-il ? Normalement, ce genre d'ustensile sert à envoyer des messages. Mais à qui, et pourquoi ? Je me suis dit que Michel Garand cherchait peut-être, sur internet, une information pour répondre à son adversaire ou pour vérifier une affirmation de celui-ci. L'hypothèse me paraît tout de même invraisemblable. A moins qu'il ne questionne l'un de ses camarades, dans la salle, pour recueillir son avis sur le cours du débat, pour solliciter éventuellement un conseil (le portable faisant alors un peu office d'oreillette, comme chez les animateurs télé).

Je ne suis toujours pas convaincu par mes propres explications. En revanche, je me demande, de façon plus pertinente, si Garand n'a pas cherché par ce geste à déstabiliser Bertrand, comme moi-même je suis un peu déstabilisé à vouloir le comprendre. Dans une réunion publique, sortir et utiliser son portable, c'est manifester à son interlocuteur une indifférence et même un mépris à l'égard de ce qu'il dit. Mais je ne crois pas non plus que ce soit l'état d'esprit de Michel Garand, qui est un homme d'écoute, de respect et de dialogue.

Alors quoi ? Une folle idée me passe par la tête, je vous la confie : Michel s'emmerde, toute cette campagne l'ennuie, il le manifeste ostensiblement en tripotant son portable, s'affichant ailleurs. Michel est un homme libre, il serait capable d'une telle audace ! Mais je ne crois pas non plus, une seule seconde, à cette lecture, qui est trop folle. Pourtant, j'en ai une encore plus folle, que je ne résiste pas à vous livrer : Michel Garand, à la façon de DSK, envoie des textos enflammés et sensuels à une maîtresse ! Ca ne manquerait pas d'allure : au milieu de la grisaille et des mensonges de la politique, ouvrir discrètement son coeur à une personne qu'on aime, exprimer son désir dans cet exercice de retenue et de contrôle qu'est le débat politique. Mais ça ne colle pas au personnage : Michel Garand est un homme de bonnes moeurs, fidèle en amour, en amitié et en politique, homme de raison et pas de passion débridée.

Il est à craindre que le sac à dos d'Anne Zanditenas, la chemise blanche d'Olivier Tournay et le téléphone portable de Michel Garand garderont à jamais leur mystère. Mais c'est très bien comme ça, il faut s'en réjouir : un mystère est fait pour le rester.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

bonjour

stéréotyper le costume du politique c'est vraiment dommâge ! Non !!! l'habit ne fait pas le moine !!
la cravate ne fait pas le maire les cravatés et les cols blancs portent parfois une image bien détestable du bien commun


ce délit de faciès en politique ne fait que conforter les "héritiers"
Bourdieu a sursauté en lisant ce billet