mercredi 12 mars 2014

Garand en vrai



Je n'avais pas discuté avec Michel Garand pendant une heure autour d'un café depuis 13 ans ! La dernière fois, c'était en avril 2001, chez moi, après la défaite d'Odette Grzegrzulka aux élections municipales. Pendant 13 ans, entre lui et moi, c'était bonjour bonsoir, comment ça va ? salut et à bientôt. Non pas que nous étions distants ou fâchés, mais Michel n'est pas un militant classique, n'a jamais fréquenté comme moi les réunions de courants et les instances fédérales ; et depuis quelques années, nous n'appartenions plus à la même section, ce qui ne favorise pas les rencontres ! Les retrouvailles n'ont eu lieu finalement que dans la concurrence, lors du scrutin interne pour la désignation de la tête de liste, en juin dernier.

J'ai voulu le revoir, discuter en profondeur avec lui, mieux connaître ses analyses et ses positions. Il a accepté, sachant que mon objectif était d'en faire le billet que vous êtes en train de lire. L'échange a eu lieu hier matin, à l'étage du Carillon. Mon écoute a bien sûr été bienveillante, comme un socialiste questionnant un autre socialiste. Mais je ne suis pas non plus un militant gobe-tout, et au-dessus des convictions, il y a le respect de la vérité. Je vais donc vous retranscrire le plus fidèlement possible ses réponses, en faisant part, très subjectivement, de mes impressions. J'ai appris certaines choses, d'autres m'ont été confirmées : je crois que ce témoignage sera utile à tous pour la suite de la campagne et le choix final. J'ai procédé par dossier, 11 exactement.

1- La campagne. Michel Garand la résume en un mot : proximité. Il s'est essentiellement engagé dans le porte à porte, plus de 3 000 foyers visités. L'accueil est plutôt amical, la tentation frontiste est palpable, l'impopularité du gouvernement se ressent, mais les gens font la part des choses : l'élection municipale est d'abord locale. Ce qu'ils attendent, c'est qu'on vienne les voir et qu'on leur tienne un langage de vérité. La zone franche, par exemple, ils doutent qu'elle ait créée beaucoup d'emplois. Proximité et vérité, voilà les deux bouts à tenir pendant la campagne, selon Michel Garand. Le débat de demain, au Conservatoire de musique, il l'abordera avec beaucoup de sérénité, en insistant sur ses propositions. Et les absents ont toujours tort, ajoute-t-il (référence à l'absence du candidat du FN). La dernière réunion de campagne, qui se tiendra le 20 mars au même endroit, aura des invités (mais il ne m'en dit pas plus, et je comprends qu'il veut ménager l'effet de surprise).

2- L'adversaire. Comment Michel Garand voit-il Xavier Bertrand ? D'abord, pas bien : avant sa candidature, ils se tutoyaient ; depuis, le maire ne lui sert plus la main. Qu'est-ce qui s'est passé ? Les propos dans la presse locale, en juin, de Michel Garand sur la scolarisation des enfants du maire à Paris. Xavier Bertrand a été blessé par ce qu'il considère comme une attaque personnelle, une atteinte à sa vie privée et à ce qu'il a de plus cher, ses enfants. Mais pour Michel Garand, il n'y a rien de personnel là-dedans : selon lui, un maire est un personnage public, dont les choix de vie sont révélateurs ; le maire de Saint-Quentin, s'il veut faire de la ville sa priorité, doit y vivre, y habiter, y travailler. Voilà, en substance, la pensée de Michel Garand.

Je lui demande alors s'il éprouve de la haine pour Xavier Bertrand, il me répond que non. D'abord, il respecte en lui le représentant de la République ; ensuite, il reconnaît que le maire de Saint-Quentin a eu un beau parcours ministériel ; enfin, Michel Garand me confie qu'il a eu besoin de faire appel à Xavier Bertrand sur le plan professionnel et que celui-ci a toujours répondu efficacement à ses demandes. Certes, il ne va pas jusqu'à l'admirer ! Il trouve même que le défaut principal de son adversaire, c'est la méchanceté ! Je fais alors remarquer à mon camarade que la politique, depuis que le monde est monde, ne va pas sans une part de méchanceté : il me rétorque que les gens aujourd'hui ne veulent plus de cette politique-là. Bertrand ne vit que pour et par la politique ; pas moi, me dit-il. Quant à l'engagement de Xavier Bertrand à préférer le mandat de maire à celui de député, Garand pense qu'il y a tromperie sur la marchandise : s'il est réélu maire, il démissionnera le moment venu pour rester député et confier le fauteuil à Frédérique Macarez, qui est venue sur la liste pour ça.

3- L'allié. Avec les Verts, on ne sait plus trop bien où l'on en est. Michel Garand explique et clarifie : il s'est engagé depuis plusieurs mois auprès de la conseillère municipale, représentante notoire et ancienne d'EELV à Saint-Quentin, Nora Ahmed-Ali. Il a acté depuis longtemps sa présence sur la liste et sa contribution au programme. Michèle Cahu, conseillère régionale EELV, a contesté en février la légitimité de cette présence. La tête de liste socialiste, nonobstant, en reste à la parole donnée et ne se mêle pas des affaires internes aux Verts.

Cette polémique illustre toute la difficulté de la politique : je suis personnellement ami, depuis plus de dix ans, avec Nora et Michèle, mais la politique doit ignorer les sentiments. Dans l'idéal, il me semble que Michel, comme moi, aurait préféré la présence de Michèle, parce qu'elle a plus de poids politique que Nora. Mais si on faisait de la politique seulement avec de l'idéal, ça se saurait ... Résultat : les deux candidats verts figureront sous l'étiquette "écologistes", sans le sigle et le logo EELV. C'est dommage, mais Michel Garand a fait prévaloir ses engagements, au détriment d'une modification de liste peut-être souhaitable mais trop tardive.

4- Le rallié. Autant Michel Garand éprouve un certain respect pour Xavier Bertrand, la cohérence de son parcours, autant il trouve indigne et méprisable le ralliement de Frédéric Alliot à la liste de droite, qui ne s'explique que pour des raisons matérielles et personnelles. Alliot, il le connaît depuis longtemps (qui ne se connaît pas depuis longtemps à Saint-Quentin !), les deux hommes ont un profil proche, progressiste, républicain, humaniste. C'est sans doute pourquoi la réaction de Michel Garand est vive (la plus violente de toute notre conversation).

5- Les communistes. C'est peut-être la question à laquelle Michel Garand ne s'attendait pas, du moins dans sa brutalité, et qui l'a fait hésiter quelques secondes : es-tu anti-communiste ? Il me répond par une formule aussi directe que ma question : je suis anti-communistes ... locaux. Qu'est-ce qu'il leur reproche ? D'être des enfants de Gremetz, d'avoir oublié que le monde a changé, même s'ils font partie du peuple de gauche. Mais entre les deux tours ? Je ne crois pas que je ferai appel à eux, je n'ai pas envie de les intégrer, me dit-il. Je reviens à la charge : tu ne penses pas que ça va nous gêner pour gagner ? Non, on peut gagner sans eux, étant donné ce qu'ils sont et ce qu'ils représentent. Eux avec nous, on y perd plus qu'on y gagne. La position de Michel Garand, que je ne partage pas, a le mérite de la clarté : a priori, pas d'alliance PS-PCF entre les deux tours. Michel ne pense pas d'ailleurs que les communistes feront un très bon score, ni qu'ils pourront se maintenir au second tour.

6- La liste. Je demande à Michel Garand s'il a déjà une idée de la répartition des postes entre ses futurs adjoints. Il me dit que oui, sans hésiter, et me donne quelques noms et attributions : Carole Berlemont à l'éducation et à la culture, Jacques Héry aux quartiers et à la vie associative, Stéphane Andurand à la sécurité, Stéphane Polak au patrimoine et tourisme, Yann Bouvart aux finances.

7- Le programme. Comme celui-ci est assez dense, je propose à Michel Garand de me donner l'ordre de ses priorités, les projets qui lui tiennent à coeur. Il en souligne trois : la redynamisation du centre-ville ; l'aide financière aux jeunes qui veulent monter des projets ; l'éducation et la formation, grâce à l'aménagement du temps de l'enfant.

8- La presse. C'est un sujet délicat. Michel Garand n'a pas la même expérience de la vie publique que moi, ses rapports aux journalistes, sa vision des médias, du monde de la communication ne sont pas exactement les mêmes. Il estime que les articles publiés sur sa campagne ne reflètent pas la réalité des choses. Pourtant, il me dit avoir de bons rapports personnels avec les journalistes ; mais c'est le retour sur papier qui n'est pas favorable. Il le vit comme une injustice, estimant qu'il n'y a pas égalité de traitement entre les candidats (je le laisse s'exprimer, je ne commente pas, il y aurait tant à dire, mais c'est lui le candidat, pas moi : quand la campagne sera terminée, j'essaierai de lui expliquer).

9- La franc-maçonnerie. Je m'excuse presque d'aborder ce sujet, tellement il est bateau et d'ordre privé. Mais il faut de la clarté en tout. Michel Garand ne l'élude d'ailleurs pas : vérité avant tout ! Il est maçon depuis 1972, et c'est quelque chose en lui que je sens très fort, très intime. Je pense même qu'entre la maçonnerie et la politique, à choisir absolument, c'est la maçonnerie qu'il retiendrait. Mais est-ce que cette appartenance fièrement revendiquée ne risque pas de le desservir, tant l'image caricaturée et dénaturée du franc-maçon est mauvaise dans une partie de l'opinion ? Il me répond que non, que la maçonnerie c'est aussi la République, et que de toute façon ce ne sont pas les loges saint-quentinoises qui feront l'élection municipale, les frères se répartissant tout autant à gauche qu'à droite. Je le savais, c'est une évidence, mais je crois utile de le rappeler, tant les fantasmes sont répandus sur ce sujet.

10- L'internet. La particularité de cette campagne municipale, et j'y reviendrai dans un prochain billet, c'est que l'internet y joue un grand rôle, tout particulièrement Facebook. Mais ce monde-là, ce n'est pas celui de Garand, qui ne maîtrise pas l'outil (moi non plus, d'ailleurs !). Sa page Facebook ne lui ressemble pas (hélas), et le Courrier picard de ce matin n'arrive pas non plus à en connaître les administrateurs. Mais l'internet est un passage obligé, quoique dangereux, à cause de son instantanéité, préjudiciable à la réflexion politique, qui exige de la distance. J'approuve. Mais la toile a-t-elle un impact plus grand que le bon vieux journal ? Ni lui ni moi n'avançons de réponse ... C'est en tout cas un problème de fond. Personnellement, j'aurais tendance à penser que la presse papier est irremplaçable, par son format, son usage, son contenu.

11- La politique, last but not least. Michel Garand est socialiste depuis toujours, de coeur et de raison. Mais ce n'est pas un homme d'appareil, même s'il en faut pour faire marcher la boutique. J'essaie de savoir, avec un peu de malice, comment il a réussi là où j'ai échoué : devenir le leader des socialistes locaux (par certains côtés, j'avais plus d'atouts que lui). Sa réponse : j'ai fait l'unité de tous les courants, parce que je n'étais pas dans un courant. Je lui propose une formule, qu'il agrée : tu as été choisi par l'appareil parce que tu n'es pas un homme d'appareil (je ne le lui dis pas, mais je le pense très fort : tu n'as pas eu le temps de t'engueuler avec beaucoup de monde, de te faire d'éternels ennemis !).

Son ascension politique doit aussi beaucoup à son tempérament : écoute de tous, respect pour chacun, compréhension des situations. En fait, c'est un intuitif alors que je suis un conceptuel. Pour être là où il est, tête de liste et demain peut-être maire de Saint-Quentin, il n'a pas forcé les choses, il a laissé venir (là où je suis d'un volontarisme forcené et d'un activisme tous azimuts !). J'étais la bonne personne, au bon moment, à la bonne place, me résume-t-il. Au milieu de tout un tas de difficultés inhérentes à la vie politique locale, dont j'ai évoquées les principales dans ce billet, Michel Garand a gagné en autorité. Je le sens libre, confiant, respectueux. Le fait d'être face à moi, prenant des notes qui seront rendues publiques, c'est tout de même un comportement inhabituel, inédit pour un candidat socialiste. Oui, c'est un homme qui fait confiance, qui fait avec, et un homme de parole.

Après l'avoir quitté, je n'ai pas pu m'empêcher de me dire à moi-même que nous aurions pu, lui et moi, tous les deux, constituer un formidable ticket, parce que je vois parfaitement ce qui lui manque et que j'aurais pu lui apporter, parce que je comprends quels sont ses qualités dont je ne dispose pas. Le plus paradoxal, c'est qu'il est strauss-kahnien comme moi, et que l'espèce est assez rare parmi les socialistes saint-quentinois ! Mais j'ai pris depuis longtemps mon parti des paradoxes de la vie politique ... En passant devant le panneau électoral de la place de l'Hôtel de Ville (en vignette), je me suis posé distraitement la question : lequel des deux sera maire de Saint-Quentin ? Les lecteurs et les électeurs répondront, j'ai assez écrit pour aujourd'hui.

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