mardi 4 mars 2014

Le der des der



Hier soir, au Conseil municipal de Saint-Quentin, ce n'était pas 14-18, mais quand même le der des der, l'ultime séance de la mandature. Au balcon, le bruit courait que la liste de Xavier Bertrand serait diffusée demain matin [donc aujourd'hui] sur sa page Facebook. Des noms circulaient, de présents et d'absents. Parmi les conseillers de droite rejoignant leurs places, on s'essayait à repérer les visages tristes et les figures joyeuses, les recalés et les heureux élus. Pas facile.

Le grand débat a porté, une fois de plus, sur la réforme des rythmes scolaires. A part Jean-Pierre Lançon (PS), tout le monde était contre. Pour Michel Aurigny (POI), dont les nuances sont seulement mathématiques, c'est même la République qui est mise en danger ! Il lègue à la postérité, lui qui ne siégera plus, cette formule testamentaire : "Ce gouvernement poursuit et aggrave la politique du précédent". Derrière son visage impassible, lui l'athée militant vient de prononcer un singulier requiem aux "sociaux-traîtres" (les socialistes, dans la liturgie lambertiste).

Le chef de file des "sociaux-traîtres" en question n'a plus de file, ni n'est plus chef. C'est l'aboutissement d'un parcours, la vérité d'un destin. Jean-Pierre Lançon, entre une absente et une muette, défend dans la solitude la plus complète la réforme à laquelle, comme moi, il croit. Xavier Bertrand, jusqu'au bout, n'aura éprouvé à son égard aucune estime, ni indulgence, même pas la considération que peuvent se porter sur le champ de bataille les adversaires. Moi qui observe le combat à la jumelle, je m'astreins à la compassion.

Au fond, Jean-Pierre aura endossé pendant six ans un costume beaucoup trop grand pour lui, une armure dans laquelle il a flotté, un combat cruel pour lequel il n'était pas fait. Xavier Bertrand ne l'aura pas gratifié d'une dernière cigarette avant la mort. Entre le maire et l'opposant, on s'est échangés des noms d'oiseaux : "chant du cygne" pour qualifier la dernière intervention de Jean-Pierre Lançon, qui a préféré se qualifier de "vilain petit canard", lançant un cri vengeur et mystérieux à l'adresse du premier magistrat : "On se reverra !"

En guise de testament, c'est Edith Piaf qu'a convoquée Jean-Pierre Lançon : "Non, rien de rien, non je ne regrette rien", et surtout "je ne regrette pas d'avoir permis à certains partis [POI, LO, NPA] d'avoir pu être représentés". Merci, je m'en serais bien passé : cette opposition qu'on ne reverra plus n'était pas socialiste, elle débordait à l'extrême gauche, son centre de gravité était le communisme orthodoxe défendu par Olivier Tournay. La dernière séance, anti-gouvernementale, en aura été, s'il le fallait encore, la spectaculaire démonstration. Les socialistes saint-quentinois n'ont pas fini d'en payer la facture, tandis que LO et le PCF en espèrent les dividendes dans trois semaines.

Pendant ces six années de mandat, jamais l'opposition n'aura applaudi l'un des siens, jamais sauf hier soir, lorsque Olivier Tournay s'en est pris, une fois de plus, à la vidéo-surveillance. Ces applaudissements disaient tout : le chef de file caché et maintenant dévoilé de cette opposition, c'était lui, le jeune et talentueux communiste ! En politique, des applaudissements, ça ne trompe pas. Et le plus surréaliste, c'est que le chef de l'opposition en titre a lui aussi applaudi, comme à son propre enterrement, puisque le programme socialiste des municipales valide les caméras, souhaitant raisonnablement en rester à l'existant.

A la fin, au dehors, Xavier Bertrand salue tous les participants, dont certains ne franchiront plus la porte. Devant l'Hôtel de Ville, des petits groupes se forment comme sur un parvis d'église à la sortie de messe. Frank Mousset et Carole Berlemont sont désespérément silencieux, Nora Ahmed-Ali est tout sourire. Michel Aurigny propose d'aller boire un coup, mais Anne Zanditenas est déjà partie. Je m'éloigne et j'entends au loin les derniers cris de Jean-Pierre Lançon qui se perdent dans la nuit. C'est fini.

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