jeudi 6 mars 2014

Débat à hauts risques



L'Aisne nouvelle et le Courrier picard organiseront jeudi prochain, à l'Ecole nationale de musique, un débat entre les cinq candidats à l'élection municipale de Saint-Quentin. A cette annonce, je suis partagé entre l'enthousiasme et l'inquiétude. Enthousiasme parce que l'initiative est excellente pour la démocratie, et c'est à ma connaissance la première fois qu'un tel débat aura lieu dans notre ville. Mais justement : inquiétude, comme toujours pour une première fois. Car si Xavier Bertrand, qui avait tout intérêt à répondre non à l'invitation, a accepté (son timing de campagne est de tout maîtriser et de s'exposer le moins possible, en travaillant le corps électoral en profondeur), c'est qu'il y trouve des avantages. Mais lesquels ?

Je vois cinq profits que le maire sortant peut en tirer, qui sont autant de risques pour Michel Garand, son principal opposant :

1- La tenue du débat et la participation du maire peuvent sous-entendre qu'il n'y aura qu'un seul tour, donc victoire probable de Xavier Bertrand. Généralement, le traditionnel débat a lieu entre les deux tours, pour confronter et départager les deux derniers en lice.

2- En s'affrontant à ses quatre adversaires, qui forcément l'attaqueront, en feront la cible principale, Xavier Bertrand se retrouvera sans peine au centre du débat, seul contre tous, les autres se déterminant par rapport à lui, lui les entraînant sur son terrain et jouant à la victime, un registre qui plaît énormément (hélas) aux Français.

3- A rebours, la candidature de Michel Garand prend le risque de se banaliser, un parmi quatre opposants, qui en matière de contestation seront toujours plus revendicatifs qu'un social-démocrate raisonnable. La concurrence entre les prétendants pourrait alors l'emporter sur la lutte contre le sortant.

4- A cinq, un véritable débat n'est guère possible. Il n'y a que le duel, le face à face, radiophonique ou télévisé, qui puissent donner lieu à des échanges approfondis (à l'automne dernier, Michel Garand avait proposé un tel débat avec Xavier Bertrand, sans qu'il y ait de suite). Ce qui signifie que le débat sera essentiellement un exercice de communication en vue de l'article de presse du samedi. A ce jeu-là, celui de la communication, Xavier Bertrand est rodé, le déroulement de sa campagne le prouve. Il entre donc dans l'arène avec une longueur d'avance, techniquement.

5- L'Aisne nouvelle et le Courrier picard ont la bonne idée d'inviter le public, mais sans quota de places réservées à chaque candidat, à ce que j'ai compris. Le risque, c'est de voir la droite remplir l'auditorium et faire la claque : sa capacité de mobilisation est évidente (voir la réunion d'hier soir sur le handicap à Matisse). L'effet serait forcément fâcheux pour Michel Garand.

De toutes ces remarques, il ne ressort pas que Michel Garand doive renoncer à ce débat, refus qui serait catastrophique. Mais sa participation ne sera pas une promenade de santé et doit être soigneusement préparée, ce qu'il fera, je n'en doute pas. Le candidat socialiste gagnera à marquer sa différence, se battre sur son programme, ignorer l'adversaire, ne pas l'attaquer personnellement et surtout ne pas paraître un opposant parmi d'autres opposants. Prendre de la distance, de la hauteur, adopter une tenue et un ton qui le rendront d'emblée "mairisable" (comme on parle de "présidentiable"). Les Saint-Quentinois ne voteront majoritairement pour lui que s'ils sentent en lui le maire qu'il veut être, qu'il peut être, qu'il doit être. Alors, un débat à hauts risques peut devenir une opportunité, une rampe de lancement, un début de victoire.

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