lundi 3 mars 2014

Dir cab



L'annonce, dans le Courrier picard de samedi, de la présence de Frédérique Macarez, directrice de cabinet du maire Xavier Bertrand, sur la liste municipale de celui-ci (que nous connaîtrons très prochainement), a pu surprendre, poser des questions et susciter des réflexions. En effet, la tradition politique française véhicule depuis longtemps l'idée d'une stricte séparation entre le politique et l'administratif, les élus et leurs fonctionnaires. Les salariés d'une municipalité sont soumis à la neutralité politique, au service du pouvoir en place, quelle que soit sa sensibilité. C'est un gage d'efficacité, de professionnalisme et de continuité (en cas d'alternance).

Dans la réalité, c'est très différent. Les directeurs de cabinet sont souvent des militants engagés, même s'ils ne le mettent pas en avant. Philippe Mignot, directeur de cabinet du président du Conseil général de l'Aisne Yves Daudigny (PS), a été durant plusieurs années responsable fédéral du parti socialiste. Christophe Coulon, directeur de cabinet du maire de Laon, Antoine Lefèvre (UMP), est aussi conseiller régional, chef de l'opposition en Picardie. La séparation du politique et de l'administratif, qu'on serait tenté de calquer sur la séparation laïque des églises et de l'Etat, est donc très largement une fiction (mais elle demeure pour certains un idéal).

La tendance d'un engagement des administratifs dans la vie politique semble être un mouvement général et national. Jérôme Lavrilleux, à Saint-Quentin, a ouvert la voie : directeur de cabinet de Pierre André, puis conseiller général, encore aujourd'hui directeur de cabinet de Jean-François Copé, et demain député européen. Dans ma ville natale, à Saint-Amand-Montrond, Emmanuel Riotte, ancien directeur de cabinet du maire Thierry Vinçon, fait partie de ses colistiers. Je me demande si le phénomène n'est pas favorisé par deux facteurs : une complexification de l'action municipale, qui exige de faire appel à des professionnels de l'administration ; une difficulté à recruter des élus en capacité d'assumer pleinement et efficacement leur fonction (autrefois, à gauche, les syndicats et les associations étaient des viviers, qui préparaient, par les responsabilités qu'on y exerçait, aux fonctions électives : ces sources de recrutement se sont considérablement restreintes).

Qu'un salarié d'un élu devienne à son tour élu n'est pas sans poser de questions. D'abord, il y a un risque de recrutement endogène des élus, puisés au même sérail, celui de l'administration locale. Ensuite, l'administratif est un serviteur de la collectivité territoriale qui l'emploie, avec la vertu de discipline qui en ressort, alors qu'un élu est un citoyen, un militant, un homme libre de toute allégeance, uniquement guidé par ses convictions, n'ayant de comptes à rendre qu'à la population qui l'a choisi. Enfin, le soupçon de politisation de l'administration peut naître, à constater les passerelles entre l'administratif et le politique.

Mais là encore, il y a loin des principes aux réalités. Beaucoup d'élus considèrent le maire (de droite comme de gauche) comme leur patron, envers lequel ils sont autant disciplinés qu'un fonctionnaire peut l'être envers son employeur (à Saint-Quentin, c'est flagrant, et c'est d'ailleurs ce qui fait la force de la municipalité sortante). Et puis, de fait, un directeur de cabinet, qu'on le veuille ou non, exerce un pouvoir politique, et c'est aussi vrai pour Frédérique Macarez que pour Philippe Mignot. Au contraire, nombre d'élus se pensent d'abord comme ayant des fonctions de représentation, délaissant le pouvoir effectif à l'administration.

La circulation entre les deux sphères, administration et politique, salariés et élus, a commencé il y a bien longtemps, au plus bas niveau des assistants parlementaires, qui sont des techniciens, des employés du personnel politique, avant d'en faire à leur tour partie. Les exemples sont nombreux : Jean-Louis Bricout, député de Thiérache, a été assistant parlementaire de son prédécesseur Jean-Pierre Balligand, lui-même assistant parlementaire de son prédécesseur, Maurice Brugnon. Xavier Bertrand a été assistant parlementaire du sénateur Jacques Braconnier, avant de devenir député de la circonscription.

Qu'on soit directeur de cabinet ou assistant parlementaire, on n'est jamais un simple administratif, gestionnaire ou technicien quand on est au service d'un politique. D'ailleurs, les uns comme les autres ont souvent la carte du parti en poche, l'élu ayant besoin de s'assurer de leur fidélité. La loi sur le cumul des mandats va contribuer à la clarification et mettra un terme au dir cab tout puissant, quand l'élu était pris par de multiples fonctions. Surtout, je crois que nous assistons à une importante évolution : fini l'élu pot de fleur, coupeur de ruban, balbutiant des textes écrits pour lui et qu'il ne comprenait pas forcément, habile à se glisser sur la photo pour le journal du lendemain, jouant plus de la poignée de main que de son cerveau. Nos concitoyens, plus exigeants qu'autrefois, demanderont de plus en plus des élus actifs, compétents et responsables. C'est aussi bien comme ça.

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