jeudi 23 juin 2016

Une manif pour parler et pour rire



Jamais manifestation n'aura autant fait parler d'elle, du moins dans la journée d'hier. Demain, tout sera oublié. Comme on a un peu oublié son objet, la loi travail, pour se focaliser sur la manif en elle-même et le problème des casseurs. Avec l'apparition d'un vocabulaire nouveau, étrange, surprenant : on ne parle plus de défilé, mais de manifestation itinérante ; il n'est plus question de rassemblement, mais de manifestation statique. Tout ça pour aboutir à une manifestation qui n'est ni itinérante, ni statique, mais circulaire, puisque les manifestants vont faire le tour d'un bassin. Ces subtilités dans le langage feront date.

De même, l'inflation des qualificatifs pour viser l'attitude du gouvernement est remarquable : cafouillage, désastre, rétropédalage, volte-face, hésitation, couac, pataquès, c'est ce que j'ai entendu ou lu, et j'en passe, sûrement. Une sorte de surenchère verbale a saisi la plupart des commentaires. L'époque n'est pas à la sobriété, mais à l'ivresse langagière, sans rapport avec la réalité. Car que s'est-il réellement passé ? Une très ordinaire négociation entre parties prenantes : la préfecture de police qui est en charge de la sécurité, les syndicats qui tiennent à revendiquer et le gouvernement qui a autant en charge de garantir l'ordre public que le droit constitutionnel de manifester.

La police voulait interdire, les syndicats souhaitaient défiler et le gouvernement préférait un rassemblement. La discussion a abouti à un honorable compromis, acceptable par tous : la police autorise, les syndicats ont leur défilé, mais raccourci, le gouvernement se satisfait que la liberté soit maintenue et que l'ordre soit assuré. Pourquoi une telle procédure, habituelle, avec son résultat, normal entre gens de bonne volonté qui ont un même intérêt, qu'il n'y ait pas de violence ni de casse, a-t-elle provoqué dans la journée d'hier et encore ce matin un déluge d'avis et de moqueries disproportionnés à la réalité des faits ? Il faudrait qu'un sociologue des médias et des comportements collectifs nous l'explique.

Je veux bien tenter de répondre en philosophe. Première explication, nous avons un rapport au temps complètement fractionné, instantané. Les médias radiophoniques et surtout télévisés découpent la journée en fines rondelles de saucisson. La durée est vécue par tranches ou par épisodes, comme dans une série américaine. Hier, nous avons suivi heure par heure les évolutions de la situation. Ce qui n'était que les nécessaires allers et retours d'une négociation a été présenté comme une séquence incohérente signant la défaite du gouvernement, alors que c'est exactement le contraire : la proposition du ministre de l'Intérieur a été retenue, ce qui est d'ailleurs logique, une négociation allant plutôt dans le sens de ceux qui détiennent le pouvoir. Drôle d'époque qui fait dire l'inverse de ce qui est, qui rend exceptionnel des démarches ordinaires, qui fait de pas grand chose un événement.

Deuxième explication, la classe politique et les commentateurs médiatiques, à l'instar de toute la société, sont passés d'un langage littéraire, il y a encore une trentaine d'année, à un langage technique, fait de précisions inutiles et de complexité croissante. Comme nous parlons, nous pensons : la technique, c'est le monde des problèmes, qu'il faut sans cesse trouver et sans cesse régler. La manifestation d'aujourd'hui, c'était le problème d'hier, et demain, ce ne sera plus rien, un épisode remplacé par un autre, dont on se rit en l'évoquant.

4 commentaires:

Philippe a dit…

Les manifestants savent-ils nager ?
Pour les CRS le problème est différent, avec leurs équipements ils coulent !
Suite de ce cirque au 20H, après au reviendra à un autre cirque : le « Brexit »

Anonyme a dit…

je voulais un sit-in genre flower power
quelle déception !

Anonyme a dit…

Il arrive que la philosophie soit proche du bon sens!....

Erwan Blesbois a dit…

La manif fut une petite vaguelette, par contre le Brexit est un tsunami qui s'abat sur l'Europe...