jeudi 16 juin 2016

Faut-il interdire les manifs ?



La question pourrait presque être un sujet de dissertation posé hier matin à l'épreuve de philosophie du bac : l'interdiction d'une manifestation syndicale pour cause de violence est-elle compatible avec l'exercice de la démocratie ? Le Premier ministre semble penser que oui, en songeant à ne pas autoriser les prochains rassemblements de la CGT contre la loi travail, après les graves incidents de mardi. Mais comme dans toute bonne dissert de philo, il faut peser le pour et le contre, et puis conclure personnellement. Allons-y :

D'abord, l'interdiction d'une manifestation est-elle conforme à la loi républicaine ? Oui, puisque la législation en vigueur permet de prendre une telle mesure, comme par exemple en cas de troubles de l'ordre public. Est-ce le cas ? Là aussi, on peut penser que oui : quand près d'un millier de types décident de casser tout ce qui se trouve sur leur passage, on n'est plus tout à fait dans l'exercice normal du droit de manifester. On ne peut même plus parler de dérapage ou de débordement, mais carrément d'émeute organisée.

La situation est-elle imputable à la CGT ? Doit-elle en faire les frais ? Cette fois, c'est oui et non. Non, parce que le syndicat n'a aucune volonté de violence et les incidents desservent d'abord sa cause et son image (c'est pourquoi je n'approuve pas la proposition de Nicolas Sarkozy de faire porter la responsabilité civile de la casse sur la CGT, avec les pénalités financières qui iraient avec).

En même temps, il y a bel et bien une responsabilité politique : qui sème le vent récolte la tempête. Dès le début du conflit, la CGT a adopté un point de vue radical, celui du retrait, sans aucune négociation possible. On ne peut pas impunément organiser un défilé sans se sentir indirectement responsable de la violence dans ses marges, encouragée par l'intransigeance du discours. D'autant que la CGT dispose d'une réelle expertise en matière de service d'ordre, ici prise en défaut.

Ce point de vue est confirmé par l'expression orale et parfois physique de certains manifestants, qui affirment comprendre la violence, qui en usent eux-mêmes contre la police quand elle charge. Il y a une porosité entre le gros de la manif, pacifique mais agressif envers le gouvernement, et ceux qu'on appelle improprement les casseurs. Ce sont en réalité des militants politiques, organisés, outillés et déterminés, pas de vulgaires voyous venus pour piller. Appelez-les comme vous voudrez, anarchistes, autonomes, ultra gauche. Dans ces rassemblements, ils sont comme des poissons dans l'eau. Un gouvernement responsable ne peut pas les laisser faire : il faut casser le bocal.

Bien sûr, je n'ignore pas que l'interdiction par la gauche d'une manifestation syndicale aurait un fort impact dans l'opinion, qu'elle contredirait l'image qu'on s'en fait. Mais le mal est déjà là. Et puis, la CGT a sciemment déclenché un mouvement très politique, parce qu'elle ne veut pas perdre de son pouvoir dans les entreprises, dont l'ampute en partie la loi travail, parce qu'elle ne veut pas perdre les prochaines élections professionnelles face à la CFDT, parce que son rejet de la social-démocratie fait partie de son ADN idéologique. L'histoire de la gauche s'en relèvera, d'ailleurs, puisqu'elle a connu pire.

J'ai gardé pour la fin, comme dans toute bonne dissertation de philosophie, l'argument le plus convaincant, définitif. En interdisant les manifs cégétistes, le gouvernement défend moins son intérêt que celui de la ... CGT ! Mais oui, réfléchissez un peu : le syndicat est dans la seringue, il ne peut plus ni avancer ni reculer, c'est l'impasse pour lui, le blocage complet. Il sait que le gouvernement ne retirera pas la loi travail, même si deux millions de personnes descendaient dans des rues à feu et à sang. Pour la CGT, c'est l'échec programmé, la déception garantie. Il faut que le syndicat s'en sorte par le haut, qu'il ne soit pas humilié. En étant interdite de manifester, la CGT accède au statut envié et aujourd'hui profitable de victime. Elle est auréolée de la couronne du martyre. Ces manifs sans fin, qu'elle ne peut arrêter elle-même sans se désavouer auprès de sa base, c'est le gouvernement qui décide à sa place d'y mettre un terme, lui ôtant ainsi une sérieuse épine du pied. Si j'étais Philippe Martinez, je remercierais discrètement Manuel Valls d'avoir eu cette riche idée.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

pour protester contre l'ukaze, une manif et vite!

Philippe a dit…

Il est urgent d'ouvrir aux citoyens français la possibilité de prendre des initiatives comme c'est le cas en Suisse dans mêmes formes en laissant un peu de temps au temps de réflexion.
Cela a l'énorme avantage de laisser planer au-dessus de la tête de nos représentants la menace d'être désavoués … mais ils seront le plus souvent confortés car ils travailleront plus leurs dossiers.
La page :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Initiative_populaire_(Suisse)
Si on faisait à propos de la loi sur le code du travail cause de toutes les violences une initiative populaire « à la Suisse » pas sûr que le gouvernement serait désavoué !