mercredi 22 juin 2016

Lamentable Brexit



Demain, à cette heure, l'Angleterre aura peut-être quitté l'Europe. Je ne sais pas si ce sera alors une victoire de l'Angleterre : je ne suis pas anglais. Mais ce sera à coup sûr une défaite de l'Europe, et je suis totalement européen. Même si mon camp l'emporte d'un cheveu, il aura perdu. Pendant toute la campagne, les anti-européens auront réussi à imposer leurs thèmes, à faire tourner le débat autour d'eux, et pas autour de l'Europe.

La principale victoire idéologique, que je déplore mais que je suis bien obligé de constater, c'est d'avoir introduit dans les têtes cet horrible mot de Brexit, ce néologisme que même les médias français et notre classe politique ont repris à leur compte, pour le défendre ou s'y opposer. Le mal était fait : en politique, quand on se met à parler comme l'adversaire, c'est qu'il a déjà gagné la bataille du langage. En Angleterre, c'est à propos de la sortie de l'Europe (terme exact) qu'on s'est affronté, pas sur le maintien dans l'Europe, qui est pourtant la réalité actuelle, d'où il aurait fallu partir.

Quand on a suivi un peu cette campagne référendaire, comment ne pas faire le rapprochement avec ce qui s'est passé chez nous en 2005, autour de l'adoption de la Constitution européenne ? Même prise du pouvoir, dans l'espace médiatique, par les anti-européens, même hystérie, même flot de mensonges. Si on m'avait dit qu'un jour l'Europe déclencherait des passions ... J'ai connu l'époque, il y a une quarantaine d'années, où elle provoquait des bâillements quand le sujet était abordé, tant il semblait lointain et administratif, et pas du tout essentiel et politique. Tant mieux d'ailleurs qu'aujourd'hui il fasse réagir violemment : c'est le signe de son importance, mais j'aimerais qu'il soit traité autrement, de façon plus rationnelle.

Les européens sont en partie responsables de la situation actuelle et de leur propre perte d'influence, et ce qui s'est passé en Angleterre ces dernières semaines l'a confirmé. Ils sont trop timorés, sur la défensive, se contentant bien souvent d'inscrire l'Europe dans une sorte de fatalité historique peu prompte à l'enthousiasme, ou alors à jouer sur le catastrophisme en cas de rupture avec l'Union. Ce sont des arguments faibles et prudents. Il nous faudrait des européens audacieux, lyriques et offensifs.

Le paradoxe, c'est que les partisans de l'Europe apparaissent comme des modérés, de pauvres réalistes, des timides et finalement des conservateurs de l'ordre établi, alors que la vérité est à l'opposé : le projet novateur, radical, historique, c'est celui de la construction européenne et de ses transferts de souveraineté, une véritable révolution politique et idéologique, alors que les anti-européens souhaitent simplement que les choses restent en l'état. De même qu'est née il y a trois siècles l'Etat-nation, de même est en train de naître sous nos yeux, depuis quelques décennies, un fédéralisme continental unique en son genre, que les anti-européens veulent faire avorter.

Les anti-européens, en Angleterre comme en France, sont égaux à eux-mêmes, depuis une vingtaine d'années : virulents, violents, haineux, déversant sur l'Europe leur ressentiment, anti-élite, anti-oligarchie, anti-tout, populistes déchaînés. Dans cette rage anti-européenne, les extrêmes se rejoignent, se complètent, s'entre-excitent, gauche radicale et droite néofasciste. En Angleterre, la campagne électorale a été horrible, xénophobe, nationaliste, assimilant l'Europe à l'immigration. Les grands gagnants de l'anti-Europe, c'est toujours l'extrême droite, qui a cessé d'être européenne depuis que les fascismes ne dominent plus le continent.

Demain, nous verrons bien. Mais il est urgent, et depuis longtemps, que les européens de gauche et de droite se retrouvent, s'unissent d'une manière ou d'une autre, repartent à la conquête de l'opinion, fassent ce que les anti-européens de gauche et de droite réussissent si bien depuis une quinzaine d'années. A l'axe Le Pen-Mélenchon-Dupont-Aignan, opposer l'axe Hollande-Juppé-Bayrou.

14 commentaires:

Maxime a dit…

Est-ce que, pour vous, le rejet de l'immigration c'est de la xénophobie?

Par ailleurs, que les Anglais partent, nous n'avons pas besoin d'eux. Et l'économie française pourrait même profiter de leur sortie.

Philippe a dit…

A l'axe Le Pen-Mélenchon-Dupont-Aignan, opposer l'axe Hollande-Juppé-Bayrou.
A mon avis c'est inutile le deuxième axe pour survivre va siphonner partiellement les idées du premier.
Ces deux axes sont des concurrents commerciaux et la concurrence libre et non faussée est toujours bonne !!!

Par ailleurs inutile de s'en faire ! Si les britaniques vote pour le Brexit les gouvernants britanniques feront dans un ou deux ans comme en France une magouille annulant le référendum de demain.

Erwan Blesbois a dit…

Pour le Brexit, l'assassinat de la jeune députée favorable au maintien vient à point nommé pour faire pencher la balance du côté du maintien. C'est soi-disant un déséquilibré + néo-nazi, le top pour faire voter le maintien. Au moment où dans les sondages le Brexit passait devant... De là à penser que c'est fait exprès... C'est toujours bizarre ces assassinats qui arrivent à point nommé pour satisfaire la caste financière en place ... Mais bon, je n'ai rien dit, n'est-ce pas ? Si pour faire passer leurs idées tes amis oligarques ont besoin de faire tuer une des leurs (simple hypothèse, mais très crédible, comme l'assassinat d'Henri IV), c'est que vraiment la situation est bien plus grave que tu veux bien le laisser croire sur ce blog qui paraît anodin. L'Europe n'a apporté qu'une baisse énorme du niveau de vie du Français moyen (que tu n'aimes pas), une explosion des inégalités sociales, et une explosion du chômage. C'est pas l'Europe qui est mauvaise en soi, c'est même une bonne idée au départ (éviter les guerres), mais qui est devenue une machine à générer du fric pour une minorité. Pour en revenir à mon commentaire précédent où je disais que Pasolini c'était seulement de l'art, non ce n'est pas tout à fait ça, Pasolini c'est un peu plus, Fellini avait d'ailleurs refusé de produire ses films considérant que ce n'était pas de l'art mais autre chose. Effectivement Pasolini c'est un peu plus que de l'art, ou autre chose, c'est tout simplement du religieux : ce type était en ligne directe avec dieu, avec le sacré. C'est pour cela qu'il dérangeait tant l'oligarchie, qu'Emmanuel Mousset admire, et c'est pour cela que l'oligarchie l'a fait assassiner, par un déséquilibré, sur une plage d'Ostie, cela ne fait pratiquement aucun doute. Assassinat de Jo Cox, assassinat de Pasolini, même combat ?

Emmanuel Mousset a dit…

Oui, j'assimile le rejet radical de l'immigration à une forme de xénophobie. Qu'on veuille mener une politique de régulation ou même d'arrêt de l'immigration, c'est autre chose, que je ne traite pas, là, de xénophobe. Ce qui est compliqué avec la xénophobie, c'est que ce n'est pas une ligne politique ou économique qu'on pourrait discuter et même comprendre, mais une pulsion identitaire, une obsession irrationnelle dont on ne peut pas faire grand chose.

Philippe a dit…

Vous avez dit xénophobie !
Le rejet de l'immigration n'est pas forcément le fruit des esprits xénophobes mais peut venir aussi d'esprits aimant certains pays et soucieux de leur développement.
Quand à Alger, au Ministère de la Santé, j'ai reçu une formation/information tiers-mondiste, le Directeur de la Santé nous avait expliquer à moi et à mes collègues, que les algériens qui quittaient le pays étaient en quelque sorte des traîtres.
En effet pour le gouvernement algérien de l'époque ces « migrants » préféraient gagner du fric dans des pays comme la France ex-colonisateur ou d'autres pays occidentaux plutôt que de participer au développement du pays en y vivant frugalement.
Ces « migrations » ou « saignées » dites économique n'ont pas été et ne sont pas sans responsabilité sur les difficultés que les ex-pays colonisés ont rencontré et rencontrent.
Actuellement d'autres, venant de pays en guerre, objectent un autre argument. Ils considèrent que nombre de migrants sont de fait des déserteurs. (comme ceux qui allaient en Suisse en 1914!)
Crier à la xénophobie est peut être un peu incomplet ?

Maxime a dit…

Oui mais pour mettre en oeuvre une politique d'arrêt de l'immigration il faut qu'il y ait déjà un rejet de celle-ci non? Du coup je ne vois pas trop la différence avec votre "pulsion" identitaire... On peut par ailleurs rejeter l'immigration de façon très rationnelle. Pour préserver notre culture, notre langue, notre modèle social, l'UE (que sa politique migratoire trop gentille va finir par perdre)...

Erwan Blesbois a dit…

Conversations d'hégéliens entre Maxime et son maître, ou plus prosaïquement son simple prof. Fascination pour les grands hommes, fascination pour le pouvoir, fascination pour l'Europe et ses oligarques, en gros fascination pour le crime. C'est pour cela que le rétablissement d'une petite dose de catholicisme dans l'éducation des enfants ne serait pas du luxe, comme l'affirmation d'un impératif : " tu ne tueras point." Je ne suis pas plus propre qu'un autre, je suis assez " gris ", je n'ai aucune propreté intrinsèque pour être légitime à faire la morale à qui que ce soit. C'est pour cela que la religion devrait être là pour ça, puisque l'école n'est plus selon moi qu'un camp disciplinaire, sans morale, sans modèle.

Maxime a dit…

Ce n'est pas avec de la morale qu'on fait de grandes choses, Erwan...

Erwan Blesbois a dit…

Hypothèse crédible où Thomas Mair est un déséquilibré manipulé pour tuer (de toute façon on ne le saura jamais, ou au mieux 20 ans après), et même si ce n'est pas le cas, en admettant qu'il ait agit " librement " (si tant est qu'un esprit aliéné puisse être " libre " de ses actes) : donc du point de vue de l'Histoire, l'assassinat de Jo Cox est légitime car il sert une " grande chose " : le maintient de la Grande-Bretagne dans l'UE. Je trouve ce genre de logique sacrificielle au XXIème siècle, absolument barbare et indigne d'une société qui se prétend un modèle de civilisation : mais c'est une logique hégélienne ! C'est mon hypothèse, conforme à ce que j'observe dans la vie de tous les jours : la société se barbarise, par absence de morale. Idéalement, ce sont les " grands " qui devraient servir de modèle aux " petits ", par leur comportement exemplaire : le dernier à avoir su le faire en France fut effectivement De Gaulle, que des circonstances exceptionnelles avaient permis de développer une immensité éthique, et une réelle dimension morale. En opposition totale avec son négatif : François Mitterrand le machiavélique, qui a laissé un héritage déplorable d'un point de vue moral, dont nous payons encore le prix aujourd'hui.
Autre chose : Napoléon a précipité le déclin inexorable de la France sur le plan européen, finalement supplantée par l'Allemagne, qui elle-même n'arrivera finalement jamais à la complète hégémonie sur le plan européen. Même si aujourd'hui elle nous domine largement sur le terrain économique, je tiens à rappeler que ce n'était pas le cas du temps de De Gaulle. Et que ce sont mai 68, la " chienlit " (en réalité les " sales gosses " de la bourgeoisie, qui n'avaient pas du tout envie que le peuple soit décisionnaire), puis Mitterrand et Chirac qui ont précipité la ruine du pays. Sarkozy et Hollande ne sont plus que des nains politiques.
Emmanuel Mousset ne croit pas au réveil populaire français pour accomplir de grandes choses. Il ne croit qu'aux décisions verticales prises dans les alcôves du pouvoir, et à la méthode du " coup de pied au cul " et de l'autoritarisme, pour faire bouger les choses : dont Manuel Valls est le représentant emblématique et caricatural. Je pense au contraire que l'esprit décisionnaire devrait venir du peuple - projet que mai 68 a très vite abandonné, car ce fut finalement une " révolution " de sales gosses de la bourgeoisie, qui en avaient assez des contraintes imposées par le père symbolique de la nation - à condition qu'on lui fasse confiance : c'est d'ailleurs la véritable définition de la démocratie.

Maxime a dit…

Bonjour la catastrophe si on devait donner du pouvoir au peuple...

Maxime a dit…

Victoire du Brexit avec 52% des voix! Le début de la fin pour l'UE a commencé.

Philippe a dit…

Il m'est arrivé au cours de mon existence de croiser des personnages très irritants sur l'instant.
Irritants car par exemple quand on emploie un mot « valise voire ... malle » c'est à dire au contenu tellement vaste qu'il en devient sans valeur … ils posent la question : pourriez-vous préciser ce que vous entendez par ……… ?
Beaucoup emploie le mot « peuple » dans des discussions de politique politicienne.
Dans ce cadre que faut-il mettre dans le mot « peuple » ?

Erwan Blesbois a dit…

La réponse à votre question Philippe, se trouve dans ce débat entre Onfray et Moix, sur la question de la définition du mot " peuple ", sur laquelle ils ne parviennent pas à se mettre d'accord. La question qu'il faut se poser aussi est : de qui Moix est-il le nom ? BHL ?
https://www.youtube.com/watch?v=Ba9CSe6aspw

Philippe a dit…

Erwan
Mon commentaire ne cherchait pas à donner une définition.
Il proposait incidieusement le retour de chacun devant son miroir, d'autres diront dans son cabinet de réflexion, bref que chacun s'applique à lui-même la maïeutique en s'interrogeant hors de tout regard et bien sûr avec sincérité.
Je continue qui dit peuple dit « non peuple ».
Donc qu'est-ce que le « non peuple » ?
et vous verrez que de question en question on va aborder le concept « les héritiers » etc. etc. etc.