samedi 25 juin 2016
Le ministre et l'écrivain
Je vous recommande la lecture des Inrockuptibles de cette semaine. L'invité est Michel Houellebecq. Il débat avec Emmanuel Macron. Confronter un politique avec un intellectuel ou un artiste, c'est une bonne idée qui ne marche pas toujours. Philosophie magazine avait réuni Nicolas Sarkozy et Michel Onfray, sans grand intérêt. C'est parce que Sarko n'est pas très intello, contrairement à Macron. Et Onfray n'est pas grand philosophe, alors que Houellebecq est grand écrivain.
Toujours est-il que le face à face est passionnant de bout en bout. D'abord parce qu'il y a tout de suite une forme de complicité entre les deux personnages (Sarkozy, Onfray, c'était le feu et la glace). Ensuite parce que leur dissemblance est amusante : le beau gosse et le quinqua flapi, le sourire éclatant et la bouche édentée, l'optimiste presque naïf et le pessimiste presque sournois. En tout cas, on se régale, lisez. Et puis, c'est l'occasion pour le ministre, présidentiable quoi qu'il en dise, de préciser sa philosophe politique. J'ai repéré huit thèmes :
1- La démocratie : le ministre et l'écrivain souhaitent son renouvellement. Macron prône des "conférences de consensus", où l'avis des citoyens serait éclairé par le travail des experts, afin d'éviter les débats conflictuels et stériles. Mais il est très réticent envers la démocratie directe, que Houellebecq au contraire aimerait généraliser, par des référendums qui seraient l'origine unique de la loi (et non plus la délégation parlementaire).
2- La politique : son "malaise" vient de la promesse d'un impossible bonheur, alors qu'elle devrait se donner pour objectif de construire un cadre qui permette l'"autonomie" et l'"émancipation" des individus (les deux maîtres-mots de Macron). Aux jeunes surtout, il ne faut pas promettre le bonheur, pense-t-il.
3- L'autorité : Houellebecq croit au "bon chef". Son expérience lui fait dire (à moi aussi !) : "il suffit parfois de changer de chef, et tout va mieux". Oui, c'est vrai : tout ne va pas forcément bien, mais tout va mieux, quand les têtes changent. Macron pointe aussi la question, posée selon lui à partir de 1968 : "quelle est la forme légitime d'autorité ?" étant donné que nulle société ne peut s'en passer.
4- Le capitalisme : on reproche souvent au ministre d'être libéral. Oui, à condition de distinguer libéralisme et capitalisme, attachement à la liberté et recherche du profit. Sur ce point, Macron n'est pas le réaliste ou le pragmatique qu'on pourrait penser. Au contraire, je crois que c'est dans son libéralisme que se manifeste paradoxalement le plus en lui sa nature d'homme de gauche, optimiste et utopiste. Car ce penchant libéral repose sur une conception de la nature humaine qui me rend moi-même sceptique : "nous sommes des individus intenses, on a tous une spiritualité, une envie d'exister, de prendre des responsabilités". Pour le coup, je suis plutôt houellebecquien : la plupart des êtres humains, du moins dans notre société, se satisfont d'une existence médiocre, vivent d'un matérialisme vulgaire et fuient les responsabilités. L'homme libéral, investi, énergique, enthousiaste, plein d'initiative et prenant des risques, c'est l'homme supérieur de Nietzsche, alors que le dernier homme domine les sociétés contemporaines (voir le billet "Jour de deuil pour l'Europe"). Au passage, rappelons que Houellebecq déteste Nietzsche.
5- La religion : Macron emploie à plusieurs reprises le terme de "spiritualité", à laquelle les hommes accèdent par leur "autonomie". "Aujourd'hui, dit-il, la vraie lutte se joue entre le capitalisme et les religions". Elles seules, désormais, non plus les idéologies politiques, ont le sens de l'absolu. Le bonheur n'est plus à chercher dans la politique, mais dans la religion. "La République, c'est toujours une façon d'organiser les accommodements". La laïcité de Macron n'est donc pas antireligieuse, l'émancipation de l'homme passe au contraire, si c'est son choix, par la "spiritualité". Mine de rien, c'est toute une rupture avec une certaine vulgate de gauche. Houellebecq, à son habitude, n'est pas aussi réjoui : "la relation entre religion et république est conflictuelle dans son principe même" (pas d'accord).
6- Droite et gauche : on a reproché à Emmanuel Macron de refuser ce traditionnel clivage. Il n'en est rien : "L'enjeu n'est pas de nier le clivage mais de le déplacer. Au fond, de le restaurer entre progressistes et conservateurs". C'est ce qui n'a pas cessé de se faire depuis deux siècles, droite et gauche évoluant, prenant de nouvelles définitions. C'est le mouvement même de la vie, le changement.
7- L'Europe : Macron est évidemment son fervent défenseur, contre un Houellebecq évidemment sceptique bougon. "L'Europe, c'est trop grand, ça ne peut pas marcher", lâche l'écrivain, hostile à toute forme de grandeur, adepte de cette moyennitude qui est la marque de notre société. A l'inverse, Macron s'extasie : "L'idée que l'on puisse vivre en paix dans cet espace est un progrès de civilisation colossal. Le génie de Mitterrand a été de transmuer le rêve français en rêve européen". Mais l'homme moyen que représente Houellebecq n'est ni un colosse, ni un génie, ni un rêveur ! Il fréquente Monoprix et va au Club Med ...
8- Souveraineté et protection : Emmanuel Macron les répète en fin d'entretien, et Michel Houellebecq pour une fois tombe d'accord avec lui. Le ministre social-libéral défend la souveraineté économique de l'Etat dans certains secteurs-clés et la protection sociale de la population. Il prend notamment partie pour l'acier français, contre l'acier chinois, dont il ne veut pas que dépende notre pays. Houellebecq est content.
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5 commentaires:
Je ne me serais pas attendu à un tel article de la part des Inrock (journal que je trouve peu intéressant et vecteur "d'idées" que j'abhorre)...
Vous traitez plusieurs fois Houellebecq "d'homme commun"... parce que vous, vous n'en n'êtes pas un? Bon passons, je vous ferez remarquer qu'il est heureux que notre société soit composée de minables et de médiocres. Les gens intelligents et ambitieux sont trop difficiles à gouverner. Un Surhomme (et non pas "homme supérieur", c'est moche et ne traduit pas exactement l'allemand de Nietzsche) pour 500 médiocres cela me semble le quota idéal.
Qu'il est sage ce Macron de ne pas promettre aux jeunes un bonheur qui n'existe pas...
1- C'est l'écrivain lui-même qui fait l'éloge de l'homme moyen, commun, avec brio d'ailleurs. Je suis, moi aussi, cet homme moyen, étant le produit de la société dans laquelle je vis. Mais, à la différence de Houellebecq, je m'en désole.
2- Il faut comprendre le terme de "médiocre" (moyen, commun) en un sens non péjoratif, neutre. Ce sont bien souvent les hommes médiocres qui font marcher le monde. En politique, la médiocrité peut être un atout, parce qu'elle est synonyme d'adaptation.
3- Chez Nietzsche, il faut distinguer l'homme supérieur et le surhomme. Le premier est le chef, le leader, le héros, le grand homme. Le second est l'homme qui se construit lui-même, par sa propre volonté, sans se définir par rapport à autrui (ce que continue à faire l'homme supérieur, dans sa volonté de domination non de soi mais des autres). Tous les deux, mais surtout le second, s'opposent au dernier homme, l'homme grégaire, médiocre et fier de l'être, qui est surtout l'homme d'aujourd'hui, selon Nietzsche. C'est une théorie qui vaut ce qu'elle vaut, mais qui m'a toujours beaucoup plu.
Merci pour ce cpt rendu les 8 sujets sont intéressants.
Concernant 1
Il me semble que conférences de consensus et démocratie directe ne sont pas à priori contradictoires, les premières peuvent servir à éclairer la seconde. La plupart des sujets ne nécessitent pas une réponse populaire dans le mois ni même dans l'année. Le délai peut être utilisé pour des conférences de consensus et une information poussée et voire itérative du public.
Cela serait l'idéal !
On voit ici que les parents de Macron sont médecins car les conférences de consensus ont été crées dans le domaine médical.
Sur la page
http://www.spiral.ulg.ac.be/fr/outils/conference-consensus/
Ce sont des procédures très complexes. Passionnantes j'ai participé dans le public à plusieurs.
Dans le domaine des médications il y a eu dans le passé des soucis au niveau des experts.
http://www.leparisien.fr/espace-premium/actu/des-liens-peu-clairs-entre-labos-et-experts-24-03-2016-5655169.php
Utilisées dans d'autres domaines moins scientifiques le choix des experts qui est confié au « directeur de projet » (de consensus) et au comité directeur va devenir rapidement très politique/politicien. Ce choix peut être très biaisé, il peut orienter le consensus dogmatiquement/politiquement/religieusement et donc permettre la remise en cause ultérieure du consensus.
Dans les explications sur la 1ere page ci-dessus cet écueil n'est même pas listé alors qu'il est essentiel.
Imaginez une conférence de consensus concernant la gestation pour autrui, le choix des experts membres du panel d'experts ???, le panel des profanes est plus facile à établir …
Bref malheureusement un expert pour certains peut être un non expert pour d'autres, les tribunaux ne voient-ils pas souvent des duels d'experts !
Les 7 autres … je ne désire pas abuser ………… de votre hospitalité
Faites comme chez vous. Blesbois ne se gêne pas.
Suite consensus
J'ai lu cette réflexion sur un forum à propos des référendums.(le pluriel devrait être referenda)
"Un peuple c'est un tout, mais quand le oui gagne avec un score de 51%, peut-on parler de peuple ou de demi-peuple? 49% c'est énorme. C'est la face sombre de la démocratie. Dans ce cas ci elle n'apporte pas de solutions, mais accentue les clivages au sein du peuple."
Les consensus qui aboutissent seraient la face lumineuse de la démocratie et les referendums à la française ou britanique clivants en seraient sa face sombre (comme en 2005, comme jeudi en Grande Bretagne) … et les suisses moitié moitié ...
Y-t-il une solution, car je doute que sur de nombreux problèmes non scientifiques ou non techniques les consensus non truqués et non biaisés dans leur déroulement soient possibles ?
Les referendums pas mieux !!!
Je me sens devenir très Houellbecq...ien … allez un bon pur malt et on oublie !
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