dimanche 26 juin 2016

Rocard comme on l'aime




Ce n'est pas un entretien que nous livre Le Point de cette semaine, mais un véritable manifeste : 12 pages de Michel Rocard ! Le magazine parle de "testament". Mais non ! A 85 ans, mon maître en politique a encore beaucoup de choses à nous dire. C'est un texte tout en clin d'œil, paradoxe, confirmation et surprise.

Rocard, le chouchou des médias (qui d'autre que lui, dans sa situation, ferait encore la une d'un grand news ?), critique ... les médias, qui se vouent aux faits divers, privilégient le divertissement, renoncent à la réflexion. Le Brexit, c'est aussi, outre-Manche, la victoire de la presse à scandales, anti-européenne. Hollande est "un enfant des médias", c'est sa limite (mais aujourd'hui leur victime ?). Et Mitterrand savait en jouer en son temps. Bon, le point de vue n'est pas très original.

Mitterrand, justement : ah, celui-là, avec Rocard, ça ne marchait pas ! Le penseur de la deuxième gauche n'a pas, contrairement à Giscard, jeté la rancune à la rivière, non sans raisons bien sûr, mais aussi avec mauvaise foi et injustice (mon maître en politique peut se tromper). Traiter Mitterrand d'"homme de droite", c'est y aller un peu fort. Entre eux, le désamour remonte aux années 50, quand Rocard a traité d'"assassin", dans l'affaire algérienne, le futur président de la République. En politique, on ne pardonne jamais.

Pourtant, les deux hommes ont constitué le binôme de l'exécutif le plus populaire de la Vème République. Pas besoin de s'aimer pour bien travailler ensemble, d'autant qu'ils s'appréciaient si peu qu'ils travaillaient très vite ! Le fond du conflit n'est d'ailleurs pas personnel, mais idéologique : Rocard n'a jamais encaissé le mélange de jacobinisme et de marxisme que représentait le mitterrandisme. En revanche, Macron, Valls, Juppé et le socialisme suédois, ça lui va.

Le socialisme, justement : "Il n'y a plus guère que moi pour en parler ... parce que je suis archaïque, probablement" (private joke). Même le changement de nom du PS, voulu un moment par Valls, Rocard dit niet, parce que "le seul mot qui fait primer le collectif sur l'individu, c'est le socialisme". Sur le Brexit, surprise : Rocard dit yes. Bon débarras les English, qui empêchaient l'Europe de progresser ! (pas d'accord).

Le syndicalisme de services est selon lui la solution à la crise des grandes centrales ouvrières. Les 35 heures, c'est bien, à condition que la loi ne s'en mêle pas. Robien est préférable à Aubry. Les emplois publics doivent diminuer, un revenu minimum doit être instauré (Rocard a longtemps été contre). La droite a été "lâche" de favoriser l'immigration maghrébine de 1969 à 1973, sans l'assortir d'un accompagnement social. Giscard président a eu raison de la stopper. Mais Merkel aujourd'hui est courageuse d'ouvrir ses portes aux migrants. Le débat sur le voile est de l'ordre du symbole. Or, "le drame du symbole, c'est qu'on ne négocie pas avec, c'est qu'on est embarqué dans l'excès" (bien vu).

La création du ministère de la Ville, en 1988 par Mitterrand, a été "une folie", détruisant le bénévolat en faveur d'une "administration mendiante". On aurait pu croire le moderniste Rocard très enthousiaste aux nouvelles technologies. Pas du tout ! "Dans la numérisation, je vois plutôt un danger pour notre langue. Avec les SMS et autres, il n'y a plus d'orthographe, de nuances, de doute (...) Je ne crois guère au baratin de la restauration démocratique par Internet" (bravo).

La fin de l'entretien, comme il se doit, est consacrée à la géopolitique. Rocard est atterré par l'absence de l'Europe dans les grands enjeux mondiaux (moi aussi). Dans la crise ukrainienne, nous avons ignoré l'Histoire (ce pays est russe) et nous avons méprisé la Russie, qui s'est sentie légitimement offensée (oh que oui). En Syrie, Bachar est un facteur d'ordre, pas plus tueur que les autres, qu'on ferait mieux de soutenir.

J'ai rédigé ce billet comme Michel Rocard parle, rapidement, de façon fragmentée, bourré de vérités et de provocations. C'est Rocard comme on l'aime, en socialiste libre, réfléchi, stimulant, inattendu et très attendu, qu'on veut garder parmi nous le plus longtemps possible. Sûrement pas un sage de la gauche, mais son penseur franc-tireur.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

la première réflexion qui vient à l'esprit à la lecture de ce billet c'est: mais vous avez eu tellement de maitres.....que votre crédibilité en pâtit.

Emmanuel Mousset a dit…

La multitude de maîtres ne pâtit jamais. Au contraire, elle enrichit. C'est leur rareté qui est invalidante. Et encore ne connaissez-vous pas mes maîtres secrets, qui vous surprendraient ! En politique, les miens se rangent sur une même ligne, la social-démocratie : Mendès, Rocard, Delors, Jospin, DSK, aujourd'hui Macron ... et demain, qui voudra bien !

Philippe a dit…

L'une de mes admirations « secrètes », qui ne l'est donc plus !
Marius Jacob :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marius_Jacob
et tous les gueux de sa trempe !
Et certainement pas tous ces petits et grands bourgeois qui ont passé ou passent leur temps à faire accroire, en tournant en rond, qu'ils vont servir pour finalement ... se servir … mais eux sans jamais passer par l'île du Diable et la case rédemption !

Anonyme a dit…

Ah je crois que vous avez oublié VALLS aussi. Quand même!... Cela pourrait être invalidant comme vous dites. Par ailleurs "pâtir" est un verbe intransitif....

Anonyme a dit…

Rocard, un vieux con qui se croit de gauche mais qui n'est toujours qu'un technocrate, Inspecteur des Finances, égaré en politique, selon le témoignage oral de Gilles Martinet qui l'a bien connu depuis qu'ils étaient ensemble au PSU, un temps que vous n'avez pas connu, pas plus que moi.
Depuis il n'est plus qu'un vieil oligarque ultralibéral et européiste. De temps en temps il dit tout haut ce que notre élite pense tout bas. Comme il ne sait pas parler clairement : une phrase comprend un sujet, un verbe et un complément voire un peu plus et non pas une phrase si longue que, quand il l'a terminée, on a oublié les 3/4 de ces propos tant il est long et obscur.
Rocard a raté de ce fait sa carrière politique mais ces idées modernistes (néolibérales) ont perverti, contaminé toute la gauche française au point d'en crever électoralement l'an prochain, tant elle est divisée notamment. Ce qu'a reconnu le meilleur des éditorialistes Jacques Julliard en tant que prche de la seconde gauche dont Rocard fût un hérault.

Emmanuel Mousset a dit…

J'ai connu le PSU de Bouchardeau. C'était gentil, mais la grande époque était révolue.

Anonyme a dit…

Cela restera comme un témoignage posthume !