lundi 19 mars 2012

Le visage de Mélenchon.

Mon dimanche n'a pas été illuminé par le soleil (ciel désespérément gris sur Saint-Quentin) mais par un visage, vu à la télévision, celui de Jean-Luc Mélenchon. Pourtant, ce candidat à la présidentielle n'est pas de mon parti (le PS) ni de mes idées (le socialisme réformiste) mais il est de mon camp (la gauche, dont les frontières naturelles s'arrêtent à l'extrême gauche). Ses idées à lui, son projet politique, c'est le "socialisme révolutionnaire" (je reprends ses propres termes). Bref, il veut rompre avec le capitalisme alors que je me contente de le réguler.

Qu'est-ce qui fait donc que ce visage a malgré tout éclairé ma journée dominicale ? Parce que j'ai goûté avec plaisir le contraste. Avant, Mélenchon affichait des traits assez durs, des mâchoires crispées, des regards qui lançaient la foudre, des gestes vengeurs, une parole violente. Hier, ce même visage s'était apaisé, détendu, était devenu souriant, les yeux beaucoup plus doux, la voix plus caressante. Que s'est-il donc passé ? Cet homme est désormais heureux parce qu'il est victorieux.

Voilà le secret de la grande forme en politique : l'ivresse d'une possible victoire. Le Front de gauche a dépassé les 10% d'intentions de votes, il a mobilisé hier des dizaines de milliers de personnes à la Bastille. Voilà la performance d'un homme qui était encore, il y a quelques temps seulement, un dissident solitaire du PS appuyé par un parti, le PCF, marginalisé. Aujourd'hui, ils sont les premiers gagnants de la présidentielle. Comment ne pas être heureux et ne pas le montrer, dans ces conditions ?

Regardez le visage des socialistes à Saint-Quentin, le mien en premier (quoique je ne voudrais pas faire de mon cas une généralité) : les traits sont marqués, anxieux, tristes ou bien ce sont des figures rigolardes de fausse joie, des rires de convenance, des sortes d'exutoire. Je ne sais plus qui a dit que l'humour était la politesse du désespoir. Ce sont des têtes de perdants, et c'est normal quand on est constamment confrontés à la défaite. C'est pourquoi le visage de Mélenchon me fait plaisir, me requinque, me rend à mon tour heureux.

En tant que socialiste, fervent partisan de François Hollande, ai-je à me chagriner du succès de Jean-Luc Mélenchon ? Non, sûrement pas puisque son succès est en même temps celui de la gauche. En revanche, je suis chagriné pour de bon en voyant nos amis écologistes ne pas décoller. Quant au "vote utile", je n'en connais qu'un seul : celui des convictions. Je n'ai pas à faire de la retape pour mon candidat mais à expliquer son programme. Pour le reste, un vote se fait en notre âme et conscience, avec un peu de réflexion et beaucoup d'intuition : celui qui se reconnaît en Mélenchon doit voter Mélenchon et celui qui est plus sensible à Hollande votera Hollande, c'est tout.

J'entends dire que la montée du Front de gauche devrait amener François Hollande à se radicaliser, à gauchir son projet. Surtout pas ! Chacun doit rester ce qu'il est, fidèle à son histoire, à son identité, Mélenchon révolutionnaire et Hollande réformiste. Je pense même que plus Mélenchon se radicalisera, plus Hollande devra se social-démocratiser, afin de laisser aux électeurs de gauche un véritable choix entre deux alternatives différentes. Il faut cultiver les différences au lieu de les aplanir.

Ce qui permet cela, c'est la forte tradition, à gauche, de discipline républicaine : au premier tour chacun va à sa préférence, au second tour tout le monde soutient le candidat de gauche arrivé en tête (cette discipline républicaine n'a jamais été admise comme principe par l'extrême gauche). Mélenchon est heureux, je suis heureux et le soleil est revenu sur Saint-Quentin.

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