samedi 17 mars 2012

Cloclo, infect et fascinant.

J'irai voir demain le film de Florent Emilio Siri consacré à Claude François. Pour ne pas me laisser influencer, je vous livre dès aujourd'hui mes pensées sur le personnage. Cloclo est mort quand j'avais 18 ans. Sa disparition est passée chez moi presque inaperçue. A l'époque, je n'avais qu'une chose en tête : la possible victoire de la gauche aux législatives. Je suis resté insensible à l'événement parce que je ne considérais pas Claude François comme un grand chanteur.

Vedette populaire oui, mais ni plus ni moins que Michel Sardou. La vraie star nationale, c'était Johnny. Quant aux stars internationales, je n'en voyais alors que deux : Aznavour et Montand. Cloclo n'a jamais été le chanteur n°1 en France, malgré tous ses efforts pour le devenir. Ne parlons même pas de ce qu'il inspirait aux milieux cultivés, qui vénéraient Brel, Brassens, Ferrat et méprisaient cordialement Claude François.

Toutes ces données en faisaient à mes yeux un chanteur sans intérêt. Non pas que je n'appréciais pas certaines chansons, des "tubes" comme on disait ; mais autant que j'apprécie voir passer le train dans la campagne, par hasard et pour pas très longtemps. Cloclo n'a rien créé, rien inventé : il a repris habilement, en l'adaptant, ce qui marchait ailleurs, chansons et chorégraphie. Aucun génie en lui. Comment voulez-vous admirer ce genre d'homme ?

Et pourtant, depuis quelques années, je m'intéresse à Claude François, je regarde les émissions qui lui sont consacrées. Mon point de vue n'a pas changé sur l'individu. Au contraire, apprenant à le connaître, mon jugement est encore plus sévère : ce type était vraiment infect. En même temps, il me fascine (ça c'est nouveau). Pourquoi ? Parce que je me demande comment quelqu'un de talentueux mais pas génial, de surcroît à la psychologie tordue, peut devenir populaire et susciter durablement, jusqu'à nos jours, l'enthousiasme ? C'est fortiche, c'est un mystère pour moi.

Infect, le mot n'est pas forcé. Cloclo était parano, manipulateur, tyrannique, narcissique, prédateur sexuel, pornographe, mauvais père, mari possessif, affairiste raté. Il n'aimait personne à part lui. Qu'on ne me dise pas que c'est le revers habituel et obligé du perfectionnisme ! Cette vertu ne se paie pas au prix de ces nombreux vices. Sa disparition est à l'image détraquée de sa vie : il s'est fait embaumer comme un pharaon d'Egypte, obsédé qu'il était par la vieillesse et la mort.

Mais cet homme aimait-il la vie, était-il fait pour le bonheur qu'il célébrait, l'une et l'autre, dans ses chansons à succès ? J'ai l'impression d'une personne se fuyant sans cesse, se construisant un personnage pour ne pas se regarder en face, s'étourdissant froidement et méthodiquement dans la gloire et la lumière pour échapper à sa part d'ombre. L'énergie formidable de Claude François n'était qu'une réaction à sa fondamentale anxiété devant l'existence. Faisons bien attention : il y a, à des degrés divers, du Cloclo en chacun d'entre nous. Lui a assumé ses vices jusqu'au bout, publiquement, transformant ses faiblesses en forces. Chacun fait comme il peut, nous en sommes tous là.

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