samedi 24 mars 2012

Bin mon côlon ...



J'étais cet après-midi l'invité de l'hôtel Acloque, à Amiens, pour y donner une conférence sur Jean-Jacques Rousseau, dont nous fêtons cette année le tricentenaire de la naissance. Ce magnifique hôtel particulier est situé non loin de la maison de Jules Verne. Les propriétaires, un couple charmant, m'ont fait visiter leur bâtisse, dont l'intérieur est meublé comme un petit château.

Le monsieur est antiquaire, "marchand de tableaux" me précise-t-il très honnêtement. Chez lui, avec lui, on se sent plus calme, plus intelligent, un peu hors du temps. Il a tenu à me montrer une toile d'Edouard Pingret, natif de Saint-Quentin, représentant je ne sais plus quel roi ou prince se rendant au pèlerinage à la Vierge noire de Liesse-Notre-Dame, près de Laon. J'en toucherai un mot à notre conservateur du musée Antoine-Lécuyer, Hervé Cabezas, qui pourrait bien être intéressé par l'acquisition. Au passage, j'ai appris que l'hôtel Acloque possédait il y a quelques années un pastel de Maurice-Quentin de La Tour. Ceci dit, je n'étais pas là pour parler art mais philo ...

Nous avons devisé dans la serre, au milieu des plantes, ce qui est un lieu d'inspiration quand on veut évoquer la pensée de Rousseau. En sortant, comme il faisait très beau, je suis allé faire un petit tour du côté du centre ville, et je suis tombé, dans la rue principale, sur ça (en photo, pour que vous n'en doutiez pas). C'est une chose innommable, immonde, qui barrait grossièrement la chaussée, qu'on ne pouvait absolument pas éviter : une sorte de gros boudin rose vilain par lequel des gens (assez nombreux) entraient et sortaient. C'était vraiment très laid. C'est ce qui s'appelle, dans le langage d'aujourd'hui, une "structure gonflable". Moi ça me gonfle.

Comme je suis curieux de nature, que même la bêtise m'intéresse et m'intrigue, je me suis rendu dans cet étrange tunnel. A l'entrée, il y avait des sortes d'hôtesses habillées en orange fluo criard (tout ce qui se voit est à la mode, tout ce qui crie, même les grévistes se mettent maintenant des gilets jaune fluo, notre époque a peur de tout sauf du ridicule). Je vois un panneau avec ce mot : "Côlon". Je ne comprends pas tout de suite. Non, ce n'est pas le colon qui fait suer le burnou, c'est celui qui prend un chapeau de chinois sur son o et ça change tout ! Les hôtesses m'expliquent qu'il s'agit d'une opération de prévention contre le cancer. Le gros boudin rose, c'est un côlon géant dans lequel on m'invite à entrer !

Il m'arrive parfois d'être faible, je me suis laissé faire, j'ai été absorbé par le boyau. Un énorme côlon, quelle idée ! Au début, les parois du tuyau sont toute lisses. Parvenu à mi-parcours, une protubérance hideuse coupe le passage, une espèce de moignon qui ne ressemble à rien d'humain : vous venez de faire connaissance avec votre cancer du côlon, qui n'est pas très engageant. Tout au long du trajet, j'avais l'impression d'être une merde en circulation dans l'intestin.

Ouf, la sortie est quand même rapide, le côlon a une fin. Mais ce n'était pas complètement fini : j'ai dû remplir un questionnaire et on m'a offert en cadeau, pour me remercier d'avoir participé, une de ces boules de caoutchouc qu'on malaxe dans la paume de la main et qui servent à déstresser. J'en avais besoin, en effet. Et la boule représentait quoi ? Un morceau de côlon ! (encore une fois, ça peut paraître fou mais je n'invente rien).

J'approuve entièrement les campagnes de prévention sanitaire, surtout quand elle vise à détecter des maladies mortelles. Mais je m'interroge sur le style et l'efficacité de celle-ci. Faut-il vraiment en arriver là pour toucher les consciences ? Cette baudruche de côlon doit coûter du fric, son esthétique au milieu de la ville n'est pas d'un goût certain. Pourquoi ne pas aborder un problème grave de façon sérieuse, sous forme de panneaux, de fiches, de conférences ?

Ce ballon qui fait penser à une attraction de parc de loisir ou de plage se veut pédagogique en étant ludique. Le divertissement envahit toute notre société. Jusqu'où allons-nous ainsi ? Pourquoi vouloir amuser quand il s'agit d'informer ? A quand une immense paire de testicules sur la place de l'Hôtel de Ville à Saint-Quentin pour sensibiliser au cancer qui affecte cette partie du corps ? On a beau saluer les bonnes intentions, je trouve que quelque chose ne va pas là-dedans ...

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