vendredi 25 octobre 2013

Rumeur, tumeur



"Moi, monsieur, je suis ancien combattant, patron de bistrot et militant socialiste ; c'est vous dire si dans ma vie, j'en ai entendu des conneries !" Cette formule savoureuse et profondément philosophique est tirée des dialogues du film Un idiot à Paris, signés Michel Audiard. Oui, nous pouvons tous je crois l'attester : des conneries, qu'est-ce qu'on peut en entendre autour de soi, même quand on n'est pas ancien combattant, patron de bistrot ou militant socialiste !

D'ailleurs, les conneries sont statistiquement plus nombreuses que les cons, puisque même les personnes intelligentes n'hésitent pas à les faire circuler. Si encore ces conneries étaient gentilles, sympa, inoffensives ... Mais elles sont souvent méchantes, parfois cruelles, toujours vicieuses. Par exemple cette sale rumeur qui frappe Saint-Quentin comme d'autres villes, prétendant que la Municipalité logerait chez nous des habitants de Seine-Saint-Denis (voir L'Aisne Nouvelle de samedi dernier). Le motif raciste, à l'origine de la rumeur, est évident.

Les rumeurs plus ou moins malveillantes ont toujours existé. Quelques-unes, saint-quentinoises de ces vingt dernières années, me sont revenues à l'esprit :

Parmi les rumeurs politiques, il y a celle annonçant Xavier Bertrand candidat à la mairie de Reims. On se demande bien pourquoi, ayant de solides assises à Saint-Quentin, il irait se présenter à 100 km de là ! Le seul lien avec cette ville est d'y avoir fait ses études et d'être né non loin, à Châlons-en-Champagne. Mais ce ne sont pas des raisons politiques suffisantes ! L'intention cachée de la rumeur, c'est de prétendre que Xavier Bertrand ne s'intéresserait pas à sa ville d'adoption. Odette Grzegrzulka a elle aussi été victime de rumeurs, touchant sa vie privée. Les accusations étaient plus graves, plus blessantes, avec l'objectif de soi-disant prouver son incapacité personnelle à devenir maire de Saint-Quentin. Toutes ces rumeurs, à la fois involontaires et entretenues, sont détestables.

Il y a des rumeurs plus bénignes, mais néanmoins mensongères. Dans le style l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours, un militant de gauche, en pleine élection municipale de 2001, m'annonce qu'il connait quelqu'un qui a vu dans les bureaux de la Municipalité des cartons se remplir, en prévision de la défaite. Quelques semaines plus tard, Pierre André remportait une victoire historique, avec un score de 71% ! Mon camarade avait pris ses désirs pour des réalités, comme c'est souvent le cas dans le mécanisme de la rumeur.

A la même époque, il se disait, un journaliste de L'Union me l'avait confirmé, que la députée Odette Grzegrzulka m'avait fait venir de Paris pour que je prenne la tête de la section socialiste locale. Tout faux ! Je ne connaissais pas Odette et j'ai aménagé à Saint-Quentin à la suite d'une séparation. Mais ce qui donnait de la crédibilité à la rumeur, c'est que quelques mois seulement après mon arrivée, je suis effectivement devenu secrétaire de section. La rumeur, inintelligente, se fie aux apparences et ne va pas chercher plus loin. Elle prend des coïncidences pour des causalités.

Sous la Municipalité communiste, du temps de Le Meur, deux rumeurs connexes se sont propagées. L'une affirmait, à la suite du démontage du monument de 1557 et de la zone piétonne sur la place de l'Hôtel de Ville, que les nombreux pigeons qui peuplaient l'endroit avaient été déplacés ou exterminés. L'autre soutenait que les pièces du monument historique avaient été perdues dans le déménagement, rendant impossible sa reconstruction.

Mais les rumeurs à mes yeux les plus intéressantes à étudier sont les rumeurs que je qualifierais de sociétales. A Saint-Quentin, l'ancienne prison longtemps vide a fait s'interroger (la rumeur est animée par une curiosité malsaine), avec une réponse plusieurs fois entendue : l'emplacement va servir à l'édification d'une mosquée, façon d'exprimer sa peur du musulman et son souhait de le voir en prison ! Moins malveillante mais tout aussi signifiante, la rumeur sur le cimetière militaire de la ZAC La Vallée : si les tombes sont aussi serrées (surtout quand on les aperçoit de loin, à partir de la route), c'est parce qu'il n'y a personne dedans, c'est parce que les croix sont purement symboliques. Etrange rumeur, qui veut simplement traduire l'incompréhension et le refus d'une telle hécatombe, celle de 14-18.

Une rumeur naît quelque part, se répand, se développe, se transforme, finit souvent par mourir, quand ses ressorts, ses causes disparaissent. A Saint-Quentin, le café Le Carillon, honorable établissement par ailleurs, est le vecteur de nombreuses rumeurs, surtout politiques, souvent des micro-rumeurs assez éphémères. Le lieu s'y prête pour plusieurs raisons : il est central, il s'y croise une faune singulière qu'on ne retrouve pas forcément ailleurs, un mélange de militants, de journalistes et de personnalités locales. La fréquentation est importante, notamment le samedi matin, les tables sont très rapprochées, les oreilles indiscrètes sont tout à leur bonheur. C'est pourquoi les gens sérieux et avertis savent que c'est le dernier endroit où il faut aller si l'on tient à garder ses secrets. Mais les récepteurs ou les diffuseurs de rumeurs (ce sont souvent les mêmes) s'en donnent à coeur joie, certains que leurs propos vont prospérer dans ce bouillon de culture et essaimer alentour, comme le feraient des bacilles.

Autant j'apprécie d'étudier l'origine, le sens et le parcours d'une rumeur, autant je la méprise : analyser la vie des cafards ne suppose pas de les aimer. Quand quelqu'un ouvre la bouche pour médire (puisque la rumeur est souvent une médisance), je lui demande poliment de la fermer, particulièrement en matière politique. Car la rumeur, c'est la tumeur de la démocratie.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Encore une fois , vous le bloguiste le plus actif de la place , vous ignorez le web , qui est à lui tout seul une rumeur permanente ... Vous parlez d'une génération des plus de 50 , mais les plus jeunes ne sont pas les adeptes du Carillon qui n'est qu'une vitrine du microcosme.. Le cœur de la cité est ailleurs ..... Et vous le savez bien , parfois à PARIS et même à WASHINGTON ou TOKIO, tant la mondialisation a déplacé les centres de décision et le pouvoir local a bien du mal a résister ... Dans un tel contexte .... Regardez CHAUNY et les fermetures passées et en cours qui sont des conséquences de décisions de groupe bien éloignés ...

Emmanuel Mousset a dit…

Bien d'accord avec vous, mais les rumeurs locales ne viennent tout de même pas de Washington !