dimanche 6 octobre 2013

Antiphilosophie



J'ai animé ce matin à Paris, au café des Phares, place de la Bastille, la séance du café philo (vignette 1). Je m'y rends, en tant qu'animateur, deux fois par an. Le sujet du jour, proposé par un participant : l'antiphilosophie est-elle aussi nécessaire à la philosophie ? Le concept d'antiphilosophie est évidemment étrange, et encore plus étrange son éventuel usage philosophique, comme si cette discipline devait se nier elle-même. Il a donc fallu faire appel à des équivalents : l'antipsychiatrie par exemple, défendue dans les années 70 par le psychiatre Félix Guattari (et le philosophe Gilles Deleuze !) ; l'antimatière aussi, concept scientifique qui tend à montrer que des forces contraires constituent l'univers. Alors, pourquoi pas l'antiphilosophie au sein même de la philosophie ?

Les philosophes sont généralement, surtout les plus grands, des antiphilosophes. Ils cherchent à refonder la pensée en rompant avec ce qui a été pensé avant eux. Platon rompt avec les présocratiques et les sophistes, Descartes veut faire table rase de la scolastique et déconseille l'étude des humanités, Kant sape les fondements de la métaphysique traditionnelle (dans sa Critique de la raison pure) en la limitant rigoureusement à une fonction morale (dans sa Critique de la raison pratique), Nietzsche est l'antiphilosophe par excellence, renversant les maîtres-penseurs que sont Platon, Spinoza ou Hegel. Il y a une rage philosophique à détruire ou à déconstruire la philosophie ... pour mieux en construire de nouvelles.

J'ai invité les intervenants à proposer leur propre définition de l'antiphilosophie. Ainsi, l'antiphilosophie, c'est peut-être la dérision que doit pratiquer chaque philosophe à l'égard de lui-même et de sa pensée, pour ne pas tomber dans l'esprit de sérieux, tel que Nietzsche le condamne. Mais l'antiphilosophie, ce peut être aussi ce moment où la philosophie se retourne contre elle-même parce qu'elle n'a plus rien à dire, à cette extrémité de la pensée où les concepts deviennent inopérants. C'est Wittgenstein, à la fin de son Tractatus logico-philosophicus, qui somme le philosophe de se taire, lorsque les mots sont impuissants à traduire la vérité.

Aux Phares, quand le débat est terminé ... il continue, mais devant l'établissement (vignette 2). Je me rends disponible à toutes les questions, remarques et éventuelles critiques. Une Allemande, de passage à Paris, était enchantée qu'un tel lieu de débat et de réflexion existe et m'a demandé quelques conseils pour créer un café philo ... à Berlin. Je n'ai pas osé lui proposer de venir l'animer. Mais mon ami Gunter, l'un des fondateurs du café philo des Phares, qu'aucune frontière n'arrête, pourrait relever le défi !

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