mercredi 16 octobre 2013

Charcuterie et confiture



Lundi dernier, le Conseil général de l'Aisne a débattu d'une réforme importante, celle des cantons, qui est beaucoup plus qu'un simple redécoupage : un changement en profondeur de l'assemblée départementale. Les termes de la réforme sont clairs et indiscutables, au nombre de quatre :

1- La France a la maladie de la multiplication, c'est-à-dire de la complication. Le nombre de nos communes est invraisemblable, celui de nos cantons, sans doute légitime autrefois, ne l'est plus aujourd'hui. Nous allons passer de 42 à 21, c'est très bien, c'est raisonnable, c'est suffisant.

2- Le découpage jusqu'à ce jour était complètement déséquilibré sur le plan démographique. La nouvelle carte assure une meilleure répartition de la population dans les cantons.

3- Les femmes étaient sous-représentées, c'est le moins qu'on puisse dire, au Conseil général. Aucune assemblée élue ne connaît dans la République un tel scandale. Là comme ailleurs, la meilleure solution pour remédier à ce travers, c'est le principe de parité, en l'occurrence des candidatures en binôme, féminine et masculine.

4- Enfin, une étrange anomalie, le renouvellement partiel tous les trois ans, est corrigée par une élection intégrale tous les six ans, ce qui aligne le scrutin cantonal sur la norme démocratique habituelle.

Qui ne serait pas d'accord avec ça ? Les questions de nature institutionnelle, comme l'organisation d'une élection, devraient pouvoir faire consensus. Le clivage gauche-droite, indispensable à la démocratie, est surtout valable sur les questions économiques et sociales. Eh bien non, la majorité du Conseil général de l'Aisne a rejeté cette réforme de justice et de bon sens ! Sauf les élus socialistes, bien sûr. L'UMP, les centristes et les progressistes ont voté contre, les communistes n'ont pas participé au vote. Si le nombre d'élus baissait, je pourrais comprendre les réactions négatives, personne ne souhaitant scier la branche sur laquelle il se trouve ; ce n'est pas le cas, il y aura autant d'élus après qu'avant la réforme, mais désignés autrement. Quelles sont donc les objections ? Je vous en livre un échantillon significatif :

- Christophe Coulon (UMP) y voit "de pures arrières-pensées électoralistes". Trop facile ! A ce compte-là, on ne change plus rien du tout, en vertu de ce soupçon parfaitement infondé. A chaque fois qu'il y a réforme de la carte électorale (par la gauche ou par la droite d'ailleurs), on parle de "charcutage". En réalité, aucune modification d'un scrutin ne peut altérer l'expression du suffrage universel, quel que soit le système. C'est notre histoire politique qui le démontre. Laissons donc de côté cet argument-là, qui n'en est pas un.

- Annick Venet (divers droite) : "C'est dommage qu'il faille une loi pour que les femmes accèdent à la vie publique". Oui, en effet, c'est dommage, mais c'est comme ça : depuis que le monde est monde, c'est la loi qui fait progresser les sociétés. S'il fallait attendre que tout se fasse naturellement, spontanément, s'il fallait compter seulement sur l'évolution des mentalités, nous en serions encore au temps des maîtres et des esclaves. Annick Venet aurait dû surmonter ses regrets et adopter la réforme.

- Frédéric Mathieu (progressiste) : le binôme paritaire le préoccupe, il craint que les deux élus se tirent dans les pattes, se déresponsabilisent en disant "c'est pas moi, c'est l'autre". Frédéric confond l'assemblée départementale et une cour de récréation, dans laquelle on entend en effet ce genre de propos. Mais les conseillers généraux sont des grands.

- Du même Mathieu, cette autre crainte : "C'est plus difficile pour les petites formations politiques d'être représentées". Sur ce coup-là, je l'approuve, il a raison. Mais au lieu de m'en désoler comme lui, je m'en réjouis, car ce n'est que justice, quand on est petit, d'avoir une petite place. Actuellement, de petites formations politiques, qui sont à peine des formations politiques, se taillent la part du lion. C'est trop : la part du lapin, c'est bien.

- Frédéric Mathieu, encore lui, a eu une formule savoureuse, qui mériterait de devenir collector : "La bipolarisation, ça mène à la tripolarisation". Et la connerie, est-ce que ça mène à l'intelligence ?

- Mais dans le genre, personne ne pourra égaler ou surpasser Bernard Ronsin : "On va forcer les femmes à faire de la politique alors qu'elles n'en ont pas forcément envie. Dans ma profession, j'ai affaire à de plus en plus de femmes. Il y en a de très compétentes, mais elles nous pourrissent la vie. Elles seraient mieux avec des casseroles à faire de la confiture". Ca pourrait être du bon Michel Audiard, ce n'est hélas que du mauvais Ronsin. Si j'étais de droite, je mettrais vite fait ce type dans un placard à confiture avec une casserole sur la tête. Non, la parité ne force pas les femmes à faire de la politique, mais elle force les hommes à faire leur place aux femmes en politique. Si la réforme des cantons avait pour seule conséquence d'écarter Bernard Ronsin, elle serait pleinement justifiée.

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