mardi 30 avril 2013

Mourir et aimer



Les obsèques de Marie-Lise Semblat ont eu lieu ce matin, en l'église d'Etreillers, en présence d'une foule importante et bigarrée, à l'image de sa vie d'engagement militant et des nombreuses rencontres qu'elle a pu faire. De Saint-Quentin, les élus Colette Blériot, Alain Gibout et Monique Ryo ; de la région Picardie, Michèle Cahu et Olivier Chapuis-Roux, ainsi que Yann Joseau, Frédérique Lepot et Ezio Monselatto pour le monde associatif.

D'autres figures locales bien connues, pour ce dernier hommage à Marie-Lise : Viviane Caron, Josette Casinelli, Antoine Crestani, Jean-Philippe Daumont, Hubert de Bruyn, Christophe Genu, Jocelyne Guezou, Paule Guilbert, Nathalie Lobjoie, Jocelyne Nardi, Stéphane Nowak, Anna Osman, Annette Pierret, Dominique Puchaux, Sylvie Racle, Evi Ralli, Maurice Vatin ... et sûrement d'autres personnalités ou responsables associatifs qui auront échappé à mon attention, tellement il y avait de monde. Tous témoignent, par leur présence, par leur diversité, des liens riches et multiples que Marie-Lise Semblat avait noué durant une existence bien remplie, entièrement justifiée.

Il y a celle qui part, il y a celui qui reste, mon cher Jean-Pierre, Semblat, rencontré la première fois il y a 19 ans, en arrivant comme jeune enseignant au lycée Henri-Martin, sans cesse croisé depuis, dans mes activités et ses activités associatives. Les enterrements, on s'en passerait, c'est un moment éprouvant, je ne sais souvent trop que dire tant la mort nous laisse impuissants. Mais là, Jean-Pierre m'a impressionné par sa dignité, qui consiste tout simplement, dans le malheur, à rester soi-même : il était comme toujours, sous sa barbe marxiste, dans sa veste de cuir noire, avec sa voix forte et ferme qui avait quelque chose de rassurant, tant on a besoin d'être fort et rassuré dans ce genre de circonstances.

Jean-Pierre a été fort, avec naturel, et il nous a transmis de sa force, qui porte un autre nom : l'espoir. Ce qu'on peut traduire ainsi : rien ne s'arrête, rien ne s'efface, la vie continue, Marie-Lise, à sa façon, est toujours parmi nous. Tout juste Jean-Pierre a-t-il précisé que sa voix, sa fameuse voix, serait "moins mâle" que d'habitude, que les hommes aussi ont le droit de pleurer. Mais les larmes sont restés à l'intérieur, et c'est mieux comme ça.

Formidable Jean-Pierre, qui a su garder son humour, nous faire sourire malgré notre tristesse : la "gueule d'enterrement", ce n'est pas son genre, qu'il en soit remercié, il nous a sauvés de l'accablement, qui ne sert à rien. Lui seul, maître de cérémonie, pouvait nous faire échapper à la tragédie d'une disparition aussi brutale. Jean-Pierre, qui souffre forcément, a eu l'intelligence et la maîtrise de la situation, sans pathos inutile. C'est rare. Sa famille aussi, que je ne connais pas, a suivi dans cette même ligne de dignité.

Et puis, il y a autre chose, que je ne savais pas : c'est la foi de Marie-Lise, son espérance en une autre vie. Je la connaissais féministe, progressiste, tiers-mondiste (comme on disait autrefois), mais pas chrétienne. Incontestablement, cette dimension a éclairé toute la cérémonie et toute la matinée. On a beau dire, mais contre la mort, il n'y a d'efficace que la foi. Le reste est vaine consolation. La cérémonie était religieuse, avec un prêtre, Marcel Ouillon, mais sans messe. Une cérémonie d'aujourd'hui, à l'image de Marie-Lise, où se mêlaient le Kyrie Eleison, la chanteuse Anne-Sylvestre, le Magnificat en latin, Charles Baudelaire et un chant africain. Marcel, prêtre-ouvrier, je l'associe plus aux manifs qu'à la messe, surtout en cette veille de premier mai !

Après l'église, nous avons rejoint en cortège le cimetière, où chacun, devant la tombe, a pu témoigner de son amitié à Marie-Lise. C'était bien de marcher, de respirer et d'espérer. La douceur du temps avait quelque chose de rassurant, là aussi. Et puis, nous avons terminé dans la salle municipale d'Etreillers, pour nous restaurer, pour que le corps reprenne des forces, puisqu'il en a autant besoin que l'âme. C'est un moment chaleureux, où la vie l'emporte encore sur la mort. Manger, boire, discuter, avec des photos de Marie-Lise qui défilaient sur l'écran, et sur les tables, des livres qu'elle a aimés : Bourdieu, Lévi-Strauss, Onfray, Touraine, Weil, Mounier ... tout un parcours intellectuel.

En quittant Jean-Pierre et la cérémonie, car il faut bien à un moment se quitter, j'avais en tête ces vers de Baudelaire, dans "L'invitation au voyage", entendus à l'église : Aimer à loisir, aimer et mourir. Oui, si la vie n'était que ça, aimer à loisir, aimer et mourir, elle serait amplement justifiée, elle se suffirait à elle-même. Mais la douce lumière qui a traversé la matinée, l'église et la campagne d'Etreillers, nous laissait entendre et nous faisait espérer autre chose : mourir et aimer, mourir nécessairement mais continuer à aimer. Comprenne qui pourra, comme il est écrit dans un grand texte de foi, cité aujourd'hui.


Vignette 1 : Marie-Lise à l'inauguration de l'exposition au palais de Fervaques, dans le cadre de la journée internationale des droits de la femme, le 10 mars 2012.

Vignette 2 : lors du repas de l'ASTI, association de solidarité avec les travailleurs immigrés, le 05 novembre 2011.

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