vendredi 19 avril 2013

En mai, ça va péter ?



Certains le prédisent, d'autres le souhaitent ou bien le redoutent : en mai, mois historiquement chargé, ça peut, ça va péter. Colère, révolte, ras-le-bol, explosion sociale, manifestation, peu importe le mode d'expression, la formule est là, répétée avec envie, crainte ou scepticisme : ça va péter. Qu'est-ce qui va péter exactement ? On ne sait pas trop bien, le "ça" est par définition indéterminé, il renvoie chez Freud à l'inconscient, à ce qu'on ne peut pas nommer. C'est plutôt de l'ordre du sentiment, de l'impression, de la pulsion. Quand on dit que "ça" va péter, on pense que "tout" va péter. Et surtout, on prend son désir pour une réalité.

Le phénomène n'est cependant pas seulement subjectif ou psychologique; il y a évidemment des données objectives, atmosphériques, un climat, une ambiance qui laisse croire que ça va péter, comme le ciel d'été avec sa grosse chaleur et ses nuages noirs font pressentir l'orage. Je vois trois éléments perturbants et peut-être déclencheurs :

1- L'affaire Cahuzac ébranle évidemment le système, avec une même violence que l'affaire DSK : après le sexe, l'argent, et dans les deux cas, le mensonge (c'est en tout cas perçu comme ça par une bonne partie de l'opinion). A partir de là, tout ce que la France compte de démagogues, de populistes, d'antirépublicains se déchaînent sur l'air du "tous pourris". La République a régulièrement traversé ce genre de crise politique et morale.

2- La contestation du "mariage pour tous" : elle est massive, profonde, de plus en plus radicale, parfois violente, elle touche un symbole de civilisation, une institution. Pour moi, ce n'est qu'un aménagement juridique sans problème, largement positif, mais je dois bien admettre que tout le monde ne le perçoit pas comme ça. La droite, qui appuie ce mouvement, n'a pas l'expérience du contrôle de la rue, acquise depuis très longtemps par la gauche. Inévitablement, elle se laisse déborder par l'extrême droite groupusculaire, avec tous les dangers que cela comporte.

3- La radicalisation à gauche : les périodes de troubles voient toujours la conjonction involontaire des extrêmes, comme une explosion provoquée par deux fils électriques qui se rencontrent. La manifestation "coup de balai" lancée par Jean-Luc Mélenchon pour le 5 mai, son discours imprécateur à l'égard du pouvoir contribuent à l'hystérisation de la vie politique. On sent que tout un pan de rationalité est en train de s'effondrer et que notre société court à l'aventure.

Ca va péter ? Peut-être pas, mais après ces trois constats, on peut en effet dire que ça risque de péter. Pourtant, je n'en ferai rien, parce que je crois aussi que trois autres éléments relativisent fortement ce risque d'explosion :

1- Ca va péter, ça fait trente ans que je l'entends, dans des contextes comparables au nôtre, et même pire, et rien ne vient, ça pétarade mais ça ne pète pas. Pourquoi ? Parce que l'expérience historique nous montre qu'une explosion sociale, 1789, 1936, 1968 est imprévisible (d'où la surprise et la force de l'événement). Plus on répète que ça va péter, moins il y a de risque que ça pète. L'annonce a un effet quasi dissuasif.

2- Pour que "ça" pète vraiment, pour que le pouvoir en place soit réellement menacé, il faudrait en face de lui une alternative : des idées nouvelles comme en 1789, un gouvernement de rechange comme en 1936, un projet révolutionnaire comme en 1968. Aujourd'hui, nous n'avons rien de tel : la droite est divisée, sans programme ni chef, et l'extrême droite est perçue comme un ferment de pure contestation, pas une alternative crédible.

3- Et même si ça pétait, qu'est-ce qui se passerait ? Du désordre social, un parfum lacrymal d'émeute, des violences spectaculaires, et puis après ? Ce type de situation, dont l'analogie historique serait février 1934, a toujours profité au pouvoir en place. Si j'étais un politique du genre cynique, je dirais presque : laissez péter, le gouvernement socialiste en sortira renforcé. Quand la société tremble et qu'il n'y a rien pour la remplacer, l'ordre existant est préféré au chaos.

Alors, en mai, ça va péter ? Je pense que non et que, de toute façon, ça ne changerait rien.

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