jeudi 18 avril 2013

Prise de tête



J'ai déploré lundi deux mauvaises nouvelles pour la gauche saint-quentinoise. Il y en a tout de même une bonne : la section socialiste se donnera enfin une tête de liste avant les vacances d'été. Ailleurs, ce sera en octobre, sauf à Laon, qui partage trois points communs avec Saint-Quentin : pas de candidat naturel, des socialistes divisés et une droite qui part favorite. Dans ce genre de situation, il faut forcément anticiper la procédure de désignation. Sinon, il n'y a pas besoin là où le candidat est pressenti, déjà connu par ses activités et son implantation. A Saint-Quentin et à Laon, ce n'est pas le cas : il y a donc urgence.

A tous les sens du terme, le choix d'un candidat pour les élections municipales, c'est-à-dire d'un leader local, est une prise de tête (ce n'est pas le penseur de Rodin, mais pas loin). C'est un peu la quadrature du cercle : il faut trouver quelqu'un de volontaire, capable, connu et rassembleur. Quand j'étais enfant, je m'amusais à chercher dans les champs des trèfles à quatre feuilles : là, ça y ressemble, l'amusement en moins.

On croit souvent que l'ambition va remédier à ce problème : faux ! Regardez ce qui se passe à Laon : c'est une ville sociologiquement de gauche, comme Saint-Quentin (fonctionnaire pour l'une, ouvrière pour l'autre), les candidats devraient être nombreux, ... il n'y en a aucun ! Et ce n'est pas un refus de coquetterie, à la façon d'une dame qui dit non pour qu'on la désire encore plus fort, avant qu'elle ne cède à la demande pressante. Je sais que cette tactique, charmante en amour mais puérile en politique, existe parfois mais je ne vois aucun de mes camarades laonnois dans ce rôle-là.

Pourtant, la section a du potentiel, du "lourd" comme on dit aujourd'hui : un vice-président du Conseil régional de Picardie, deux vice-présidents du Conseil général de l'Aisne, en la personne d'Alain Reuter, Fawaz Karimet et Thierry Delerot. Trop de vices et pas assez de vertus ? (ok, celle-là est facile mais je n'ai pas pu m'empêcher de la faire : mes trois camarades me pardonneront). Les capacités sont là (sinon, aucun d'entre eux n'auraient obtenu les responsabilités qu'il occupe) et je ne peux pas croire que le courage fasse défaut. Alain connait tout le monde à Laon, Fawaz, de par sa profession, est l'ami des chiens et des chats : ce sont des élus socialistes très populaires, comme on en rêverait à Saint-Quentin !

Certes, ils ne sont pas assurés de gagner, mais à ce compte, jamais personne ne se présenterait en politique. Et puis, une surprise n'est jamais exclue, plus fréquente qu'on ne croit. Enfin, même dans l'opposition, être chef de file, ce n'est pas rien. Alors quoi ? Fawaz Karimet avance une explication : "Avec la position qui a été la mienne lors des législatives [il s'est présenté contre René Dosière], j'ai peur qu'une incompréhension à gauche nous coûte des électeurs si je suis tête de liste. Je ne veux pas être responsable d'une défaite. Il y a un sacrifice à faire" (L'Union, 12 avril). Je ne suis pas sûr de bien comprendre le raisonnement de Fawaz, mais un homme qui se sacrifie oblige au respect, peut-être même à l'admiration.

Ce qui est certain, et qu'on oublie trop souvent, c'est que tête de liste, c'est très chiant. Il faut vraiment aimer, être un peu fou pour le vouloir, surtout à Laon et à Saint-Quentin : rassembler peu de camarades très divisés, négocier avec des partenaires pas faciles et très divisés eux-aussi (je pense évidemment à Saint-Quentin), se lancer dans une campagne où il n'y a que des coups à prendre, être quasiment sûr de perdre, se retrouver dans le rôle difficile et ingrat de premier opposant, qui en rêverait ?

Il y a aussi un élément dont personne ne parle et qui est pourtant fondamental : une élection en cache toujours une autre, la politique se joue comme aux échecs avec au moins un coup d'avance. Tous les observateurs sont rivés sur les élections municipales de 2014 alors que tous les politiques ne pensent qu'aux élections régionales et cantonales de 2015. Là, ce sera une autre paire de manche : non pas des places à prendre mais des places à conserver. 2015 sera une année d'autant plus délicate que le mode de scrutin cantonal va changer, provoquant ce mélange d'inquiétude et d'espoir qui caractérise tout homme politique, et cette vertu qui en découle : la prudence. Reuter, Karimet et Delerot sont concernés par l'une ou l'autre de ces élections.

La prudence étant mère de sagesse, les plus fous deviennent vite rationnels, et le calcul électoral, comme tout calcul, est un exercice élémentaire de rationalité. A Saint-Quentin, quel socialiste a intérêt à prendre le risque d'une sévère défaite face à Xavier Bertrand, sachant que les places seront chères et relativement prometteuses l'année suivante ? Le philosophe Pascal nous demande d'avoir la foi en faisant un pari osé sur l'existence de Dieu, à partir d'un calcul de probabilités (le philosophe était aussi mathématicien). La politique n'est pas la religion, l'élu du peuple n'est pas l'élu de Dieu mais dans les deux cas, les places au paradis sont comptés et l'accès incertain. Au moment de renouveler les candidatures pour les scrutins départementaux et régionaux, un échec local aux élections municipales sera pénalisant. Y aller ou pas ? La politique est une interminable prise de tête.

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