mardi 16 avril 2013

Histoire d'os



Je suis fana de presse locale, je lis tout, sauf les pages sportives, j'observe, je compare. A l'instar de l'émission sur le net "Arrêt sur images" qui décrypte l'information à la télévision, je pratique l'arrêt sur articles. Je veux revenir aujourd'hui sur une petite querelle qui est sans doute passée inaperçue de beaucoup. Ca commence comme une histoire d'enfant, puisque tous les enfants aiment l'archéologie (quand j'étais gamin, j'hésitais entre deux professions, pâtissier ou paléontologue) : des fouilles à Harly, des tombes qu'on découvre, avec forcément des squelettes dedans, un cimetière qui date des Mérovingiens.

Le Courrier picard, en la personne de son chef d'agence Nicolas Totet, a consacré à la découverte une pleine page le jeudi 11 avril, sous un titre à la mesure de l'événement : "Une spectaculaire nécropole mérovingienne découverte". L'article est précis et enthousiaste, agrémenté d'une belle photo où l'on voit au premier plan un squelette dans le sable (on se croirait presque dans un désert, les ombres sont allongées par le soleil couchant, l'ensemble offre un aspect mystérieux). Le lendemain, la rubrique "Les + lus hier sur notre site" (qui mesure la consultation internet) confirme l'attrait exercé par le sujet sur les lecteurs, puisque l'article est classé n°1.

Le samedi 13 avril, L'Aisne Nouvelle y consacre à son tour un article, sous la plume de Jérôme Poinsu, mais d'une tonalité assez différente, plutôt neutre. Pourtant, c'est bien la même personne qui est sollicitée par les deux journaux : Elisabeth Justome, responsable communication à l'INRAP Picardie (Institut national de recherches archéologiques préventives). Et c'est la surprise, et même la déception, puisque la spécialiste déclare dans L'Aisne Nouvelle : "Je suis surprise de tout cet engouement. Je préviens la presse quand il y a quelque chose de notable. Là, c'est vrai que je n'avais pas jugé utile de le faire. Là, en soi, il n'y a rien d'extraordinaire". La photo d'illustration montre des chercheurs affairés, creusant le sol, mais pas cette fois de squelettes : "Tous ont déjà été exfiltrés", explique la légende.

Bref, le lecteur que je suis est un peu paumé. La même nouvelle est qualifiée de spectaculaire dans le Courrier picard et de pas extraordinaire dans L'Aisne Nouvelle. Pire, il y a divergence sur le nombre de squelettes découverts : 250 pour le Courrier, 180 pour L'Aisne, ce qui n'est pas un mince écart. Je ne sais plus à quels Mérovingiens me vouer ! Les suites de l'exhumation donnent lieu aussi à une petite divergence d'appréciation entre les deux journaux locaux : le Courrier picard annonce "une exposition et des manipulations" le 8 juin, sans plus de précision, tandis que L'Aisne Nouvelle, hésitante, indique que les squelettes ne seront "probablement pas exposés", sauf "peut-être" ceux affectés par une maladie.

L'affaire ne s'arrête pas là. Nicolas Totet revient sur la fameuse découverte dans la rubrique "Décryptage", le dimanche 14 avril. Il souligne la "belle exclusivité" et le "joli coup", en apportant quelques précisions qui semblent contredire les propos plutôt distanciés d'Elisabeth Justome dans L'Aisne Nouvelle. : "Elisabeth Justome a fait spécialement le déplacement pour encadrer notre visite (...) Elisabeth Justome nous garantit l'exclusivité (...) elle nous suggère d'accepter de repousser d'une semaine notre publication". La responsable de l'INREP, qui affirmait à L'Aisne Nouvelle ne pas avoir contacté la presse, se montre au contraire très active face au Courrier picard, qui parle même d'un "deal" entre eux. Nicolas Totet termine en se satisfaisant de la reprise de la nouvelle par l'AFP (Agence France presse) "jusqu'à un média néerlandais".

De cette histoire d'os pas bien grave, dans laquelle je ne prendrai pas parti, n'ayant pas de compétence en la matière, je tirerai une leçon plus politique : il est indispensable que le pluralisme existe dans la presse locale, la démocratie l'exige. Quand je me suis installé à Saint-Quentin il y a quinze ans, il y avait trois journaux, L'Aisne Nouvelle, L'Union et La Voix de l'Aisne. Chacun avait sa personnalité. Aujourd'hui, L'Union ne parle presque plus de Saint-Quentin et il se dit qu'il pourrait bientôt ne rester qu'un seul organe de presse sur la ville. Ce serait vraiment dommageable pour tous. Certes, les squelettes d'Harly ne s'en plaindront pas, mais les citoyens que nous sommes, si !

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