mercredi 3 avril 2013

Le mensonge, la corruption et la République



Le 20 mars, sur ce blog, je rédigeais un billet intitulé "Salut et soutien à Cahuzac". Je ne retranche absolument rien de ce que j'affirmais à cette date, j'assume entièrement ce que j'écrivais alors. Pourquoi ? Parce que je suis républicain et que la République repose notamment sur ces deux principes que sont la présomption d'innocence et le privilège de la preuve. Jusqu'à hier soir, Jérôme Cahuzac avait en sa faveur la présomption d'innocence : il affirmait, les yeux dans les yeux, ne pas détenir de comptes bancaires à l'étranger. Au nom de quoi en aurais-je douté ? Au nom d'une présomption de culpabilité ? Désolé, ce n'est pas dans mes moeurs politiques : je suis républicain, tant qu'un citoyen, quel qu'il soit, n'est pas déclaré coupable, je le considère comme innocent.

Mais n'y avait-il pas des doutes, des soupçons, de la méfiance à entretenir à l'égard de Cahuzac ? Encore une fois, je suis désolé, ce n'est pas dans mes manières, qui sont républicaines : je privilégie la confiance au soupçon, j'écarte les doutes et je ne prends au sérieux, je ne retiens que les preuves. Y avait-il la moindre preuve de la culpabilité de Jérôme Cahuzac avant hier soir ? Aucune. Mais les allégations du site Médiapart ? Des affirmations ne sont pas des preuves. Si preuves il y avait, le ministre aurait été mis en examen dès le premier jour de leur publication. Or, il a fallu attendre hier soir. Le site d'Edwy Plenel a permis de faire éclater la vérité, et nous devons l'en remercier. Mais ses informations de départ ne constituaient pas par elles-mêmes des preuves. Il faut être très prudent avec ces choses-là et rappeler qu'en République, dans un Etat de droit, seule la preuve a une valeur, et qu'on ne saurait préjuger de rien en son absence.

Les réactions du chef de l'Etat et du gouvernement ont été exemplaires, irréprochables parce que strictement républicaines : tant qu'un citoyen n'est pas déclaré coupable, tant que la preuve n'a pas été apportée de sa culpabilité, il doit être considéré et défendu comme innocent, ministre ou manant. Dès qu'une enquête judiciaire a été ouverte, François Hollande a demandé à Jérôme Cahuzac de quitter le gouvernement : c'était la seule et digne réponse républicaine. Hier, nous avons appris que Cahuzac avait menti, de la façon la plus effroyable qui soit en République, puisqu'il a à la fois trompé le peuple, la représentation parlementaire et le chef de l'Etat. Notre condamnation doit être aujourd'hui sans appel et sans pardon. Le 20 mars, je ne me suis pas trompé, j'ai rappelé les principes de la République. Mais j'ai été trompé par quelqu'un, bon ministre, grand social-démocrate, qui a menti et qui est peut-être corrompu (c'est la justice qui le dira, la présomption d'innocence est tombée quant à sa sincérité, mais elle continue à s'appliquer à propos de l'accusation de corruption).

Politiquement, j'aimerais élever la réflexion bien au dessus des coassements de crapauds qui s'agitent dans leur boue. Depuis des millénaires, la politique est faite de mensonge et de corruption, parce que la conquête et la conservation du pouvoir favorisent le mensonge et la corruption. Les empereurs romains ou les rois de France en sont la démonstration. Un philosophe italien, Machiavel, a même théorisé l'usage du mensonge en politique. Pendant très longtemps, les hommes bons, sincères et honnêtes se trouvaient dans les monastères, pas dans les palais.

Avec la République moderne et la démocratie de masse, tout a changé : la vertu est devenue une valeur primordiale, qui exige de l'homme politique sincérité et honnêteté. Cette idée est toute récente. Autrefois, un homme de pouvoir qui aurait prétendu dire la vérité (il n'y pensait même pas) aurait fait rigoler. Sous la Troisième République, les scandales financiers éclaboussaient régulièrement le pouvoir. Aujourd'hui, cela nous est insupportable, et c'est un grand progrès. Mais nous devons rompre avec plusieurs siècles qui n'allaient pas en ce sens, nous devons lutter contre une nature humaine qui aime l'argent, le pouvoir et qui souvent ment comme elle respire. Regardons autour de nous, cela se confirme chaque jour, dans des proportions certes infiniment moins graves que le crime moral de Jérôme Cahuzac, mais les germes du mensonge et de la corruption sont en l'homme. Ayons tout cela à l'esprit, prenons la distance nécessaire, adoptons un recul historique, ne nous mêlons pas au chant d'indignation faussement morale des crapauds.

Dans cette affaire, la République sort intacte parce qu'à aucun moment elle n'a failli, ses représentants ont eu la dignité nécessaire, un membre pourri n'affecte pas la tête, un homme ne compromet pas une équipe. Il n'y a eu ni mensonge, ni scandale d'Etat. Mais les ennemis de la République, ceux que j'appelle les crapauds, s'apprêtent à en faire leur miel, c'est-à-dire leur venin et leur boue. Car ni l'UMP, ni le Front de gauche, qui sont l'une et l'autre républicains, ne bénéficieront électoralement de ce dramatique événement : seulement l'extrême droite, seulement les ennemis de la République. Il nous faut donc pratiquer le consensus et la pédagogie autour des valeurs difficiles et exigeantes de la République, comme j'ai essayé de le faire dans ce billet.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Je crois que vous n'avez pas les bonnes manières en fait!
Et décidément vous n'avez pas de chance avec les sociaux-démocrates que vous défendez.

Emmanuel Mousset a dit…

Mes manières, républicaines, ne sont sans doute pas les vôtres, que j'aimerais que vous nous présentiez. Quant aux sociaux-démocrates que je défends et qui constituent la grande majorité du gouvernement, ils sont irréprochables : j'ai cette chance-là.

Anonyme a dit…

Quand vous dites "depuis des millénaires, la politique est faite de mensonge et de corruption, parce que la conquête et la conservation du pouvoir favorisent le mensonge et la corruption", laissez-vous entendre que si demain vous étiez élu maire de Saint-Quentin, vous auriez les mêmes manières de faire ? Cela n'inspirera pas confiance aux électeurs !

Emmanuel Mousset a dit…

Les électeurs ne sont nullement gênés par les menteurs et les corrompus, puisqu'ils leur accordent souvent leurs suffrages quand ceux-ci se présentent et se font élire ou réélire. Mais je condamne ce comportement, puisque j'explique dans mon billet que je suis républicain et que la République, qui repose sur la sincérité et l'honnêteté, est un progrès moral. Auriez-vous renoncé, de votre côté, à être sincère et honnête en ne retenant qu'une partie de mon propos et en lui donnant une interprétation erronée ?

Evi a dit…

Et si tu nous aidait M. le Professeur à réfléchir à proposer des gardes fous pour que ces dérapages de corruption des hommes et femmes politiques n'arrivent pas si souvent que ça; à commencer par exemple par interdire le pantouflage des hauts fonctionnaires, ou arrêter immédiatement le cumul des mandats et aussi le cumul dans le temps qui gangrène la classe politique française, ou de nommer plutôt des personnes compétentes à des postes bien rémunérées et non les copains, ou encore baisser la rémunération indécente des représentants du peuple qui une fois qui ont gouté aux fastes de la république ont du mal à mettre les pieds sur terre et font tout pour être réélus, et d'autres encore gardes fous...
peut être qu'on éviterait le carnage que la vindicte populaire risque de transformer en un plébiscite du FN, grand pourfendeur des valeurs démocratiques, humanistes et républicaines mais qui avance masqué.
La gauche moralisatrice a le pouvoir, elle peut agir vite, ça urge!!!!!!!!

Ane-Vert a dit…

Même si elles n'étaient pas des preuves judiciaires, le travail de Médiapart méritait un peu de respect et du curiosité, des choses connues* disposaient à la prudence dans le personnage Cahuzac. Ses liens financiers avec les labos pharmaceutiques sitôt sorti du cabinet Evin (ministre de la Santé sous Rocard), par exemple . La prudence est aussi une vertu politique dans le choix des hommes, particulièrement quand on les envoie au front le plus sensible, celui de héraut de l'équité fiscale et budgétaire dans ces temps si difficiles pour le plus grand nombre. Depuis décembre j'ai peu entendu, y compris sous ta plume, d'éloges de la liberté de la presse. Médiapart a beaucoup été brocardé et suspecté, y compris par une partie de la confraternité journalistique. Chateaubriand défendait mordicus que la liberté de la presse et l'inamovibilité (leur indépendance) des juges étaient des piliers fondamentaux de la démocratie. C'est un programme qui reste en grande partie à accomplir. Sur le plan de la liberté de la presse nous avons beaucoup régressé en acceptant le démantélement des lois issues du programme du CNR en 44. Internet y supplée en partie. Les pouvoirs n'aiment pas la liberté de la presse. Il suffit de lire les périodiques qu'impriment ou diffusent sur les ondes nos collectivités territoriales pour le constater. La Pravda ou "Chine en construction" des années 50-60 sont leur modèle. Si l'argent qu'elles y consacre était mis au service du soutien à une presse indépendante (feu la Scop du courrier picard par exemple) notre démocratie serait peut-être en meilleure santé.
Et puis franchement, traiter indistinctement de "crapauds", tous ceux qui sont blessés, avec colère, par ce mauvais coup à nos valeurs et espoirs de vie démocratique, à une chose publique qui aimante nos intelligences, est-ce d'un soldat displiné jusqu'à la bêtise la plus obtuse ou d'un démocrate ?

* conflits d'intérêts décrits depuis longtemps grâce une petite "feuille de choux" du Lot et Garonne à laquelle j'ai été abonné une année au milieu des années 90 parce qu'un journaliste parisien avait mis en lumière dans un article la liberté de ton, et les investigations sans concessions, un petit miracle dans la presse régionale de cette époque, de ce petit journal.

Ane-Vert a dit…

Je viens de retrouver la trace du journal dont j'ai parlé précédemment et, miracle, il existe toujours et a même prospéré (small is beautiful).

http://lafeuille.info