dimanche 22 juillet 2012

Le mystère du mal



C'est la cérémonie la plus émouvante et, pour moi, la plus importante de l'année, celle que je ne manquerai à aucun prix. Elle n'est pourtant pas patriotique comme le 11 novembre ou le 8 mai, ni républicaine comme le 14 juillet, mais autre et plus que cela : son sens est universel, quasiment métaphysique, il s'agit de la commémoration de la Rafle du Vel d'Hiv. Nous ne sommes pas forcément très nombreux à assister, devant le monument du Ghetto-de-Varsovie, à une date où beaucoup, y compris élus, sont en vacances, parfois loin de Saint-Quentin. Cette année, la participation était plutôt fournie : une quarantaine de personnes parmi les autorités civiles, religieuses et militaires, porte-drapeaux et gendarmerie, en présence du député-maire Xavier Bertrand. Peut-être à cause du tragique évènement, il y a quelques mois, de la tuerie de Toulouse, où des enfants juifs ont été tués froidement, gratuitement, parce qu'ils étaient juifs, en une sorte de génocide à l'échelle individuelle, non moins atroce et terrible.

La guerre est atroce mais hélas dans l'ordre des choses, quand il s'agit de se libérer d'un ennemi. La révolution est violente mais souvent nécessaire à l'émancipation des hommes. En revanche, l'extermination d'un peuple est un tragique mystère, un scandale absolu : comment les hommes peuvent-ils en arriver là, vouloir rayer toute une population innocente de la surface de la planète ? C'est pourquoi la commémoration de ce matin est indispensable, universel et métaphysique : elle amène à réfléchir sur la cruauté humaine, d'autant que le génocide est une entreprise unique dans l'histoire ; des massacres gigantesques, oui il y en a déjà eu par le passé, mais planifiés, rationalisés, industrialisés, dans une Europe cultivée, développée, civilisée, non jamais on n'a vu une telle horreur. Quand les chants juifs s'élèvent au milieu de la cérémonie, la gorge se noue, quelque chose vous serre la poitrine : le souvenir et l'énigme d'une abomination (c'est la seule cérémonie dans l'année où l'émotion atteint une telle intensité, d'ailleurs très digne, silencieuse, discrète).

Pour moi, pour beaucoup je crois, il y a encore autre chose qui atteint le coeur et qui provoque la pensée : la rafle du Vel d'Hiv, ce n'est pas les nazis, ce sont les autorités administratives, les gendarmes, les policiers français qui l'ont effectuée. Comment des fonctionnaires, grands et petits, formés dans la tradition républicaine ont-ils pu faire ça sans réagir, sans résister ? Il y a des jours comme celui-là où l'espèce humaine fait peur. Quand les individus sont pris dans des logiques de pouvoir, quand leurs supérieurs leur donnent des ordres, quand tout le monde fait comme tout le monde, les consciences n'existent plus, il ne reste que l'obéissance aveugle au pouvoir. C'est parfois terrible la politique : faire ce qu'on vous demande de faire, sans réfléchir. Pas besoin d'être un salaud pour participer à des saloperies, c'est ça la tragédie du Vel d'Hiv, où l'on déporte sans s'interroger, sans s'émouvoir, des enfants, des familles, des gens qui n'ont rien fait de mal, comme si toute morale élémentaire avait disparu.

Dans son discours, Paul El Kaïm, président de l'association culturelle des israélites de Saint-Quentin, est revenu aussi sur l'actualité, en rappelant le droit qu'ont les Juifs de France de pouvoir porter en toute tranquillité leur kippa. Dans quelle société vivons-nous pour qu'on soit obligé de réaffirmer une liberté fondamentale, celle d'exprimer pacifiquement ses opinions religieuses dans l'espace public ? La manipulation honteuse par les xénophobes de la notion de laïcité a fini par en faire tristement douter. Ce contresens est terrible. Autour de moi, parfois, dans les conversations, je sens la confusion s'installer et l'intolérance monter, au nom de soi-disant grands principes très mal compris. 70 ans après, l'odeur de la bête est encore là, comme si elle était dans la nature humaine. Heureusement, notre société démocratique a produit de puissants antidotes pour la contrer.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

surprise.. il vous arrive d'avoir des "sentiments"? attention,vous allez finir par être humain

Emmanuel Mousset a dit…

Il me semble pertinent de distinguer les émotions, authentiques, rares, profondes, et les sentiments, superficiels, souvent artificiels, généralement narcissiques. Je persiste à penser, même si cela provoque votre ironie, que notre société cultive à mauvais escient les "sentiments" (regardez ce qui se passe à la télévision) et qu'il est bon de ne pas reproduire ce travers.