mardi 24 juillet 2012

Septième ciel



Guillaume Carré est journaliste et pas philosophe. Pourtant, son article d'hier dans le Courrier Picard, à la page de Bohain-en-Vermandois, commence par une pensée philosophique, quasiment un aphorisme : "La politique dépasse parfois l'entendement". De quoi s'agit-il ? Le maire socialiste, PS, propose à son premier opposant, sympathisant UMP, d'être son huitième adjoint (la politique est aussi une affaire de places). Eric Maudens, c'est son nom, "ne dirait pas non". Ok j'ai compris : en politique, quand on dit qu'on ne dit pas non, c'est qu'on pense oui sans pouvoir le dire encore. Mais pourquoi ne pas l'avouer directement, dès maintenant, au lieu d'attendre ? Je ne sais pas, c'est ainsi, "la politique dépasse parfois l'entendement".

"Il vaut mieux être le premier dans son village que le second à Rome", disait Jules César, qui s'y connaissait en matière de politique. Eric Maudens a le raisonnement inverse : il préfère être le huitième dans la majorité que le premier dans l'opposition. Mais laquelle de ces pensées dépasse l'entendement ? Celle de César ou celle de Maudens ? Le maire, Jean-Louis Bricout, un copain à moi, devenu député, aide peut-être à mieux comprendre : "Bohain, c'est une petite ville, on ne fait pas de politique". Sauf que Maudens, avant, pendant plusieurs années, a fait de la politique, s'opposant très violemment à Bricout. Alors ? "La politique dépasse parfois l'entendement".

En tout cas, l'affaire est sérieuse puisque "les discussions, avancées, reprendront avant la rentrée". Ce qui suppose que les négociations sont serrées et que Maudens va peut-être même y sacrifier la fin de ses vacances. Mais sur quoi peuvent porter d'aussi laborieuses discussions ? Sur l'avenir de Bohain, sur les grands projets, à n'en pas douter. Je ne sais pas à quoi correspond le poste de huitième adjoint, mais l'enjeu est sûrement à cette hauteur-là.

Attention, il faut être honnête : avant de prendre sa décision, "Eric Maudens consultera ses amis de l'opposition". C'est quelqu'un de bien : il discute avant de trahir, il informe ceux qu'il va lâcher, il accepte de discuter avec eux une décision déjà prise par lui, c'est un vrai démocrate. Guillaume Carré a décidément raison : "La politique dépasse parfois l'entendement". En l'espèce, je dirais même qu'elle dépasse la morale élémentaire.

Je me demande s'il ne faut pas aller plus loin que le journaliste philosophe et soutenir que "la politique dépasse souvent l'entendement". Voyez à Saint-Quentin : à la présidentielle, la gauche a devancé la droite, et quelques semaines plus tard seulement, à la législative, la droite a devancé la gauche. Pourtant, ce sont les mêmes électeurs, qui n'ont pas pu changer d'avis en un laps de temps aussi court. Pas normal, pas logique, pas rationnel : "ça nous dépasse", comme on dit.

Quoique la formule de Guillaume Carré n'est peut-être pas non plus totalement vraie : la politique a sans doute des raisons cachées, des motifs inavouables mais parfaitement rationnels. Qu'est-ce qui pousse l'entendement à s'exercer ? Deux circonstances dans l'existence d'un homme : soit quand il a une arme pointée sur lui, soit quand il a une somme d'argent sur la table. Là, le plus obtus des êtres humains se met à réfléchir. De nos jours, la politique exclut la violence physique, qui a dominé pendant des millénaires la vie des sociétés. Je retiens donc la seconde hypothèse. Si l'on regarde la politique sous l'angle des indemnités perçues (huitième adjoint à Bohain, je ne sais pas combien ça fait), elle devient une activité rationnelle, elle ne dépasse plus l'entendement, elle est même très en dessous cette fois-ci. Huitième adjoint, ça doit sûrement être le septième ciel.

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