lundi 30 juillet 2012

La gauche invisible



En cette fin juillet, l'actualité politique n'est pas très riche à Saint-Quentin. Je vois tout de même un non évènement qui mérite, paradoxalement, un commentaire : il s'agit, concernant le conflit entre la CGT et la municipalité à propos de la Bourse du travail, de la mise en délibéré de la liquidation de l'astreinte au 12 septembre prochain. Normalement, le règlement du contentieux était prévu pour la semaine dernière (il dure tout de même depuis huit ans). Mais non : le tribunal de grande instance de Laon n'a pas tranché. Un pourvoi en cassation n'est pas non plus à exclure. Pendant ce temps-là, la somme que devra verser le syndicat s'alourdit.

Mon commentaire politique, c'est que ce contentieux à première vue purement juridique traduit aussi un état d'esprit, une culture de gauche dominante à Saint-Quentin. D'abord, la CGT n'est pas n'importe quel syndicat et la Bourse du travail pas n'importe quel endroit : ce sont des noms, des lieux, des histoires qui ont une forte valeur symbolique, qui s'inscrivent dans le paysage de la gauche. Quand la CGT perd un combat, c'est toute la gauche qui perd. Or, à Saint-Quentin, nous en sommes hélas là.

Car qui peut douter que la municipalité, une fois de plus, va gagner ? Les décisions de justice, jusqu'à maintenant, lui ont donné raison et la CGT se retrouve menacée par une énorme astreinte financière. Dans les conditions actuelles, le départ de la Bourse se fera sans gloire, sans même la compensation d'une défaite honorable. Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment un syndicat puissant et responsable se retrouve-t-il condamné à perdre la face et son local ? Je ne remets pas en question les hommes, qui comme toujours font ce qu'ils peuvent, mais les mentalités, qui ne sont pas partout comme à Saint-Quentin.

D'abord, pourquoi ce combat n'a-t-il pas été l'occasion d'une mobilisation unitaire de toute la gauche politique et syndicale (puisqu'il est question de symbole) ? La CGT a défendu à peu près seule sa cause. En conseil municipal, jamais l'opposition ne s'est saisie de ce dossier pour le soumettre au débat. La faute à qui ? A personne et à tout le monde, à une culture de gauche saint-quentinoise qui fait que chacun se bat pour son pré carré, sans unité, sans rassemblement, dans la dispersion la plus totale. Tant que la gauche persistera dans cet état d'esprit, elle ne gagnera pas, ni dans la rue, ni dans les urnes, pas même devant les tribunaux.

Ensuite et surtout, la gauche saint-quentinoise, et c'est bien sûr mon côté réformiste, social-démocrate qui resurgit, est en grande partie étrangère à la culture du compromis. Au contraire, elle chérit, y compris dans mon propre parti, le rapport de forces, l'attitude jusqu'au-boutiste, la ligne de fuite radicale. Les grands principes y trouvent leur compte mais pas l'efficacité ni les résultats. Je n'en sais pas plus sur le contentieux de la Bourse du travail que ce que j'en lis dans la presse, mais on comprend très vite que les deux parties en conflit, en premier lieu la CGT, avaient intérêt à passer un compromis, à trouver un arrangement qui convienne à chacune, avec les concessions nécessaires de part et d'autre. Le rapport de forces, c'est bien joli, mais qu'est-ce qu'on fait et où on va quand la force est dans le camp d'en face ? Tout le problème est là. La fin sera inévitablement triste, il en restera des traces d'amertume et, pour la gauche, l'idée que l'échec est une fois de plus une fatalité, que la résistance désespérée est la seule attitude concevable, ce que je ne crois pas.

C'est un grand mot mais je l'assume : la gauche saint-quentinoise doit faire sa "révolution culturelle", sortir de l'esprit d'opposition, du syndrome minoritaire, du positionnement protestataire. Aux prochaines élections municipales, il y aura bientôt une génération - une génération ! que des Saint-Quentinois de gauche n'auront pas exercé de responsabilités au niveau de la gestion municipale. Pourtant, il y a dans notre ville un électorat de gauche, des hommes et des femmes de gauche engagés dans la vie publique. Mais cette réalité reste latente, ne se traduit pas politiquement. C'est en quelque sorte une gauche invisible, comme un gisement souterrain qui ne demande qu'à jaillir mais que les évènements, les structures, les leaders actuels ne favorisent pas, parce que la culture ambiante n'y porte pas. C'est pourquoi l'expression de "révolution culturelle" n'est pas trop forte pour qualifier le changement, la prise de conscience nécessaires et espérés.

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