vendredi 11 mai 2012

L'usage du drapeau.



Dans une société de polémiques, il fallait bien que le nouveau président de la République en soit, déjà, la victime : la polémique du drapeau, superficielle, absurde et idiote comme le sont toutes les polémiques. Dommage que la droite ait cru bon de s'en emparer. Mais je mets cette erreur sur le compte de la jeunesse et de l'inexpérience : quand on renoue après dix ans avec l'opposition, il est normal de s'y prendre mal. J'espère tout de même que la droite apprendra très vite. En attendant, je réponds à cette polémique, qui ne doit pas laisser indifférent, aussi basse soit-elle.

Que nous dit-elle ? Qu'à la Bastille le soir de la victoire de François Hollande, dans la foule de ses partisans, il n'y avait aucun drapeau français mais plusieurs de pays étrangers. Voilà l'objet du scandale, le fond de la polémique, ridicule évidemment. D'abord, je ne suis pas certain que le drapeau national ait été complètement absent et, de toute façon, je m'en moque : ce n'est pas le tissu qui fait le patriote. L'extrême droite pétainiste, traître à sa patrie, essaie de se racheter une bonne conduite en agitant les trois couleurs. Ca ne change rien sur le fond. Le patriotisme est une affaire de coeur, pas d'ostentation, tout comme le port de la croix ne fait pas forcément le bon chrétien.

Quant à la présence de drapeaux étrangers, peu nombreux au demeurant, ça ne me gêne pas. Au contraire, j'en suis heureux, je m'en réjouis. A la Bastille, lieu symbolique d'une révolution à portée universelle, le nouveau président de la République s'est adressé à la nation et au monde. Cette ouverture me plaît. Que des Français d'origine étrangère ou des immigrés viennent manifester leur joie en revendiquant tranquillement, dans le respect des lois, leurs racines, c'est très bien comme ça. Et quand tout ce peuple reprend et entonne la Marseillaise, ça fait chaud au coeur, c'est le vivre ensemble dans toutes nos différences qui s'exprime là, c'est un grand moment de gauche, un grand moment républicain, un grand moment français. Il faut être bien misérable pour y voir autre chose, une manifestation anti-nationale. C'est à l'inverse une réponse au vent mauvais de xénophobie qui souffle sur la France.

A vrai dire, cette histoire de drapeau me chauffe les oreilles depuis plusieurs années. La belle idée qu'a eu Ségolène de l'introduire en 2007 dans le débat ! Et Sarkozy qui en rajoute en demandant aux syndicalistes de mettre de côté le drapeau rouge ! Nous sommes en pleine confusion des symboles. Un drapeau est une façon d'exprimer une conviction, rouge, verte, orange, noir ou autres, selon qu'on est militant ouvrier, écologiste, MoDem, anarchiste ou autres. Il y a aussi le drapeau des régions ou celui des clubs sportifs. De ce point de vue, un drapeau traduit un engagement, un attachement, chacun a le sien et c'est très bien ainsi en République.

La multiplication des drapeaux dans les manifestations est relativement récente ; elle date du début des années 90, avec la création de la fédération enseignante, la FSU. Avant, les drapeaux ont bien sûr toujours été présents mais moins nombreux. Aujourd'hui c'en devient absurde : dans les meetings, on a l'impression que presque chaque participant a été doté d'un drapeau dans le but de faire masse.

Le drapeau tricolore, c'est très différent : c'est le seul et unique drapeau qui appartient à tout le monde, qui ne traduit pas un choix partisan mais l'intégration dans la communauté nationale, qu'on soit d'ailleurs, sans distinction, Français ou immigrés. Ce drapeau-là, exceptionnel et même sacré (c'est pourquoi il existe un délit d'outrage au drapeau), ne devrait pas être utilisé à des fins partisanes, de gauche ou de droite, mais réservé aux bâtiments officiels de la République, à ses cérémonies et aux défilés patriotiques. A la différence des Etats-Unis d'Amérique où l'immensité du territoire et le système fédéraliste exigent d'afficher son sentiment national à la porte de sa maison ou dans son jardin, la République française, suffisamment forte par son histoire et ses institutions, n'a pas besoin de se rassurer d'une telle façon.

Je propose donc qu'une loi interdise l'usage public, non officiel, non autorisé, non protocolaire, du drapeau français. Il faut arrêter cette course stupide à celui qui aura le plus de drapeaux tricolores dans ses meetings, qui ne servent que pour la photo et les télés. Ce n'est pas faire honneur à nos couleurs, ce n'est certainement pas les respecter que de les transformer en agent électoral. Cette mode ne peut que renforcer le nationalisme, qui est tout le contraire du patriotisme (il faut toujours se méfier des gens qui en font trop, qui agitent le drapeau pour de sombres raisons). Ma deuxième proposition de loi, c'est que chaque drapeau français soit obligatoirement accompagné d'un drapeau européen, comme cela se fait déjà en de nombreux endroits (dans mon lycée par exemple) : ce serait une excellente pédagogie pour montrer que la France et l'Europe sont liées par une communauté de destin.

Vive la France ! mais par pitié arrêtons avec cette folle histoire et cette inflation de drapeaux ...

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