mardi 29 mai 2012

6 contre 7


Vous vous souvenez du numéro 6 ? Patrick Mac Goohan dans "Le Prisonnier", formidable série télévisée. Il affrontait le numéro 2, et on ne savait pas qui était le mystérieux numéro 1 (sauf dans le dernier épisode). A Laon, c'est moins mystérieux : le numéro 6 se bat contre le numéro 7 et tous les deux sont bien connus, René Dosière et Fawaz Karimet. Le hasard est plein d'ironie : ces concurrents socialistes ont des panneaux électoraux voisins ! Je me demande si l'électeur y comprend quelque chose et comment il réagira au moment du choix ...

Le numéro 6 et le numéro 7 veulent devenir chacun numéro 1. C'est le drame de la politique, la vertu de la démocratie et la comédie des hommes : il n'y a qu'une seule place et elle est convoitée par plusieurs ... René est député et veut le rester, il fait du bon boulot et s'est fait connaître nationalement. Normal, non ? Fawaz veut être député, est soutenu par la section de Laon et investi par son parti. C'est normal aussi. Mais est-ce que c'est malin ?

Il était prêt à se retirer, à condition que René le prenne comme suppléant, au nom de la diversité. Je comprends, mais peut-on imposer à un député sortant, qui n'est plus tenu par les règles du parti socialiste dont il a été exclu, son suppléant, d'autant que celui-ci a déjà été par lui choisi, Jean-Michel Wattier, qui préside les élus socialistes de l'Aisne ? Et pourquoi Fawaz tient tant à être suppléant, qui n'est pas une position politique d'une extrême importance ?

Ce qui est fascinant dans cette histoire, c'est que ses deux protagonistes n'ont rien à y gagner mais qu'aucune rationalité ne s'impose pour les sortir du conflit. J'ai souvent eu cette impression-là dans plusieurs situations politiques : chacun est dans son couloir, comme dans une course, ignorant totalement l'autre, ne suivant que sa propre logique dans l'illogisme le plus total. Il n'y a que l'arrivée qui les départagera. Dosière va perdre des voix, Karimet va perdre l'élection mais la machine est lancée et rien ne semble pouvoir l'arrêter, même les apparents rapprochements des derniers mois. Comme si la politique échappait à toute forme d'intelligence, de compromis, d'arrangement : il faut foncer, foncer, foncer ... et on discute après, quand le verdict est tombé, que la discussion ne sert plus à rien. C'est probablement une forme d'intelligence, mais sûrement pas de bonne intelligence.

Fascinant aussi cette puissance de la répétition qu'on trouve en politique comme autrefois, sous l'Antiquité, dans la tragédie grecque : le destin est plus fort que les volontés individuelles, personne n'échappe à la fatalité, rien de fondamentalement nouveau sous le soleil. Dosière et Karimet s'affrontent maintenant comme Karimet et Dosière s'affrontaient il y a cinq ans, dans les mêmes circonstances. C'est la roue de l'existence, l'éternel retour.

Chacun sur son affiche s'attribue le soutien du nouveau président, comme sésame de la victoire. Fawaz ose même en bandeau une "Génération Hollande" avec une tête presque aussi grosse que celle du candidat. René joue sur le bon sens ("Un bon député, on le garde") et ose lui aussi, mais un jeu de mots sur son travail de vérification des comptes publics ("Un député qui compte").

La presse nationale a commencé à s'emparer du conflit local. Le Parisien d'aujourd'hui révèle que le Premier ministre a téléphoné son soutien au député de l'Aisne. Le Monde en a fait il y a quelques jours un éditorial. Ce matin, dans la revue de presse de France-Inter, la première circonscription de l'Aisne a fait parler d'elle. Je n'espère qu'une chose : que ce conflit, dans lequel j'ai depuis longtemps choisi, ne finisse pas par profiter à la droite. Ce serait vraiment ballot. Bonjour chez vous, comme disait le numéro 6 de la série.

Aucun commentaire: