mardi 24 avril 2012

Une France qui souffre ?



Pendant la soirée électorale de dimanche et depuis, j'entends régulièrement parler de "la France qui souffre" pour qualifier l'électorat de Marine Le Pen. Arrêtons si vous le voulez bien cette escroquerie, volontaire ou pas. Le FN n'a certainement pas le monopole de la souffrance. En quoi les autres candidats, quels qu'ils soient, n'attireraient-ils pas eux aussi cette "France qui souffre" ? Il y a des malheureux qui votent Hollande, Sarkozy, Poutou, etc. Ce privilège du malheur humain accordé à l'extrême droite, qui n'est qu'un mensonge, m'exaspère.

Et n'allez pas me dire que les citoyens en souffrance (puisque c'est ainsi qu'on parle aujourd'hui) sont plus nombreux chez les électeurs frontistes. J'ai déjà fait sur ce blog la démonstration que c'était faux, que la part ouvrière était minoritaire : la France du Front est constituée majoritairement de commerçants, d'artisans, de petits patrons, d'anciens UMP qui ne souffrent pas plus que vous et moi, qui ont autant de problèmes que vous et moi, ni plus ni moins. Arrêtons donc cette arnaque, ce chantage à la souffrance, malhonnête comme il n'est pas permis.

Ce qui est détestable dans l'excuse de la souffrance, c'est qu'elle sous-entend que la difficulté sociale engendrerait forcément le vote extrêmiste, et le plus détestable qui soit, pour des raisons historiques, le vote nationaliste, poujadiste, néo-fasciste (car c'est bien de cela dont il s'agit quand on entend les discours de Marine Le Pen). Non, la souffrance ne rend pas nécessairement aveugle ou fanatique, elle n'interdit pas un choix raisonnable, de gauche ou de droite. Ce préjugé d'irrationalité qui frapperait ceux qui souffrent est insupportable d'un point de vue républicain, qui accorde à chaque citoyen la même part de conscience, de sensibilité, d'intelligence. C'est un préjugé social, un préjugé de classe.

Et puis, la souffrance n'est pas une catégorie ou un argument politiques, c'est une réalité personnelle, intime, psychologique, difficile à cerner (qui souffre, qui ne souffre pas ?), qui n'a pas sa place dans le débat idéologique, qui est en réalité odieusement manipulée, instrumentalisée. Loin d'être la France qui souffre, je dirais plutôt que l'électorat frontiste représente la France qui fait souffrir d'abord les petits, les exclus, les pauvres, les immigrés. Personne n'ose le dire à cause du tiroir-caisse électoral mais il s'agit bien de cette France-là, éternellement trouillarde, lâche, bête, jalouse, mesquine, haineuse et xénophobe jusqu'au trognon.

Cet électorat-là fait mal à la France, salit son drapeau, dénature le patriotisme, détériore l'image de notre pays dans le monde. J'aimerais qu'on cesse d'en parler, de le mettre au centre du débat public : il faut le cacher, comme une maladie honteuse. Et rappeler cette évidence : 80% des Français n'ont rien à voir avec ça, ne voteront jamais Le Pen, n'y pensent même pas. Le peuple le voilà ! et pas ces 18% de misérables qui s'en prennent aux malheureux. Que leurs voix aillent au diable !

Aucun commentaire: