mardi 3 avril 2012

La question laïque.

La question laïque est chère au coeur des Français, de la gauche, des socialistes. En revoyant cette fois sur internet la séance du conseil municipal d'hier à Saint-Quentin, le début consacré à cette question était stupéfiant de confusion et de paradoxes. Le fond de l'affaire, c'est un "contentieux", un "conflit" (ce sont les mots qui ont été employés) de plusieurs années entre la ville de Saint-Quentin et l'enseignement privé, qui obligent aujourd'hui à verser des indemnités importantes à celui-ci. Mais pourquoi, pendant si longtemps, la municipalité n'a-t-elle pas appliqué la loi qui impose aux communes le financement des écoles privées ? Personne, ni le maire ni l'opposition, ne l'a expliqué. Le point de départ du problème est pourtant là.

A entendre les uns et les autres, on ne savait pas si la municipalité de Saint-Quentin était hyper-laïque (elle résiste à une loi qui favorise l'école privée) ou bien anti-laïque (elle avantage l'école privée, comme il a été suggéré). Le premier opposant à s'exprimer, Michel Aurigny, a demandé l'abrogation de la loi Debré de 1959, en se réclamant de la loi de séparation de 1905 et en condamnant les traités européens. C'est tout confondre : la loi de séparation des églises et de l'Etat, qui concerne les cultes, n'a rien à voir avec la loi Debré, qui concerne le système scolaire. On peut s'opposer à celle-ci si l'on veut, on ne peut pas dire qu'elle contredit celle-là. Quant aux traités européens, ils ne portent ni sur la laïcité, ni sur l'école, ces domaines relevant des nations, pas de l'Europe.

En déplaçant le problème du "contentieux" entre la Ville et l'école privée vers le débat sur la loi Debré, je ne crois pas que Michel Aurigny ait été très pertinent. L'affaire est plus juridique que politique (une décision du tribunal administratif). Quant à sa demande d'abrogation, elle correspond à sa perspective politique et à sa conception de la laïcité : théoriques, abstraites, radicales, comme si l'histoire n'existait pas, comme si la société n'avait pas bougé depuis 1959. Oui, à cette époque-là, des millions de laïques se sont opposés au financement contractuel et public de l'enseignement privé, au nom du principe "A école publique fonds publics, à école privée fonds privés". Mais cinquante ans après, peut-on proposer l'arrêt total des subventions à l'école privée, comme le souhaite Michel Aurigny ? Idéologiquement oui, parce que dans le monde de l'idéologie tout est possible ; mais politiquement non, parce que les faits sont là, parce que la réalité est intangible, parce que l'histoire nous instruit.

En 1981, est-ce que la gauche a abrogé la loi Debré ? Même pas à cette époque-là, quand les circonstances historiques étaient pourtant favorables ! Et quand elle a voulu nationaliser l'enseignement privé à travers un grand service public et laïque de l'éducation, elle s'est retrouvée avec deux millions de manifestants dans la rue ! Et Mitterrand a dû renoncer. On a beau rêver autant qu'on voudra, abroger tout ce qu'on voudra, l'histoire et la réalité, elles, ne peuvent pas être abrogées. Le parti socialiste auquel j'appartiens, la Ligue de l'enseignement que je préside dans l'Aisne ne demandent pas qu'on abroge la loi de 1959 mais que le financement de l'enseignement privé se fasse sous des conditions précises, après contrôle, en supprimant les injustices les plus flagrantes (la loi Carle par exemple).

Le plus stupéfiant, quasiment surréaliste, c'est lorsque Michel Aurigny en appelle à la laïcité pour "dépasser les clivages" et "rassembler", alors que sa proposition d'abrogation mettrait la France à feu et à sang (c'est une image), réactiverait ce qu'on appelle la "guerre scolaire". Je crois que notre pays, quelles que soient les convictions et les intentions de chacun, a tout de même mieux à faire. Le plus affligeant est ailleurs : cette question laïque, c'est le chef de file de l'opposition qui devait la porter, la défendre, en rappelant le point de vue de la gauche, et ne pas laisser l'extrême gauche s'en saisir et imposer sa philosophie, mettant ainsi en porte-à-faux l'élue socialiste intervenant sur le sujet, offrant à Xavier Bertrand une occasion en or de tacler son opposition. Mais y a-t-il encore un chef de file de l'opposition ? L'épisode d'hier soir sera vite oublié, les Saint-Quentinois n'en retiendront comme je l'ai dit au début que confusion et paradoxes. Il n'empêche qu'il faudra bien, le moment venu, en tirer des conclusions.

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