samedi 7 avril 2012

Le vrai combat.

La semaine politique à Saint-Quentin a été dominée par une belle confusion à propos de la laïcité. La Ville doit 830 000 euros à l'école privée, et ce n'est qu'un début ! L'extrême gauche s'en prend à la loi Debré, les votes de l'opposition en conseil municipal sont contradictoires, les explications aussi, et personne n'y comprend rien. C'est pourtant simple. D'abord, mettons la loi Debré de côté : quand un automobiliste dépasse la vitesse autorisée et se fait sanctionner, est-ce qu'on vise la responsabilité du chauffeur ou la loi qui limite la vitesse ? Voilà pour la loi Debré. L'affaire des 830 000 euros relève du tribunal administratif, pas de la tribune politique.

Mais faisons de la politique tout de même, dans la cohérence de l'engagement qui est le mien, de gauche et pas d'extrême gauche. Dénoncer la loi Debré ne sert à rien sinon se faire plaisir, se donner bonne conscience laïque, satisfaire à la pureté révolutionnaire. En réalité, le maximalisme irréalisable (abroger la loi Debré) fait oublier le minimalisme réaliste : abroger la loi Carle. Car ce que la gauche doit faire respecter, c'est a minima l'égalité de traitement entre les deux écoles, publique et privée, aujourd'hui bafouée par cette loi Carle certes moins connue que la fameuse loi Debré qui instaure le dualisme scolaire et le double financement.

La loi Carle oblige une collectivité à payer pour la scolarité d'un enfant allant dans une école privée d'une autre commune. Ainsi, le lien entre école et commune est brisé, le privé est géographiquement avantagé, la loi Debré est contredite dans son principe d'égalité. Voilà ce qu'une gauche réaliste doit dénoncer, la loi Carle, dont l'abrogation est dans l'ordre du réel politique, à la différence de l'abrogation de la loi Debré, qui s'est installée dans un demi-siècle d'existence (la loi Carle a été adoptée en 2008).

Les laïques doivent se battre pour que l'école publique soit respectée, pour que l'école privée ne soit pas privilégiée. Contrairement à ce qu'a dit Xavier Bertrand en conseil municipal lundi, c'est bien la question des moyens, humains et financiers, qui est posée, même si les problèmes scolaires ne se réduisent pas à cela. Ne nous focalisons pas sur l'enseignement privé, défendons simplement de toutes nos forces l'école de la République et n'ayons pas l'illusion de croire qu'en donnant moins d'argent aux uns on en donnera plus aux autres. Ça ne marche pas comme ça, sauf chez ceux qui ont à la place du cerveau une calculette, ce qui est fortement déconseillé en politique.

Pour le reste, je me conforme aux mandats qui sont ceux de l'organisation laïque que je représente dans l'Aisne, la Ligue de l'enseignement : inscrire les principes laïques de la loi de 1905 dans la Constitution (étonnement ils n'y figurent pas), assortir le financement de l'enseignement privée de conditions précises, contrôlées, garantissant la liberté de conscience des élèves et la conformité des contenus d'enseignement avec ceux de l'école publique, puisque c'est elle qui est au coeur de la République. Voilà le vrai combat.

Quant à la loi Debré, rien n'interdit, si vous y tenez, d'en faire l'objet d'une discussion de philosophie politique. Là aussi les choix sont assez simples. Vous pouvez privatiser l'école privée, en ne lui versant plus un sou public, et donc en la libérant de toute obligation d'Etat. C'est paradoxalement la seule et unique privatisation que réclame l'extrême gauche, qui aurait pour conséquence tout aussi paradoxale de faire de l'école privée, pour le coup, une école de riches puisqu'il faudrait payer le prix fort pour y entrer (l'extrême gauche ne demandant pas la suppression de la liberté d'enseignement).

Ou alors vous choisissez de nationaliser l'école privée, de l'intégrer dans un grand service public de l'éducation. C'était l'idée de la gauche, socialiste et communiste, des années 70, qui a échoué dans les années 80. Je veux bien qu'on remette les plats, mais pour faire quoi ? Ce beau et noble projet s'est heurté au soupçon d'attenter aux libertés. C'est injuste mais c'est ainsi. On ne peut pas faire comme si ce qui s'est alors passé ne s'était pas passé, en rester à un raisonnement abstrait, hors réalité.

La Libre pensée va organiser une journée pour la laïcité à Saint-Quentin, et le Parti ouvrier indépendant une conférence-débat. C'est leur droit mais je ne me reconnais pas dans leur conception de la laïcité. Bouffeurs de curés quand il n'y en a presque plus à se mettre sous la dent, anticléricaux comme on l'était à l'époque des chapeaux melons, mangeurs de boudins le Vendredi saint, leur folklore laïquard ne me branche pas trop. J'aime bien la conversation avec les prêtres, la spiritualité et la théologie m'intéressent et la dialectique lambertiste m'emmerde. Le vrai combat laïque tel que je le conçois, ce n'est pas la lutte contre la religion, c'est la liberté des convictions dans la neutralité des institutions.

Terminons avec le conseil municipal de lundi : j'admets que l'opposition ait pu s'abstenir sur la délibération proposée par Xavier Bertrand. Un vote est toujours un vote de circonstances : il fallait marquer le coup, mettre en avant l'école publique et ses difficultés, ne pas partager une responsabilité qui n'appartient qu'à l'actuelle municipalité, après décision du tribunal administratif. Mais ce que je n'accepte pas, ce sont les explications données, le privilège de parole accordé à l'extrême gauche, le silence du chef de file de l'opposition, l'absence d'unanimité dans les votes.

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