mardi 29 novembre 2016

La politique à table



François Hollande et Manuel Valls étaient fâchés. Il y avait de quoi : le Premier ministre, ce dimanche, donnait l'impression de vouloir se présenter à la présidentielle contre le président de la République. Jusqu'à présent, il avait toujours écarté cette éventualité, arguant de sa fidélité indéfectible au chef de l'Etat. La veille, Claude Bartolone semblait accréditer une telle hypothèse. Voilà de quoi jeter un froid légitime entre les deux têtes de l'exécutif. Mais la politique en a vu d'autres : n'est-elle pas une interminable suite de fâcheries et de réconciliations ?

En même temps, une bisbille à ce niveau, au sommet, la fiche mal. La gauche, déjà mal en point, n'avait pas besoin de ça. Mais c'était dimanche, et nous sommes mardi : en politique, l'éternité se compte parfois en heures. Quelle a donc été la solution ? Un repas à l'Elysée ! Après, le problème était réglé, Valls souriant, Hollande rassuré. Je suis fasciné : comment un simple repas peut-il désamorcer une possible et grave crise ? Je lis que les deux hommes se sont expliqués. Mais ils pouvaient le faire par téléphone, eux qui sont si occupés. Non, je crois que le repas joue un rôle stratégique en politique, trop souvent ignoré. Il faudrait refaire l'histoire des grands de ce monde, au point de vue de la table.

Je les imagine, sous les lambris du palais présidentiel. Le décor est à la fois solennel et apaisant. Le cadre prestigieux n'encourage pas aux polémiques de bas étage. Les huissiers en tenue donnent du sérieux à la rencontre. On ne songe pas à s'amuser. Qu'ont-ils pris à l'apéritif ? Le kir royal détend les nerfs, repose les mâchoires. Quelques amuse-gueule aiguisent l'appétit. Le menu intéresse plus que l'ordre du jour. Un différend se règle de biais, pas de face. Il faut penser à autre chose pour être efficace. Le détour est la meilleure ligne droite. La géométrie politique a ses lois.

En plat de résistance, je suis persuadé que le président et son Premier ministre ont pris de la viande rouge, en sauce, avec légumes et féculents, pour discuter utilement le bout de gras. Mais pas encore, c'est trop tôt à ce stade du repas. Il faut remplir les ventres, caler les estomacs. Après seulement, on peut parler. Pour les cerveaux, c'est l'alcool qui doit faire son œuvre : irriguer, griser légèrement, dédramatiser. A l'approche des fromages et de la salade verte, je suis sûr que Hollande et Valls ont dû rire ensemble, de tout et de rien. Ces gamineries sont nécessaires à une bonne atmosphère.

Le moment du dessert, c'est celui du silence, une vraie prière : le sucre, la crème, le chocolat. On ne mange plus, on ne goûte pas : on jouit et on dit "c'est bon". François et Manuel oublient tout, même pourquoi ils sont là. Ils ont la tête dans leur assiette, et nulle part ailleurs. Le café fort et brûlant ramène à la réalité. Il faut maintenant discuter, mais il n'y a plus besoin : le repas a fait office de raccord. La parole est devenue inutile, comme en amour, où l'on se comprend sans parler. Une dispute ne résiste pas à une table copieuse. Les désaccords se vident aussi rapidement que les verres de cristal. Quand le serveur stylé apporte les digestifs, les deux hommes sont main dans la main, ne font plus qu'un. De leur apparent conflit, il ne reste que des miettes sur la nappe.

Oui, la politique, ce sont de perpétuelles disputailleries. Mais voyez comme il est facile et rapide de les dépasser. Quelques heures après, personne n'y pense plus, même pas BFMTV. Fillon et Juppé sont brouillés ? Un repas ! Mélenchon et Laurent ne se parlent plus ? Un repas ! Marine Le Pen et son père sont en contentieux ? Un repas ! Sarkozy et Bayrou se détestent ? Un repas ! Je pourrais continuer la liste ...

A Saint-Quentin aussi, à gauche, ce ne sont pas les intentions qui manquent, ce sont les repas ! Se retrouver dans un local pourri, au milieu d'une salle glauque, entre une bière chaude et un bol de cacahuètes, c'est l'échec assuré. Il ne peut en sortir que de l'énervement ou de l'abattement, les deux allant souvent ensemble. Lorsqu'on quitte le placard, les problèmes sont plus vifs qu'avant d'y entrer. Quand on pense qu'une table garnie, de la bonne chair, des vins roboratifs règleraient tout, infiniment mieux en tout cas que de longues discussions inutiles et désespérées. J'aurais dû y penser plus tôt, depuis bien longtemps, dès le début. La gauche locale n'aurait pas la gueule de bois, alors qu'elle n'a pourtant rien bu.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Faites attention la gastro rode partout ... Et un bon repas peut se terminer en déroute digestive ... C'est comme en politique ...........

Erwan Blesbois a dit…

Et après c'est soi-disant moi le "romancier" !

Emmanuel Mousset a dit…

Les propos de table, ce n'est pas de la romance, c'est du vécu.

Erwan Blesbois a dit…

Emmanuel Mousset dit que c'est un repas dans un cadre solennel qui aurait réussi à désamorcer le conflit à la tète de l'exécutif, entre le chef de l'Etat et son premier ministre. Mais c'est un leurre. Moi je dis serment d'ivrognes... à la première occasion en réalité, ces deux là qui ne se font plus confiance, se chamailleront à nouveau. Non il n'y a plus rien à sauver, le bateau prend l'eau de toute part, et la source du mal remonte à 1983, lorsque la gauche a trahi ses idéaux initiaux pour se rallier à l'idéologie libérale, semant la confusion au sein même de ses rangs. Le message de la gauche socialiste est devenu à ce moment là inaudible pour ses électeurs, mais plus grave encore parmi ses cadres dirigeants. Depuis le fossé ne cesse de se creuser entre les différentes sensibilités du PS, jusqu'à atteindre aujourd'hui un point de non retour. Et ce n'est pas un simple repas à l'Elysée, dérisoire tentative de réconciliation, qui apaisera ou résoudra le problème. On avait cru avec Lionel Jospin, à la "gauche plurielle", en ce temps là, le premier ministre et son gouvernement étaient encore crédible, le concept même de "gauche plurielle" avait du charme, on avait envie d'y adhérer. Il était représenté par des hommes, mais aussi par beaucoup de femmes, ce qui lui donnait une supériorité morale et spirituelle, sur les gouvernements de droite essentiellement composés d'hommes. Ou bien quand il y avait des femmes, elles étaient là pour servir de faire valoir, et faisaient en réalité office de potiches comme les fameuses "jupettes", du gouvernement Juppé. Mais aujourd'hui le PS ne donne plus envie de rien, le spectacle de son incurie, engendre au mieux qu'un vague sentiment de pitié, et pour la France et son peuple, on redoute un genre de catastrophe diffuse. Tout le monde croise les doigts et se dit, "pourvu qu'il n'y ait pas un nouvel attentat", qui abîmerait encore un peu plus la cohésion nationale. Le gouvernement de Manuel Valls, placé sous l'autorité de François Hollande, n'a désormais plus totalement la maîtrise de son destin et dépend dans une large mesure des circonstances extérieures pour assurer sa cohésion en son sein, et sa crédibilité aux yeux de l'opinion publique. Aujourd'hui on assiste au contre coup à la tête de l'exécutif, de toute la tension accumulée pendant plus de quatre ans d'exercice du pouvoir, exercice qui ne fut pas de tout repos, rendu ardu par les chiffres du chômage, le déchirement encore accru du tissu social, et les attentats...

Erwan Blesbois a dit…

...Fillon compte résoudre le problème par la méthode brutale : une cure d'austérité qui ne va faire qu'amplifier les antagonismes profonds de la société française, en augmentant les inégalités, en rendant encore un peu plus pauvres, les pauvres, et les classes moyennes. En rendant encore un peu plus riches, les déjà privilégiés du système, mais qui en réclament toujours plus au nom de la compétitivité. En excluant de toute vie sociale et professionnelle, un nombre toujours grandissant de Français, ou au mieux les remettant sur les rails de la vie active mais dans des conditions non épanouissantes de quasi esclavage social et professionnel : ce n'est pas comme cela que l'on apaisera la société française, qui en a pourtant grand besoin.
Il faut bien voir que le libéralisme fut toujours un moteur brutal d'accroissement des inégalités, et qu'il fut toujours tempéré par des logiques de grands travaux et de redistribution sociale keynésiens, ce dernier modèle est aujourd'hui en panne, particulièrement en France ; tout le monde l'appelle de ses vœux au moins aux Etats-Unis, pour qu'il fasse tâche d'huile sur l'ensemble des autres pays occidentaux, mais rien n'est encore acquis outre-Atlantique. Peut-pn faire confiance à ce "clown", tel que le définit Robert de Niro ?
Pour revenir à notre sujet, d'une certaine façon, Manuel Valls a pété un plomb, c'est le contre coup de l'exercice du pouvoir dans des conditions très difficiles. Il doit se rendre compte avec le peu de recul d'un dérisoire repas plus ou moins officiel, de la taille de sa boulette, qui n'est pas petite.
Le cosmopolitisme est-il en mesure de sauver la France aujourd'hui ? Il s'agit d'une idéologie à ne pas confondre avec la mondialisation. Alors que le cosmopolitisme a quelque chose de spirituel, la mondialisation est plus de l'ordre du matérialisme. La question est : est-ce le matérialisme ou le mouvement de l'esprit qui nous sauvera ? comme Emmanuel Mousset je penche pour les forces d'esprit, mais je mets un bémol à l'idéologie du cosmopolitisme.

Anonyme a dit…

Si tel est le cas que vous décrivez dans votre section locale de Saint Quentin c'est qu'elle n'a pas de leader susceptible de galvaniser une équipe jeune et dynamique comme c'est la cas dans ma ville à majorité communiste, dissident du PS, et extrême-gauche. Rien de grand ne se fait sans passion (Hegel) et les gens raisonnables ne donnent pas envie que l'on se mobilise pour eux, ce ne sont que des notables. De plus votre choix en faveur de Macron doit vous y marginaliser un peu plus.

Emmanuel Mousset a dit…

Blesbois, Mousset et autres, TOUS contre Fillon !

A T a dit…

"Blesbois, Mousset et autres, TOUS contre Fillon ?"
Non, pas ça !
Blesbois, Mousset et autres, TOUS à table avec Fillon !
Les panses bien remplies, ils feront TOUS plus belle figure en quittant ensemble une bonne table partagée !

Emmanuel Mousset a dit…

Je ne mange pas de ce pain-là.