dimanche 26 janvier 2014

Une séparation



Certains lecteurs m'ont fait savoir leur étonnement, d'autres leurs reproches devant mon silence sur l'affaire dont tout le monde parle depuis quinze jours : la relation sentimentale attribuée à François Hollande et la comédienne Julie Gayet par le magazine Closer. Quelques-uns mettent ce mutisme sur le compte de mon embarras. Non, et je vais vous dire pourquoi : une affaire privée doit pour moi rester privée, même si tout le monde en parle. Je traite librement des sujets de mon choix, je ne suis soumis à personne, ni à aucune actualité. Aujourd'hui, j'en parle parce que François Hollande a décidé hier soir d'en parler et de clore cette affaire.

D'ailleurs, je continuerai de me taire sur l'affaire en elle-même, une liaison entre un homme et une femme, fussent-ils président et vedette, dont nous ne savons rien et qui ne nous regarde pas. En revanche, les commentaires qu'a suscités cette affaire durant les quinze derniers jours méritent l'analyse, tant ils sont révélateurs d'un abaissement moral de la société française, d'une dégradation de nos moeurs, d'une inintelligence de coeur et d'esprit. Pendant cette quinzaine, nous avons assisté, pour ma part stupéfait, à une déferlante d'indécence, d'obscénité, de voyeurisme et de racolage assez incroyable. La vague est passée, nous pouvons maintenant l'étudier plus sereinement. Elle a charrié tout un tas de sophismes, d'inepties, d'ignorance crasse, de fausses évidences, de vrais mensonges et de débats absurdes. Prenons-les les uns après les autres :

1- Le débat autour de la "première dame de France" : une pure folie, une simple fiction puisque ce statut n'a jamais existé dans notre pays ! C'est un abus de langage de parler de "premier dame", ça ne renvoie à rien, sinon à la First Lady aux Etats-Unis. Jusqu'à preuve du contraire, nous ne sommes pas américains et nous n'élisons pas un couple présidentiel.

2- Le débat autour des sommes allouées à la compagne du président de la République dans le cadre de ses activités : le cri des contribuables indignés est particulièrement mesquin et dérisoire. De fait, s'il n'y a pas en France de First Lady ou de "première dame", il y a bel et bien une conjointe du chef de l'Etat, dont les initiatives, généralement humanitaires, ont leur utilité et vont dans le sens de l'intérêt général. De même, que la sécurité de la compagne ou de l'épouse des présidents soit assurée au frais de la République, ça ne me choque pas, c'est dans l'ordre nécessaire des choses.

3- Le débat autour de l'irresponsabilité d'un chef d'Etat en scooter dans Paris, à la merci de n'importe quel flash de photographe, donc aussi d'une mitraillette de terroriste : c'est l'accusation la plus comique et la plus grotesque que j'ai entendue durant cette quinzaine délirante. En 1992, en plein Paris, sur les quais de Seine, j'ai croisé par hasard François Mitterrand à pieds, accompagné par quelques personnes, anonyme au milieu de la foule, qui ne le remarquait pas vraiment. Jamais il ne serait venu l'idée, à l'époque, que le chef de l'Etat était irresponsable d'effectuer ce genre de promenade dans la capitale. Au contraire, la meilleure façon de déjouer tout attentat, qui généralement ont lieu durant des déplacements officiels, c'est de circuler incognito dans des activités très ordinaires. Dans le cas de François Hollande, je me demande si le port du casque, sur lequel on a beaucoup et stupidement glosé, n'est pas pour quelque chose dans les réactions négatives : comme si le sommet de l'Etat ne méritait pas un tel couvre-chef (les Français se représentent le monarque avec une couronne, comme les anciens rois, ou bien un képi, à la façon du général de Gaulle).

4- La distinction nouvelle entre vie privée et vie intime, l'une étant nécessairement exposée, l'autre devant rester secrète, purement personnelle : cette substitution à la traditionnelle distinction vie publique et vie privée est particulièrement hypocrite et fallacieuse. Vie privée et vie intime, c'est exactement la même chose, et c'est très simple à circonscrire : les affaires de coeur, de sexe ou de famille, les goûts ou la moralité d'un homme politique appartiennent à sa vie privée, intime, et n'entrent pas en considération dans les jugements politiques qu'on porte sur lui. Sa vie publique concerne toutes ses actions en faveur du public, et en ce sens elles nous concernent.

5- J'ai entendu, durant l'odieuse quinzaine, cette équation perfide et erronée : "Un homme qui n'est pas fidèle à sa compagne n'est pas non plus fidèle à ses convictions ni à son pays". Même les puritains américains n'oseraient pas ce genre de connerie ! Ils comprennent, en bons moralistes qu'ils sont, que l'essentiel est d'entretenir une façade de respectabilité bourgeoise, derrière laquelle, bien caché, on fait ce qu'on veut, y compris les pires turpitudes (exemple spectaculaire : le queutard Kennedy et sa famille modèle). Oui, un homme fidèle à son épouse, bon avec ses enfants, son chien et ses voisins, peut néanmoins trahir sa patrie et se comporter en vrai salaud. Certains rois de France, pourtant très chrétiens et de droit divin, avaient des maîtresses comme jamais François Hollande n'en aura dans son existence : personne n'aurait songé à juger leur politique à l'aune de leur vie sentimentale et sexuelle. Arrêtons donc avec ça.

6- La remise en cause de la tradition républicaine française par Jean-François Copé, qui a jugé "désastreuse" l'image donnée de la France dans cette affaire. Heureusement, d'autres, à droite, n'ont pas réagi ainsi. Mais Copé est pour l'heure le chef de la droite, et le désastre, c'est plutôt sa prise de position : elle soumet la vie privée du chef de l'Etat (et de tout homme public ?) à des critères moraux, ce qui est une rupture avec toute notre histoire. Giscard, Mitterrand et Chirac, à ce qu'on en sait, avec de nombreuses aventures amoureuses, qui ne conduisaient pas à discréditer leur personnage ou leur action publics. Vous me direz peut-être que Copé ne fait que se conformer aux évolutions de la société et à son hyper-médiatisation : je vous répondrais qu'un homme d'Etat ne se soumet qu'à l'idée qu'il se fait de l'intérêt général, qu'il ne se détermine pas selon l'air du temps, les modes, les pressions, les influences de la société, qu'il peut même lui arriver de les dénoncer et de les combattre.

7- On reproche à François Hollande de se comporter comme Nicolas Sarkozy, alors qu'il avait promis d'être "exemplaire", à la différence de son prédécesseur : mais il EST exemplaire ! Les deux attitudes sont incomparables : Sarkozy a mis en scène sa relation avec Carla Bruni, Hollande n'a rien fait de tout cela ; victime de l'indiscrétion d'un magazine à sensations, il a très vite, au bout de quinze jours, réglé la situation. Il l'a fait dans la sobriété d'un coup de fil à l'AFP, en tant que citoyen et non que président. Rien à voir avec la romance assumée et exhibée de l'ancien président avec une chanteuse à succès.

8- Des commentaires plus positifs ont souligné le caractère romanesque de l'affaire, dévoilant un François Hollande séducteur : à la limite, les retombées ne pourraient que lui être bénéfiques, donnant de lui une image inattendue et valorisante. Mais non, je n'en crois rien. Ce qui arrive à notre président, une liaison qui entraîne une séparation, n'a rien de romanesque : c'est au contraire d'une banalité absolue. Dans une société où le concubinage est très répandu, où les couples se font et se défont, Hollande confirme être l'homme normal qu'il a promis durant sa campagne. Il aurait été follement romanesque s'il s'était converti secrètement à une religion, se faisant intérieurement moine ou devenant rigoureux stoïcien, comme quelques grands noms de la noblesse française rejoignaient au XVIIe siècle les rangs austères et spirituels de Port-Royal. Hollande n'en est pas encore là ...

9- Les derniers commentaires sur l'affaire, ceux d'hier et d'aujourd'hui, nous annoncent que celle-ci est terminée, après la mise au point du président. Non, ils se trompent, l'affaire ne fait que commencer, hélas, trois fois hélas : après les aventures du concubin infidèle, nous allons avoir droit dès demain aux aventures du président célibataire, dont vont se repaître les gazettes et l'opinion publique. C'est d'ailleurs humain : depuis que le monde est monde, on cherche à savoir qui couche avec qui. Mais cette curiosité naturelle et éternelle a des limites et ne doit surtout pas devenir ce qu'elle est pourtant devenue : tout un système économique et médiatique, à grands renforts d'explications psychologiques et de considérations moralisantes. Ce qui signifie que la quinzaine de l'indécence et de l'obscénité n'est pas terminée, qu'elle va continuer, et quand l'affaire Hollande sera épuisée, elle se tournera vers une autre affaire. Vous faites comme vous voulez, mais je ne mange pas de ce pain-là.

Je terminerais en rappelant que les hommes politiques sont autant victimes que responsables, dans cette dérive de notre société, que l'affaire Hollande met en lumière et confirme. Ils n'auraient jamais dû exposer leur vie personnelle et familiale dans les médias. Je serais même favorable à une loi qui interdise, quelles que soient les élections, toute référence à la situation matrimoniale ou familiale des candidats : annoncer qu'on est marié ou célibataire, concubin ou solitaire, avec ou sans enfant, tout cela n'apporte rien à la connaissance du candidat et de sa valeur politique. J'en reste fermement à ce qui n'aurait pas dû changer en France et dont la préservation m'aurait évité ce long billet dominical : un homme public doit être connu, apprécié et jugé uniquement sur ses capacités et activités publiques. C'est le principe sous-jacent inscrit au fronton de la République.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

sa vie privé ne m intéresse pas mais qu'elle maladresse de la part du chef de l Etat. quelle naïveté ! son comportement est celui d'un adolescent normal pas celle d un président.
ce n est pas un comportement responsable, même si on vote pour un programme on espère toujours que celui qui les porte fasse preuve de maturité et d'exemplarité.

Emmanuel Mousset a dit…

Vous portez un jugement moral sur un comportement personnel. C'est votre droit. Pour ma part, et c'est le fond de mon billet, je me refuse à porter tout jugement moral sur nos hommes politiques. C'est leur politique que je juge, et elle seule.