dimanche 12 janvier 2014

Des chiffres et des chiffres



Ce qui caractérise la rhétorique politique depuis une dizaine d'années environ, c'est le recours fréquent aux chiffres. Quand on revoit ou relit les discours du général de Gaulle ou de François Mitterrand, l'évolution est spectaculaire : ils utilisaient l'un et l'autre très peu de chiffres à l'appui de leurs arguments, qui étaient politiques avant d'être arithmétiques. Cette évolution est contestable, parce qu'elle introduit une dose de technicité que le simple citoyen ne peut pas toujours appréhender. Surtout, il est facile de faire dire ce qu'on veut aux chiffres, qui ne sont pas en eux-mêmes des critères de vérité (sauf bien sûr dans le domaine mathématique et scientifique).

Xavier Bertrand, lors de la cérémonie des voeux de l'an dernier, avait demandé à être jugé sur des résultats chiffrés, quantitatifs : plus d'habitants, plus d'emplois, plus d'étudiants, avait-il promis. A l'occasion de la cérémonie des voeux de vendredi, la presse locale a fait remarquer, sur la foi des chiffres de l'INSEE, que le premier objectif n'avait pas été atteint, qu'au contraire la population locale avait baissé de 514 habitants. Voilà une donnée qu'on pourrait croire indiscutable : erreur, Xavier Bertrand a avancé un autre chiffre, du même INSEE, cette fois en sa faveur, une hausse de 300 habitants. Qu'est-ce qui explique cette sorcellerie ? La durée choisie ! La presse retient la période 2006-2011, le maire la période 2010-2011. La première argue que la bonne mesure est de cinq ans, et elle a raison ; le second peut dire que son mandat de premier magistrat a commencé en 2010, et il n'a pas tort. Maudits chiffres, qui donnent raison à tout le monde !

Sur l'emploi, toujours lors de ses voeux, Xavier Bertrand s'est réjoui que le commerce avait créé en 2013 100 emplois. C'était une façon de riposter à l'opposition, qui elle aussi sait compter, mais en nombre de magasins qui ferment. Un bon point pour la droite en matière d'emplois ? Si l'on veut, mais Michel Garand, sur sa page Facebook, à la date de vendredi, avance un chiffre qui attribue un bon point à la gauche, initiatrice des contrats d'avenir : la Mission locale de Saint-Quentin en a bénéficié de 300. Qui gagne, qui perd ?

Sur la vidéo-protection, très attaquée par le PCF, Xavier Bertrand a répondu par 5 ou 6 exemples pour justifier ce dispositif de sécurité. Mais cette énumération est-elle suffisante pour le défendre ? Le maire est allé encore plus loin, énonçant un étrange axiome : n'y aurait-il qu'une seule affaire élucidée par les caméras, celles-ci s'en trouveraient, par cet unique fait, justifiées ! J'ai immédiatement pensé, en l'écoutant, à l'Evangile de Matthieu, 18, 12-14 : quand le berger retrouve la brebis égarée, il en tire plus de joie que des 99 autres qui ne se sont pas égarées. Sauf que Xavier Bertrand n'est pas Jésus-Christ et que la lutte contre la délinquance n'est pas comparable au secours spirituel : si la vidéo-protection, cas d'école, ne règle qu'une infraction, son coût dépasse très largement ses résultats (je le dis d'autant plus librement que je ne suis pas hostile à ce système, mais je ne limite pas mon adhésion à des chiffres).

De toute l'intervention du maire de Saint-Quentin, deux chiffres m'ont impressionné, m'ont semblé puissamment révélateurs (la preuve, c'est qu'ils se sont inscrits dans ma mémoire, que je les ai retenus, alors que tous les autres, j'ai dû les noter sur papier pour vous les commenter). Dans sa partie historique, d'une bonne tenue, Xavier Bertrand a souligné que 40 000 habitants ont quitté notre ville durant la Première guerre mondiale, 253 seulement de retour en 1919. Voilà au moins une indication démographique qui ne provoquera pas de polémique !

De cette réflexion, faut-il en conclure que les chiffres doivent être bannis de toute démonstration politique ? Sûrement pas ! Après avoir péché par excès, je ne demande pas que nos hommes politiques pèchent par défaut. Que serait un programme électoral sans éléments chiffrés ? Une somme de bonnes intentions sans aucune crédibilité. Les chiffres sont donc nécessaires à la politique, essentiellement lorsqu'il s'agit du financement des projets. Pour le reste, il faut en être économe, se contenter de quelques-uns, parlants, à des fins pédagogiques. En la matière, je suis l'anti-Aurigny (conseiller municipal d'opposition, POI, dont les raisonnements arithmétiques, truffés de chiffres comme la dinde de marrons, sont incompréhensibles, du moins à écouter).

1 commentaire:

Anonyme a dit…

on est pas dupe, même sans chiffre, le citoyen remarque l'évolution de sa ville.
que d'énergie perdu a vouloir faire parler les chiffres, c'est à dire faire de la communication.
je suis de gauche, un seul chiffre m intéresse, celui de l'évolution du taux de pauvreté et de précarité.
je ne juge un gouvernement et une ville que sur ces seuls chiffres.
le nombre de bénéficiaires du rsa ou de la cmu baisse t il ? le nombre de citoyens en situation de précarité énergétique baisse t il?
A saint Quentin ces chiffres sont mauvais et au niveau national la tendance ne s'inverse pas encore, mais je garde toujours espoir en ce gouvernement.