jeudi 2 janvier 2014

Tambouille saint-amandoise



Le Berry, où je suis depuis quelques jours, est riche de ses spécialités gastronomiques, notamment le pâté aux pommes de terre et le crottin de Chavignol. Mais avez-vous goûté de la tambouille saint-amandoise (du nom de ma ville natale, Saint-Amand-Montrond) ? C'est un met qui appartient à la cuisine politique. Je ne suis pas l'inventeur de la formule, mais Laurent Desfougères, le secrétaire de la section locale du parti socialiste, qui parle, dans un récent communiqué à la presse, de "tambouille politique des listes sans étiquette". J'ai élargi l'expression à la situation politique générale de la ville. Vous allez comprendre pourquoi.

Saint-Amand est à droite depuis près de 50 ans. Nous avons même eu droit à un ministre-maire de sinistre mémoire, Maurice Papon. Aujourd'hui, c'est Thierry Vinçon, qui a succédé à son frère Serge, disparu en 2007, après 24 ans de mandat. En novembre dernier, coup de tonnerre : le premier adjoint, Jean-Pierre Pillot, choisi il y a 12 ans par Serge Vinçon, démissionne de son poste et rejoint ... l'opposition (centriste, écologiste et socialiste), dont il prend la tête lors du dernier Conseil municipal, le 9 décembre. Comme il connait sur le bout des ongles tous les dossiers, Pillot peut maintenant contester tout ce qu'il a défendu pendant douze ans ! Quelle mouche l'a piqué ? En janvier 2013, il aspirait à devenir vice-président de la communauté de communes, et ça n'a pas marché. Pour les prochaines municipales, son poste de premier adjoint risquait de lui passer sous le nez, Vinçon ayant décidé de rajeunir les troupes (Pillot a 75 ans). L'ex invoque d'autres raisons : en gros, c'était mieux avant, du temps de Serge Vinçon.

A la séance du 9 décembre, portant sur le budget, c'était croquignolesque. Quand le renégat Pillot demande des précisions, l'adjoint légitimiste aux Finances, Jacques Devoucoux, lui répond sèchement : "Notre ancien collègue (sic) connaît les réponses, je ne vois pas pourquoi on lui répondrait". Et vive la démocratie ! Jean-Pierre Pillot, dans l'opposition, a rejoint Michel Mrozek, un centriste, médecin de profession (il nous vient d'ailleurs de Soissons !), et il fera peut-être partie de sa liste. Sauf qu'au centre aussi, il y a un goût de tambouille : Mrozek s'est fait élire en 2008 sous l'étiquette MoDem, qu'il a abandonnée en cours de mandat (bonjour le respect de l'électorat !). "Aujourd'hui, je n'appartiens plus à aucun parti, je suis un homme libre". Avant, il ne l'était pas ? En tout cas, pour se faire élire une première fois, l'adhésion à un parti ne lui a posé aucun problème ...

La tambouille ne s'arrête pas aux frontières de la droite et du centre ; elle déborde très largement à gauche. Le parti socialiste a un seul conseiller municipal, Clément Bernard, par ailleurs ancien candidat PS aux cantonales. Celui-ci a souhaité, comme il est logique, mener la liste des municipales. Mais la politique et la logique ne font pas forcément bon ménage : les adhérents de la section ont choisi quelqu'un d'autre, inconnu des Saint-Amandois, pour être tête de liste, Alain Pouillou. Devinez ce qu'a fait Bernard, pas content ? Il a rallié Mrozek, il sera sur la liste centriste ! Pour corser le tout, savez-vous de quelle sensibilité interne Clément Bernard se sent-il proche ? Arnaud Montebourg, dont il a été le mandataire départemental, un courant plus aile gauche que centriste. Bref, un socialiste qui va bientôt cesser de l'être (il sera forcément exclu pour non respect des règles) rejoint un élu du MoDem qui ne l'est déjà plus. Tambouille, je vous dis !

Les justifications de Clément Bernard sont assez comiques. "Il ne s'agit pas de nuire à la gauche, bien au contraire". Gonflé ! "Jamais je n'ai eu autant de soutien depuis que je suis sur cette ligne". C'est beau, la trahison, quand elle est plébiscitée ! Le pompon : "Par respect pour les Saint-Amandois, nous ne pouvons partir chacun de notre côté au premier tour [socialistes et centristes] pour nous unir au second tour. Cela s'apparenterait trop à un jeu politique". Parole d'expert ! Ce Bernard, l'honnêteté et le désintéressement finiront par le perdre ... Du coup, c'est Mrozek qui est tout content : il a pris deux gros poissons, le premier adjoint de droite et le premier opposant de gauche, sans aller à la pêche, lui qui n'est ni de droite ni de gauche ! "Je n'ai rien fait, ce sont eux qui sont venus à moi", déclare-t-il, guilleret, à la presse.

Et Pouillou, dans toute cette tambouille ? Il ne veut pas être le cocu de service, le dindon de la farce, il a choisi une stratégie qui déchire : la "discrétion". "C'est une méthode nouvelle", affirme le candidat socialiste. Elle consiste à "ne pas partir trop tôt", à ne pas trop se montrer non plus. "Nous ferons très peu de marchés et de réunions publiques", explique-t-il, ce qui est en effet peu banal, complètement inédit pour un candidat à une élection. Son truc, c'est le porte à porte, pour la raison suivante : "Nous rencontrons directement les gens. Je me présente à eux avec mes idées, ils vont m'apporter les solutions". C'est un concept original, unique en son genre : habituellement, ce sont les électeurs qui attendent des candidats les solutions à leurs problèmes ; là, ce sont eux qui les apportent directement. Remarquez, on n'est jamais si bien servi que par soi-même.

Et le Front de gauche, est-ce qu'il participe à la tambouille saint-amandoise ? Ses responsables ont initié "une démarche peu commune", selon l'expression de l'un d'entre eux, Georges Lafosse. Elle a consisté à lancer le 28 novembre un appel à candidatures, "sans tête de liste autoproclamée ni programme définitif". Ailleurs, on se donne un chef, qui est chargé ensuite de constituer une liste et de préparer un programme. Au Front de gauche local, on fait l'inverse ... mais ça ne marche pas : seulement 22 personnes ont répondu, fait remarquer Lafosse, sceptique. De quoi regretter de ne pas avoir un chef ! Mais que veut vraiment le Front de gauche à Saint-Amand ? Gagner, changer ... ? C'est plus compliqué : "Notre objectif n'est pas de remplacer Thierry Vinçon. Changer pour changer, ce n'est pas la bonne solution", affirme le communiste Joël Bugnone. Mais quelle est la bonne solution ?

Transposons, par imagination, Saint-Amand à Saint-Quentin, pour voir ce que ça donnerait : Monique Ryo, première adjointe de Xavier Bertrand, rejoindrait dans l'opposition Jean-Pierre Lançon, lui-même ralliant un ex-MoDem, Stéphane Monnoyer, qui deviendrait tête de liste de l'opposition. Pendant ce temps-là, le candidat socialiste, Michel Garand, se ferait discret, renonçant aux réunions publiques et à la présence sur les marchés, pour ne faire que du porte à porte, afin de constituer son projet. Olivier Tournay ne présenterait pas de liste, faute de candidats en nombre suffisant. Une sacrée tambouille, impensable chez nous ! Quoique chaque ville a sa cuisine politique, son mauvais ragoût. Et puis, à Saint-Quentin, nous avons pire, auquel échappe par bonheur Saint-Amand : une liste Front national. Là, ce n'est plus de la tambouille, c'est un plat empoisonné, à jeter aux ordures.


Les propos entre guillemets, attribués aux responsables politiques, proviennent des éditions du Berry républicain du 25 septembre, 7, 10 et 12 décembre 2013, ainsi que de L'Echo du Berry des 5 et 12 décembre.

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