mercredi 8 janvier 2014

Bilan critique



La victoire en politique est-elle le produit d'un rejet ou d'une adhésion ? L'électeur vote-t-il contre ou pour, par défaut ou par désir, en éliminant ou en choisissant ? Le secret des urnes est bien difficile à percer. Tout dépend aussi du scrutin, des candidats et des circonstances. Un vote est peut-être la conjonction d'un refus et d'une volonté. Quoi qu'il en soit, il faut en revenir comme toujours au principe : en démocratie, on se prononce en faveur d'un homme, d'un parti, d'un projet et on assume son choix. Trop facile de se réfugier derrière l'irresponsable et hypocrite "faute de mieux". La République attend du citoyen une attitude positive, pas négative, en plein, pas en creux.

Trop facile aussi pour les candidats de raisonner en termes de rejet : car il leur suffit alors d'attendre, dans une posture paresseuse, que ce rejet leur profite mécaniquement, sans qu'ils aient aucun effort à faire, sans proposer quoi que ce soit. D'où la boutade, évidemment fausse et malhonnête, qui prétend que "même un âne pourrait se faire élire" lorsque le contexte est favorable. Je n'en crois rien : il y a sûrement des vagues en politique, mais pas d'effets mécaniques. C'est pourquoi, aux élections municipales, là où les socialistes sont bons, ils résisteront, ils gagneront, malgré l'impopularité de François Hollande.

Même si un homme politique a un bilan à défendre, c'est sur son projet qu'il gagnera ou sera battu. Que le bilan soit bon ou mauvais, l'essentiel est dans les propositions nouvelles. Le citoyen ne se détermine pas sur le passé, mais sur l'avenir. Un bon bilan n'empêche pas l'échec, un mauvais bilan n'interdit pas la victoire (même si c'est plus difficile). L'opposition ne gagne pas sur la critique d'un bilan, pas plus qu'une majorité ne se maintient sur sa défense. Pourtant, le débat sur le bilan n'est pas à exclure, même si l'enjeu porte sur le projet.

A Saint-Quentin, en vue des élections municipales, qu'est-ce que l'opposition peut dire du bilan de Pierre André et Xavier Bertrand ? Que le taux de chômage reste très important ? Oui, mais je ne suis pas certain que l'argument fasse mouche, l'emploi relevant de la politique nationale et des entreprises. Et puis, une équipe de gauche aurait-elle fait mieux ? Pas certain ... La crise économique frappe depuis longtemps et durement des villes du même type que la nôtre, sans qu'on puisse l'imputer aux majorités en place, de gauche ou de droite.

Le choix de la zone franche est-il au moins contestable ? Oui, si l'on veut, on peut toujours tout contester. Mais est-ce efficace ? Sans zone franche, la situation de l'emploi serait-elle meilleure ? Difficile à dire, quand on veut être scrupuleux. Je n'ai jamais été hostile au dispositif, qui n'est pas une panacée mais qui a probablement maintenu des emplois (car il ne faut pas voir seulement ce qu'on gagne, mais aussi ce qu'on ne perd pas). La bataille des chiffres ne rend pas plus clair le jugement. Les critiques contre la zone franche viennent essentiellement des commerçants et des entreprises qui n'en bénéficient pas, et qui ne voteront pas à gauche pour autant. De toute façon, le dispositif va s'arrêter : inutile donc d'en faire le centre d'un débat.

Plus subjectivement, dans les rencontres que je peux faire, les conversations autour de moi (j'aime bien me taire, poser des questions, écouter, tester), je ne sens pas dans l'opinion publique un fort rejet de l'équipe municipale en place depuis maintenant 19 ans. Je mets de côté les lamentations classiques (contre les travaux, les impôts locaux, etc) : j'entendais exactement les mêmes en 2001, et Pierre André a gagné avec 71%. Bien sûr, il y a des exaspérations, des reproches, des mécontentements, des lassitudes. Mais je n'ai pas détecté un point de focalisation, de cristallisation sur lequel pourraient s'arcquebouter un refus et un rejet. Aucune campagne, aucun scandale, aucun mouvement d'opinion ne sont venus contrariés les mandats de Pierre André et Xavier Bertrand.

Pour autant, si l'on veut que la démocratie fonctionne et propose une alternance, il faut montrer que d'autres choix auraient été possibles, sans prétendre qu'ils auraient été forcément les meilleurs : en politique, ce sont les faits qui sont juges (après les électeurs) ; ce ne sont pas les idées ou les hypothèses. Néanmoins, c'est le devoir d'une opposition qui veut être majorité de tracer d'autres lignes. En voici quelques-unes, centrales, trois exactement, des choix alternatifs qui auraient été envisageables :

1- Laisser le cinéma Le Carillon rue des Toiles. Son cachet Art déco méritait d'être conservé dans ce cadre. La redynamisation du centre-ville y aurait gagné. Surtout, on peut penser que le multiplexe est trop grand pour nos capacités locales. Bien sûr, d'autres villes se mettent à ce genre d'établissement, dont des municipalités socialistes telles que Soissons. Mais ce n'est pas une raison. Le cinéma Le Carillon entrait parfaitement dans cette définition d'un Saint-Quentin ville prestige, dont j'ai déjà parlé, un hyper-centre dédié aux activités culturelles.

2- A la place de l'actuel CinéQuai, j'aurais fait le choix de construire un Centre des Congrès. Saint-Quentin n'a pas de salles adaptées, spécifiques et en nombre suffisant, pour recevoir des colloques, congrès, etc. La proximité de la gare est idéale. Surtout, ce projet attire un public extérieur, parfois lointain, pour des manifestations qui sont autres que le loisir. L'économie en profite plus que d'un cinéma, qu'on trouve ailleurs dans l'Aisne, qui n'incite pas forcément au déplacement. Un Centre des Congrès contribue plus au rayonnement de la ville qu'un multiplexe.

3- Le plus gros projet municipal de ces dernières années, c'est la BUL, Base urbaine de loisirs. Je ne l'aurais pas faite. Là encore, il y a un effet de mode : à Hirson ou dans ma ville natale, Saint-Amand-Montrond, des équipements du même genre, autour du loisir aquatique, ont été mis en place. Cela répond bien sûr à une demande de la population. Mais les demandes sont multiples. Et puis, c'est bien connu, l'offre suscite aussi la demande. Je crois que Saint-Quentin pouvait se passer de la BUL, à condition d'améliorer les structures approchantes (la piscine par exemple) et surtout de faire l'autre choix que j'ai proposé, le Centre des Congrès. Il n'y a pas de nécessité à ce que les villes moyennes investissent dans les loisirs, même si c'est une tendance actuelle de la société. D'autres investissements sont possibles, en vue d'autres objectifs. Etre de gauche, c'est ne pas accepter les choses telles qu'elles sont, c'est leur imprimer une autre direction. Je me demande finalement si je ne suis pas plus critique que l'actuelle opposition locale, pourtant très marquée à gauche, qui ne s'est pas opposée à la construction de la BUL, qui a souvent pratiqué la contestation idéologique sur des questions plutôt nationales, mais sans ouvrir d'autres voies radicalement différentes.

Critiquer le bilan de la droite saint-quentinoise ne me semble pas très utile. Mais établir un bilan critique, comme celui que je viens d'esquisser, permet de montrer que d'autres perspectives sont toujours possibles, dont seule la réalisation aurait pu dire si elles auraient été pertinentes ou pas. Rien ne m'irrite plus en politique que d'entendre dire : "C'est pas possible, on n'a pas le choix". Si, il y a toujours d'autres choix possibles, et c'est ce qu'on appelle justement la politique. Pour qu'il y ait une alternance, il faut qu'il y ait une alternative. Mais encore une fois, la préparation du futur proche est plus déterminante que la reconstruction du passé récent.

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