mardi 14 janvier 2014

Les socialistes et l'entreprise



Des voeux présidentiels sont souvent un exercice conventionnel, sans véritable portée politique. Ceux de François Hollande, cette année, auront au contraire marqué et suscité de nombreux commentaires. A quelques heures de sa grande conférence de presse, il est utile d'y revenir et de rappeler le sens de la ligne politique gouvernementale, qu'on pourrait résumer en ces mots, forcément polémiques : le soutien de la gauche au monde de l'entreprise, alors que sa tradition la porte plutôt à être du côté des classes populaires.

Il faut s'expliquer, et remonter assez loin. A sa naissance, dans les années 70, le nouveau parti socialiste, en signant le Programme commun avec les communistes, est hostile au marché et critique envers l'entreprise. Au congrès d'Epinay, François Mitterrand dénonce le monde de l'argent et préconise la rupture. Lorsque Michel Rocard, à la fin des années 70, déclare qu'entre le marché et la planification (à la soviétique), il choisit, en bon social-démocrate, le marché, Laurent Fabius lui rétorque : "Michel, entre le plan et le marché, il y a le socialisme". Une mentalité va ainsi se créer, anti-marché, anti-entreprise, qui perdure jusqu'à nos jours, chez certains militants et dans une partie de l'électorat. Pourtant, et c'est sans doute le plus étrange, la réconciliation entre les socialistes et l'entreprise ne date pas d'aujourd'hui et de la présidence de François Hollande !

Dès 1982, Pierre Mauroy met fin à l'échelle mobile des salaires, puis en 1983, il adopte une politique de rigueur, en refusant de quitter le système monétaire européen, contre l'avis de Jean-Pierre Chevènement, qui représentait alors l'aile gauche du parti. En 1984, Fabius devient Premier ministre, oublie ses critiques contre le marché et se fait le défenseur de la France qui gagne, c'est-à-dire les entreprises performantes. En 1988, Michel Rocard, ouvertement social-démocrate, est nommé Premier ministre. Edith Cresson lui succède, sur une ligne offensive de soutien aux entreprises et à l'industrie. Elle est remplacée par Pierre Bérégovoy, qui mène une politique du franc fort. Quand Lionel Jospin se retrouve à Matignon, il a une formule qu'on lui a reprochée et pour laquelle je le félicite : "L'Etat ne peut pas tout", façon de reconnaître qu'il faut attendre beaucoup du marché et des entreprises, essentiellement en matière de création d'emplois.

Le soutien de François Hollande au monde de l'entreprise, par son pacte de compétitivité puis son pacte de responsabilité, n'est donc pas quelque chose de nouveau au parti socialiste. C'est une ligne ancienne, qui n'ose pas toujours dire son nom, mais qui s'appelle social-démocratie, c'est-à-dire un socialisme européen qui agit dans le cadre de l'économie de marché et qui se distingue nettement du socialisme traditionnel, national, ouvriériste, marxisant, qui n'a été vraiment influent dans les rangs du PS qu'à l'époque du Programme commun. Celui-ci avait du bon : la décentralisation, l'abolition de la peine de mort, l'extension des libertés publiques, l'augmentation des prestations sociales, la réduction du temps de travail, etc. Mais son volet économique, très étatiste, était intenable.

Je suis surpris qu'on s'étonne de la ligne politique et du discours de François Hollande en faveur de l'entreprise. Je comprends qu'on le conteste lorsqu'on n'est pas socialiste : par exemple le PCF ou l'extrême gauche. Mais qu'un militant, un sympathisant ou un électeur socialistes puissent en être déçus, c'est incompréhensible tellement la ligne social-démocrate est présente, affirmée et grandissante depuis une trentaine d'années. Bien sûr, lorsque le candidat Hollande lance, au Bourget : "Mon adversaire, c'est la finance", la formule a un petit goût de madeleine de Proust, un revival des années 70. Mais c'est l'arbre qui cache la forêt : n'importe quel électeur un peu honnête sait parfaitement que le programme présidentiel de François Hollande n'avait rien de révolutionnaire !

Social-démocratie : c'est le mot qui dit tout, qui éclaire tout mais qu'une partie de la gauche a encore du mal à prononcer, trente ans après qu'elle ait pourtant fait au gouvernement de la social-démocratie ! Du coup, certains utilisent un concept faux, incohérent et stigmatisant : social-libéral. Je ne sais pas ce que ce terme signifie, ni ce qu'il désigne. Une mesure libérale n'est pas sociale, et inversement. Si on vise par cette expression les politiques d'austérité qui ont lieu dans certains pays d'Europe (destruction de l'emploi public, baisse drastique des salaires, remise en cause du montant et de la durée des retraites), je ne vois pas en quoi la politique de François Hollande est concernée. Social-libéral est donc un terme de substitution, pour ne pas avoir à dire social-démocrate, pour critiquer la social-démocratie sans l'avouer.

Il est heureux que les socialistes soutiennent l'entreprise. C'est par elle que la croissance reviendra et que l'emploi sera créé. Ce soutien à l'entreprise et au marché n'empêche nullement que les socialistes conservent et cultivent des valeurs de gauche. Entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, on voit bien que les lignes politiques sont différentes, sauf aux yeux des extrêmes, qui regardent de si loin qu'ils confondent tout.

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